Publié le Jeudi 14 mai 2020 à 11h00.

Confinement et déconfinement dans les bibliothèques parisiennes

Quand Emmanuel Macron a annoncé la date du déconfinement, on a rapidement compris que le 11 mai était davantage un compromis arbitraire, effectué sous la pression du Medef, qu’une décision mûrement pesée et éclairée par des données scientifiques. La notion de déconfinement progressif, censée contrebalancer le caractère risqué de ce pari, ne s’est nullement accompagnée d’une planification ou d’une hiérarchisation entre des secteurs dont la reprise est jugée essentielle et d’autres moins. Le secteur de la culture, réduit dans le discours présidentiel aux musées, au cinéma et à l’événementiel, paraît alors dans son ensemble renvoyé en tant que divertissement accessoire à une date lointaine de reprise (oubliant ainsi au passage qu’il s’agit d’un secteur économique fragile faisant vivre des centaines de milliers de personnes).

Les bibliothèques ne sont même pas citées. Les bibliothécaires sont vexés… mais aussi soulagés. Ces lieux publics dans lesquels se croisent parfois plusieurs centaines d’usagerEs, dont un grand nombre d’enfants et de personnes âgées, et dans lesquels des livres sont manipulés successivement par plusieurs personnes sont en effet susceptibles de devenir rapidement des foyers de contamination. 

Une reprise à marche forcée ?

Aussi, quand le 28 avril Édouard Philippe cite explicitement les bibliothèques parmi les lieux « pouvant rouvrir dès le 11 mai », et ce même en zone rouge, c’est la stupéfaction. Franck Riester s’était pourtant entretenu avec des associations de professionnelEs très prudentes, qui préconisaient une réouverture en juin voire en juillet et publiaient une série de recommandations drastiques, parmi lesquelles la mise en quarantaine des documents rendus par les usagerEs. Or, quand le gouvernement dit que les bibliothèques « pourront rouvrir », le public entend « vont rouvrir ». Voilà les professionnelEs désormais soumis à la pression des usagerEs, et surtout des maires qui font de leur médiathèque une vitrine et sont encore plus enclins à le faire en cette période électorale. Et ce sans nécessairement une concertation préalable avec les représentantEs syndicaux (représentantEs dont les bibliothécaires sont dans de trop nombreuses villes purement et simplement dépourvus).

À Paris, les agentEs des bibliothèques ont eu quelques raisons de redouter une reprise à marche forcée. Dans la première quinzaine de mars en effet, l'exécutif parisien a semblé totalement méconnaître la gravité de la situation. Les directions de la Ville, incapables de fournir à leurs agentEs du gel hydroalcoolique, se contentent alors de diffuser des consignes sur les gestes barrières, souvent inapplicables sur le terrain. Les CHSCT ne sont pas réunis.

La semaine qui précède le 1er tour des municipales, l'inquiétude grandit parmi les bibliothécaires. Le vendredi 13 mars, alors que Macron vient d'annoncer la fermeture des écoles, Anne Hidalgo décide que les bibliothèques resteront… ouvertes ! Le lendemain matin, près d'une vingtaine d'équipes de bibliothèques parisiennes exercent leur droit de retrait. À 11h, la Ville décide la fermeture de tous ses établissements culturels.

Cette crise révèle qu'à Paris comme sur le plan national la volonté de contenir les dépenses de gestion a les mêmes conséquences : absence de stocks (gel, masque), incapacité à réaménager les espaces (services de travaux sous-dotés, médecine préventive à l'abandon…), recours au rabais à la sous-traitance pour un service aussi essentiel que le nettoyage des lieux publics. 

Réouverture : la vigilance s’impose

Le déconfinement des bibliothèques semble s’opérer avec plus de prudence. La Ville entend rouvrir des établissements de manière échelonnée, de juin à juillet-août. Surtout, auprès des représentantEs des personnels, elle affiche sa volonté d'encadrer et de limiter assez strictement la réouverture du public dans le cadre d'un espace de retour et de prêt de documents sur réservation préalable et prise de rendez-vous. Port du masque pour les usagerEs, gel à l'entrée des établissement et équipements de protection collective et individuelle conditionnent la reprise. Toutefois, la vigilance s’impose. Sans surprise, la Ville admet la probabilité de ruptures d'approvisionnement en équipements. Et il est possible, que les directions d’établissement, soumises à des injonctions contradictoires entre santé publique et volonté d’ouverture « coûte que coûte », ne cèdent à la pression, en particulier celle des maires d’arrondissement. 

Réintroduire du service public

Enfin, l’idée d’un service minimum prenant la forme de « comptoirs » de retrait de documents ne va pas de soi. Ce système a l’avantage de minimiser les risques en réduisant au maximum les manipulations. Il évite de transformer le ou la bibliothécaire en agentE de police et de désinfection. Mais au sein d’une profession traversée depuis longtemps par une crise d’identité liée aux évolutions induites par Internet et la dématérialisation des supports culturels, il soulève aussi bien des questions. Les bibliothécaires ont diversifié leurs activités (événements culturels, ateliers multimédias ou de loisirs créatifs…) et se sont employés à valoriser la bibliothèque comme un lieu de vie ouvert à toutes et à tous. L’information et la culture y sont mises en espace et reposent sur la découverte fortuite, la rencontre, la sérendipité. 

Le champ lexical du drive et du click & collect emprunté aux magasins réveille le spectre du modèle de l’ « usager-client ». Les bibliothécaires parviendront-ils et elles à réintroduire du service public, du conseil et du lien social dans ce dispositif que l’on espère temporaire ?