Le passage à la lumière — de ministre de l’Intérieur et chef des LR — de la part d’un insignifiant sous-fifre de De Villiers a de quoi interroger. Celle-ci s’est faite dans un contexte particulier de polarisation et de la reconfiguration de la droite française après la déroute de Pécresse en 2022 où celle-ci avait fait moins de 5 %. Mais bien sûr elle trouve son origine antérieurement via le tournant Sarkozy en 2007 qui pensait avoir « siphonné » les voix du RN en adoptant son discours raciste.
Les LR sont issus de l’organisation créée par Chirac lors de son élection en 1995 et a culminé en termes d’attraction électorale avec l’élection de Sarkozy en 2007. Cette droite est elle-même issue de Gaullisme ; pseudo droite sociale mais plutôt une version brutale de la volonté de contrôle de la classe dirigeante coloniale de s’émanciper de la tutelle américaine. La droite française historique représente les intérêts à long terme du patronat français en se donnant un vernis « social » et « étatique ». Dans les années 1980, la droite avait effectué un tournant libéral mais après avoir perdu les élections en 88 a décidé de limiter cette rhétorique pour revenir aux accents habituels de la grandeur de la France et « du bruit et de l’odeur ». La fin des années Chirac en 2007 signe un tournant avec l’arrivée du Sarkozysme.
Cette stratégie n’a fait que radicaliser la droite française qui va durant la période 2012-2025 ne cesser de se droitiser – à la fois sur les questions économiques ultra libérales mais également sur les questions de « société » comme l’homophobie, le sexisme et bien entendu le racisme.
La carrière de Retailleau
Retailleau est issu d’une famille ultra catholique de la région de Vendée. Bras droit du très conservateur Philippe de Villiers pendant des années il est surtout « connu » comme administrateur du Puy du fou : qui est un spectacle « populaire » défendant le roman national français notamment du temps médiéval. Ce spectacle de « divertissement et pas d’histoire » fait en fait la promotion d’ »une France éternelle jamais plus belle que dans le catholicisme et la royauté ».et « un discours anti-universaliste, antirépublicain, anti-égalitaire, xénophobe, qui masque les dominations de classe et de genre ».
Rompant avec de Villiers du fait de l’impasse politique où celui-ci menait, Retailleau parvient à être élu sénateur et proche conseiller de Fillon au point de couler temporairement avec lui après les affaires de financement de l’ancien premier ministre.
Sa position de sénateur va lui permettre — lorsqu’il prendra la tête du groupe LR en 2020 de développer son opposition au macronisme sur la droite. Le sénat étant par nature une institution plus à droite qui favorise les notables bien installés et donc, contrairement à son influence électorale réelle, fonctionne à l’avantage des LR. Le groupe sénatorial des LR pendant la période Macron va développer une stratégie de pression à la droite du gouvernement. L’histoire de ces 5 dernières années est la lente acceptation par le camp macronisme de cette pression.
Par exemple, Bruno Retailleau dépose fin 2019 une proposition de loi pour interdire les « listes communautaristes » aux élections. Le groupe de Retailleau va déposer des séries de projets de lois et d’intervention : en 2020 : les LR proposent d’interdire le port du voile pendant un entraînement sportif et d’empêcher l’adaptation de menus dans la restauration collective pour un motif religieux. Sur le voile et les tenues sportives, ils récidivent en 2021 et 2022. Toujours sur les tenues : proposition d’interdire le burkini (2021), Le groupe amende le projet de loi antiterrorisme (Loi sécurité global) en expliquant que le gouvernement considère que « la lutte contre l’immigration illégale n’est pas une priorité ». Les LR sont : « contre la radicalisation islamiste qui de proche en proche s’étend dans notre pays ». Toujours 2021 : les sénateurs de droite dépose un projet de loi sur les principes de la république car les LR condisèrent que « L’Europe ne peut pas être le cheval de Troie de l’islam politique ». Le 30 octobre 2023, le Sénat a voté en faveur de l’interdiction de l’écriture inclusive, « marquant ainsi le triomphe de l’universalisme sur le différentialisme » (sic). Ils proposent notamment d’intégrer dans la Constitution la possibilité pour les Français de se prononcer par référendum sur tout projet de loi, quel qu’en soit le sujet, y compris l’immigration qui n’est ni plus ni moins que le programme du RN.
Le même groupe sénatorial a contribué au durcissement de la loi Darmanin de l’année 2024 en ajoutant la fin du droit du sol et la suppression de l’Aide Médical d’Etat. Il avait proposé plusieurs projets de lois de lutte contre l’antisémitisme mais qui sont en pratique des lois répressives sur la critique d’Israel en 2022 et 2023. Notamment en voulant forcer la définition de l’IRHA de l’antisémitisme. Cette loi a été adoptée en 2025 et la loi sur les signes religieux dans le sport devrait elle aussi bientôt être votée.
Privé de légitimité électorale directe et avec un groupe parlementaire divisé et moins nombreux, Retailleau a permis que le groupe de droite du Sénat soit une vraie pression sur des macronistes pas très résistants. Comme on le voit, une partie des lois racistes votées ces dernières années ont été proposées par le sénat et plus particulièrement le groupe LR.
Retailleau ministre
C’est dans cette continuité qu’il faut comprendre l’ascension de Retailleau au ministère de l’intérieur et son élection triomphante à la direction des LR. Celui-ci a multiplié les déclarations chocs également pour bien montrer qu’il était le digne héritier de Darmanin à ce poste : notamment en 2023 il déclarait « Certes, ce sont des Français mais ce sont des Français par leur identité et malheureusement, pour la deuxième, la troisième génération, il y a comme une sorte de régression vers les origines ethniques ». au moment du meurtre de Nahel et des révolters urbaines qui ont suivi. Déclarations qu’il répète sous différentes formes régulièrement : « Nous assistons à la chronique quotidienne d’une barbarie ordinaire » en parlant de la délinquance. Quand il parle du gouvernement Macron : « ils condamnent la France à subir les grands déséquilibres qu’entraîne le chaos migratoire » qu’il pourtant il rejoindra. Sur l’islamophobie : « l’islamisme est en train de gagner des territoires, de conquérir des cœurs et des esprits. Le combat est global : il a une dimension sécuritaire, judiciaire mais aussi culturelle. Un rapport de force s’est instauré. On doit l’assumer et mener une guerre totale contre le totalitarisme islamiste » et son désormais célèbre « À bas le voile ! ».Cette rhétorique est inhabituelle dans le discours du ministre — même si Darmanin en était capable — mais Retailleau en rajoute une couche dans le racisme crasse et surtout ultra violent. Il se met en scène via une communication ultra agressive sur ses réseaux sociaux : flics de la BRI avec des codes liés à l’extrême droite. Cette violence est caractéristique sur les immigrés et les non-blancs mais, comme un déplacement graduel vers le discours fasciste, s’achemine doucement contre les ennemis politiques que sont la FI « le parti du chaos » contre lequel il veut faire un « front républicain » avec le RN.
Méthodes fascistes et colonialistes
Elu triomphalement à la tête des républicains (près de 75 % de voix) dans une campagne de surenchère avec Wauquiez pour qui sera le plus contre l’islam et les immigrés, il a lancé une campagne d’affichage sur la « France des Honnêtes gens » avec des imageries dignes de vichy et des clins d’oeil racistes à peine voilés.
Retailleau c’est aussi les politiques racistes anti immigrés. Deux circulaires sur le droit de séjour à peine arrivé ministre : sur le séjour des étrangers et les sans-papiers en plus d’un durcissement de la naturalisation. Retailleau c’est un déploiement de 4000 policiers lors de deux jours de rafles dans différentes gares de Paris pour des contrôles racistes.
Retailleau c’est également la crispation coloniale lorsque dans la crise avec le gouvernement algérien, pèse de tout son poids le discours raciste et colonial de la droite et de l’extrême droite française : Retailleau a menacé de démissionner s’il n’avait pas gain de cause sur le dossier algérien, c’est-à-dire la renégociation de l’accord de 1968. En déclarant : « Il n’y a pas seulement un problème diplomatique, il y a aussi une question de fierté du peuple français, qui ne veut plus que l’Algérie puisse nous humilier » Enfin c’est la dissolution de la Jeune Garde et possiblement de Urgence Palestine.
Il serait un peu long de continuer à citer inlassablement les sorties racistes et islamophobes de ce sinistre personnage mais il incarne la continuelle dérive de la droite française vers l’extrême droite. Les liens ont commencé à se tisser via sa défense du collectif fasciste Némésis lors de la manifestation du 8 mars. Il est d’ailleurs avéré qu’il y a des liens forts entre la police et ce groupuscule : un lien qui est donc soutenu par en haut.
En donnant la lumière à l’arrière-ban de la droite en septembre 2024, Macron souhaitait continuer son objectif de pouvoir diriger le pays en s’appuyant sur une frange de plus en plus réactionnaire et raciste de l’échiquier politique. Cette stratégie a remis en selle une droite prête à toutes les alliances avec le RN — chose qu’elle avait commencé avec Ciotti en Juillet 2024 mais qui va en constituer la continuité inéluctable. Notamment pour les municipales. On le voit la poussée vers l’extrême droite date de plusieurs années et on constate les impacts en termes de loi votées plusieurs années après. Elle crée une atmosphère raciste et islamophobe au plus haut de l’état qui alimente le sentiment d’impunité de la police et encourage les passages à l’acte.
La droite française ne considère pas l’extrême droite comme une menace et maintenant ni comme un adversaire. Il y a une évolution de cette stratégie et Retailleau n’en est que le clown ventriloque.