Ces derniers temps, il a beaucoup été question du grand emprunt voulu par Sarkozy. Cette affaire est assez révélatrice de la situation dans laquelle se trouve la bourgeoisie de ce pays et de son plan de bataille pour nous faire payer les pots cassés de la crise économique. L’aspect le plus important de l’affaire du grand emprunt de Sarkozy concerne la bagarre qui a lieu au sein de la bourgeoisie et de la droite depuis que le gouvernement a couru au secours des banques, menacées par la crise financière. Si en France, il ne s’est pas trouvé de fondamentalistes du marché, comme certains républicains aux États-Unis, pour soutenir que l’État devait laisser les banques à leur sort, un débat est ouvert depuis sur la façon dont il doit s’attaquer à la question des déficits publics et de la dette publique. Les critiques émises dans les médias sur le grand emprunt ont essentiellement émané de ceux qui prônent la nécessité de réduire les déficits publics au plus vite, adeptes d’une orthodoxie financière. En face, d’autres expliquent que les déficits ne sont pas nécessairement mauvais s’ils servent à relancer l’investissement et surtout s’ils peuvent permettre d’ajourner les explosions sociales qui accompagneront sans doute toute tentative de couper dans les budgets sociaux pour rétablir l’équilibre des finances publiques. Cette opposition n’est pas du tout nouvelle. Elle resurgit à chaque fois qu’une crise économique frappe et qu’elle oblige la bourgeoisie et l’État à en imposer les frais à une partie des travailleurs et des petits capitalistes (en envoyant les uns au chômage et les autres à la faillite). Elle était à l’origine de la rupture entre Chirac et Giscard en 1976, de la bagarre dans le PS de la première moitié des années 1980 entre les protectionnistes (Chévènement et le PCF) et les modernisateurs (Delors, Fabius), de l’opposition d’une partie de la droite gaulliste au traité de Maastricht en 1992 et de la campagne de Chirac sur la fracture sociale en 1995. Mais invariablement depuis 1983, ce sont les orthodoxes qui l’emportent et avec eux les politiques de rigueur. C’est ce qui s’est passé encore cette fois puisque le montant du grand emprunt ne sera finalement que d’un tiers de ce qui avait été prévu au début. Pourquoi est-ce important pour nous ? Simplement parce que cette bagarre au sein de la droite signifie qu’une crise majeure couve en son sein. C’est également ce qui se manifeste à travers les procès Clearstream, Pasqua et Chirac et la tentative de récréer un pôle de droite sociale autour de Villepin. Et chacun sait que lorsque l’ennemi est divisé, il est affaibli, et que nous avons le potentiel de lui infliger des défaites en sautant sur l’occasion. Mais il y a aussi une deuxième raison pour laquelle il est important de comprendre cet aspect des choses. Le fait que les adeptes de l’orthodoxie l’aient encore emporté signifie que la principale forme que prendra dans les mois à venir la tentative de nous faire payer les pots cassés de la crise sera une attaque féroce dans le secteur public, d’autant plus que Sarkozy a plusieurs fois répété qu’il n’augmenterait pas les impôts, histoire de rassurer les riches parmi son électorat. Sarkozy a aussi annoncé une conférence nationale sur les déficits et dénoncé la « folie fiscale » de la gauche dans les régions. L’annonce des 34 000 suppressions de postes dans l’Éducation nationale, le mois dernier, est une petite partie de ce qu’ils comptent nous imposer, et rapidement. En effet, la flambée des déficits pèse lourd sur la capacité de l’État à disposer librement de ses ressources fiscales, puisque plus de déficits signifie plus d’argent public dépensé pour rembourser la dette et les intérêts. Mais pire encore, cela signifie que se profile le danger pour le gouvernement de devoir accepter des taux d’intérêts plus élevés pour toute dette qu’il cherchera à contracter dans l’avenir. Cette pression pour réduire les déficits engendrés par les opérations de sauvetage des banques et les plans de relance ne s’exerce pas uniquement sur l’État français mais sur pratiquement tout État européen. Le gouvernement britannique a récemment annoncé un effort massif pour diminuer ses déficits, ce qui inclut des réductions jusqu’à 15 % dans certains domaines du secteur public. Le budget irlandais est encore plus dur. Et enfin, certains États comme la Grèce ont été clairement menacés par ceux qui font la politique monétaire de l’eurozone (en l’occurrence le président de la Bundesbank allemande) de faire le ménage dans leurs finances publiques d’ici un an ou bien d’en assumer les conséquences. La conséquence en termes politiques de tout cela est que les explosions sociales liées à la crise sont encore devant nous.
Encore une fois, il y a des précédents. La grande récession de 1974-1975 a ouvert une période de luttes dont les années 1978-1979 étaient l’apogée. La récession de 1992 a abouti aux grèves de novembre-décembre 1995. Il est fort probable que ce schéma se répète aujourd’hui, d’autant plus que l’ampleur de la crise actuelle est bien plus grande. À l’atonie sociale du printemps suivra une période tumultueuse. Il est difficile de dire avec précision quand il y aura explosion sociale. Mais vu les pressions subies par le gouvernement, cela semble inévitable. Christakis Georgiou