Cette année, la boucle de deux kilomètres dans le quartier de Port-Royal à Paris, en hommage à un jeune nationaliste mort en 1994 en échappant à la police, n’est pas passée inaperçue. Audience inespérée, le 6 mai, pour les organisateurs qui n’en reviennent pas que cette « édition [soit passée] sur BFM » avec « condamnation de Darmanin ». On a la fierté qu’on peut chez les jeunes natios !
Grisés par le battage médiatique ou plus occupés à traquer les journalistes, les anciens « Zouaves » se comptent à 700. Les drones de Laurent Nunez en ont compté 550. La réalité se situe plutôt entre 450 et 500. On comprend que des journalistes s’y intéressent : durant la mobilisation des retraites, les quelques attaques de jeunes mobiliséEs venaient de cette mouvance, mais il faut prendre un peu de recul.
Trente ans de manifestations
Après une première manifestation où 1 000 à 1 500 nationalistes défilent, élus FN en tête, l’hommage annuel du Comité du 9 mai (C9M) rassemble entre 200 à 250 excités. En 2007, rejoints par des hooligans du PSG, ils culminent à 400. En 2008, la manifestation est interdite, pour « risque de confrontation ». Depuis 2002, les antifascistes contre-manifestent pour ne pas laisser la rue à ces nervis. Puis, Serge Ayoub détourne le C9M et l’associe à la fête de Jeanne d’Arc. Sa facho-pride rassemble en 2010 plus de 700 manifestants. Puis « l’union sacré des patriotes français » se délite. En 2013, la mort de Clément Méric, tué par des sbires, met un terme à son contrôle sur le C9M. Repris par le néo-GUD en 2014, le C9M revient à Port-Royal avec une centaine de manifestants. En 2019, pris en main par les « Zouaves », le défilé double. Après deux ans d’interruption, 300 participants défilent en 2022. L’affluence de 2023, non négligeable, traduit surtout la polarisation actuelle autour du courant nationaliste-révolutionnaire, parfois mâtinée de catholicisme social, qui ne rassemble « que » 500 nervis juvéniles, répartis sur de nombreuses villes.
Beaucoup de bruit
Les réactions convenues face à ces « néofascistes dans les rues de Paris » sont désarmantes, parce que, sans perspectives concrètes, elles contribuent à plomber notre motivation face à un risque « néofasciste » fantasmé, dans un moment charnière de la mobilisation sociale. Ensuite, elles renforcent la confiance de cette nébuleuse jeune et violente. Ses exactions sont réelles et à niveau trop élevé depuis trop longtemps, mais elles restent décentralisées et aléatoires, sans structuration à une échelle nationale. La mobilisation contre la réforme des retraites, et l’opposition toujours puissante à Macron, montre que les extrêmes droites ne parviennent pas à peser dans le mouvement social et que la majorité de la jeunesse qui se radicalise le fait autour de valeurs de solidarité, internationales, écologistes et féministes, ancrées dans le monde du travail.
Le prétexte de « trouble à l’ordre public » donne l’occasion à Darmanin de mener sa politique sécuritaire et répressive, la même qui interdit les Soulèvements de la Terre. La recherche maladroite pour établir un lien entre le Rassemblement national et ces « néofascistes » enferme dans une logique inefficace face au premier danger : une extrême droite institutionnalisée, en marche électorale vers le pouvoir.
Une même logique pour les extrêmes droites
L’énervement de Marine Le Pen, qui feint de ne pas connaître Axel Loustau, habitué du C9M et prestataire de services pour le financement, la sécurité ou la communication de son parti, indique que le marquage « extrême droite » reste un caillou dans sa chaussure. S’il n’y a pas de liens organiques entre tous les courants et organisations d’extrême droite, toutes participent de la même logique : chasse à l’ennemi de l’intérieur, xénophobie et collaboration de classe, motivées par un nationalisme agressif dans un pays impérialiste.
Nous ne devons plus subir, inactifs, ni le renforcement lent et continu de la nébuleuse violente, ni la banalisation des idées d’extrême droite, ni l’implantation du RN. Le dénouement et les suites de la mobilisation sociale actuelle seront déterminantes. Dans l’immédiat, et spécifiquement, il nous faut réfléchir aux moyens unitaires d’armer les organisations du mouvement ouvrier, de saper les bases de toutes les extrêmes droites et de se préparer à tous les scénarios sans tomber dans une paranoïa démobilisatrice. Comme le rappelait Ernest Mandel, il y a trente ans, on ne combattra ce fléau qu’en « réinventant l’espoir de bonheur pour tous ».