Arthur, professeur des écoles à paris 18e et militant syndical.
Je vais vous parler de la réouverture des écoles ou plutôt de l'accueil massif des élèves à l'école, puisque les écoles n’avaient pas complètement fermé.
Depuis l’annonce de la date de ce qui en fait ne sera pas vraiment le retour des élèves à l'école, il y a eu énormément de directives contradictoires qui ont été données, d'une part, par le ministère et, d'autre part, par les mairies puisque les écoles sont gérées par les villes conjointement avec le ministère.
L'Éducation nationale nous a d'abord demandé d'accueillir les enfants des grandes sections, CP et CM2 – et des CE1 dans les zones en REP où les CE1 ont été dédoublés. Après le discours du Premier ministre la semaine dernière, il n'était plus question d'accueil par niveau, il fallait recevoir l'ensemble des élèves dans une limite de 15 élèves par groupe. Et maintenant, on doit de nouveau accueillir les CP et CM2 en priorité, avec une limite de 15 élèves par groupe.
Ça c'est la limite qui était donnée par le ministère, mais les mairies de leur côté ont donné leurs propres chiffres. Par exemple, à Paris Anne Hidalgo a parlé de 12 élèves… Donc concrètement, depuis maintenant dix jours, chaque école fait à sa sauce : toutes les responsabilités sont rebalancées au niveau local, donc ce sont les chargéEs de direction et les équipes d'enseignantEs qui organisent l’accueil des élèves.
Protocole inapplicable
La conséquence, c’est qu'il y a une énorme disparité de situations en fonction des écoles : quelques écoles n'ouvriront pas parce que les équipes font jouer leur droit de retrait ou leur droit de grève, et considèrent que les conditions sanitaires ne sont pas réunies pour l'accueil des élèves. Mais, dans la rue d'à côté, on a des écoles qui vont ouvrir au maximum de leurs possibilités, c'est-à-dire à hauteur de 12 à 15 élèves par groupe. Donc, premièrement, c'est une très grande disparité de situations.
Ensuite il y a un protocole sanitaire que toutes les écoles doivent respecter pour pouvoir ouvrir – il fait 68 pages, c'est un ensemble de fiches techniques sur toutes les situations qu'on peut trouver dans une école : dans la cour de récréation, sur le lieu de restauration, dans les classes, et nous sommes censés les appliquer à la lettre pour garantir la sécurité des personnels et des élèves. Très rapidement, on s’est rendu compte qu’elles étaient inapplicables en l'état, surtout dans les maternelles mais aussi dans les écoles élémentaires. Par exemple, les élèves ne doivent pas se toucher, respecter une distance d’1 mètre entre eux, ce qui est effectivement impossible à appliquer avec des enfants de 4 ou 5 ans. Ensuite on doit par exemple nettoyer le matériel à chaque fois qu'il a été touché, donc concrètement on ne peut pas désinfecter un livre, donc un livre qui a été touché on est censés le mettre au rebut pendant cinq jours… il y a énormément d’exemples de ce type-là.
Donc à la suite de la publication du protocole sanitaire, il y a beaucoup d'équipes qui ont rédigé des motions, dans le 18e, le 19e, dans le 20e, dans le 13e aussi, des motions adressées au DASEN, le directeur académique des services de l'Éducation nationale, sous couvert des inspecteurs et inspectrices de l'Éducation nationale, et aux mairies aussi pour, d'une part, pointer les incohérences dans le protocole sanitaire et l'impossibilité de l'appliquer à la lettre, et demander un report de l'ouverture des écoles ; pour dire aussi une incompréhension devant cette décision d'ouvrir les écoles en premier alors même que les regroupements de plus de dix personnes sont toujours interdits, qu’il n’y aura pas de bars, pas de concerts mais mettre des enfants dans un même lieu ça c'est possible. Et puis par ailleurs l’idée était, non pas se dégager de responsabilités parce qu'on peut pas le faire, mais écrire noir sur blanc que, en cas de en cas de problème, en cas de reprise de la pandémie en partance des écoles, en aucun cas on ne pourrait être tenus pour responsables parce que nous on a bien dit qu’il ne fallait pas y retourner.
Culpabilisation des enseignants
Je vais vous parler de mon école, l’école Clignancourt, parce que c'est celle pour laquelle j'ai suivi tous les débats. On a décidé d'ouvrir l'école seulement pour 25 élèves, donc de respecter les préconisations de la maire Hidalgo sur les 10 à 15 % d'élèves accueillis. C'est possible parce qu'on a 6 enseignants qui veulent bien venir travailler – parce que les enseignantEs étant parfois aussi parents, ils ont la possibilité de mettre leurs enfants à l'école, ou pas puisque que la présence de l'enfant c'est sur la base du volontariat des parents. Donc pour l'instant la hiérarchie considère qu'un enseignantE parent peut décider de par sa qualité de parent de ne pas mettre son enfant à l'école et donc ça justifie qu’elle ou il travaille à la maison, en distanciel. C’est le choix qu’ont fait beaucoup d'enseignantEs qui d’une part n’ont pas envie de remettre leurs enfants à l’école et parce que c'est une façon de prendre un positionnement ou politique ou en lien avec les conditions sanitaires, sans pour autant se mettre en grève ou prendre le risque de se mettre en droit de retrait, puisqu’il n’est pas du tout dit que le droit de retrait soit accepté par la hiérarchie.
Mon analyse, mon ressenti, c’est qu'il y a une énorme culpabilisation qui est dirigée vers les enseignants parce qu'en fait si on refuse de participer à l'accueil massif des élèves dans les écoles, donc soit pour des raisons politiques ou liées à la situation sanitaire, alors eh bien nous ne sommes pas là pour nos élèves, on ne fait pas notre travail de réduction des inégalités, et donc au contraire on creuse les inégalités. On passera sur les considérations un peu plus un peu plus basses telles que on veut être en vacances tout le temps, on veut faire la jonction avec avec le mois de juillet… Et ça fonctionne chez beaucoup de collègues qui se sentent investiEs d'une mission qui est en fait d’aider les enfants pauvres qui sont dans les hôtels sociaux à revenir à l'école, alors même que dans leur protocole sanitaire les enfants ne seront pas dotés de masques à l'école, et donc ce sont les parents qui pourront les munir de masse pour aller à l'école mais encore faut-il pouvoir les acheter… donc là on voit que les arguments, à mon sens en tout cas, de la réduction de la fracture sociale et des inégalités pour justifier la réouverture des écoles sont en fait complètement fallacieux ! Par ailleurs cette impréparation a créé des tensions dans les équipes entre ceux qui voulaient ouvrir et ceux qui ne voulaient pas, donc ça crée un climat un peu délétère dans certaines écoles. Cette impréparation a créé aussi beaucoup d'incompréhension chez les parents d'élèves qui ont cru un moment que tous leurs enfants allaient être accueillis, ensuite on leur a dit que non parce qu'il y avait des règles de priorité en fonction des professions des parents et de la situation sociale des familles. Ils ont donc été assez déçus parce que leur employeur leur met la pression pour retourner travailler ou parce qu'ils ont envie retourner travailler, et ça c’est retombé beaucoup sur les équipes.
Cette rentrée, la semaine prochaine s'annonce donc très disparate en fonction des réalités locales, c'est un désengagement complet de la hiérarchie et de l'État qui fait que toutes les décisions sont rebalancés au niveau local et donc il y a une rupture complète de l’égalité dans l'éducation – avec en plus énormément de tensions dans les équipes. Donc nous verrons comment la rentrée va se mettre en place mais pour l'instant je pense que les premiers qui vont payer cette impréparation ce sont les élèves qu’on enverra à l'école.