Le dimanche 11 décembre, le ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer donnait une énième interview, lors du « Grand Jury RTL-LCI ». L’occasion de revenir sur sa « vision » de l’école.
Passant sur sa présence, la veille, à l’église Saint-Sulpice lors des obsèques de Johnny Halliday, Blanquer a notamment profité de cette interview pour affirmer la place centrale de la laïcité à l’école, sans souffler un mot sur la rallonge de 10 millions que l’État donne à l’enseignement privé (pris sur une ligne budgétaire de l’enseignement public). Par contre, il a déclaré que les mères voilées n’avaient pas leur place pour accompagner les sorties scolaires : un discours sur la laïcité qui n’est qu’un paravent pour réaffirmer des positions d’exclusion, conformes à sa vision très réactionnaire de l’école, et de la société.
Retour vers la 3e République
Blanquer s’est ainsi déclaré favorable à un retour à l’uniforme « dans les établissements qui le veulent ». L’uniforme n’a jamais supprimé les différences de classe sociale, ni ne les a rendues invisibles. Au contraire, le seul objet de l’uniforme est de formater les jeunes, y compris dans leur façon d’être. Il confirme qu’il est pour une dictée par jour dans le primaire et il impose une méthode de lecture à touTEs les enseignantEs : peu importe si de nombreuses études contredisent le ministre, il faudrait que les enseignantEs se mettent aussi au garde-à-vous…
Au passage, le ministre a déclaré qu’il interdirait les téléphones portables dans les établissements scolaires. La méthode peut étonner. Avant tout, parce que cette recommandation existe déjà. Mais surtout parce que cela est absurde. Soit on considère qu’il y a un « problème » dans la façon dont les jeunes utilisent leurs portables. Mais ce « problème » est-il seulement celui des jeunes ? Et dans ce cas, une éducation particulière est nécessaire sur ce thème. Ou bien, on doit accepter que le monde a changé et réfléchir collectivement à des pédagogies qui prennent en compte ces évolutions. Mais là-dessus le ministre ne veut surtout rien voir.
L’éducation nationale : une entreprise
Blanquer confirme la diminution de 20 % du nombre de postes aux concours d’enseignants, niant l’augmentation du nombre de professeurEs contractuels et l’augmentation importante du nombre d’élèves par classe. Et dans l’objectif d’améliorer la « gestion des ressources humaines » (sic) du ministère, Blanquer propose de mettre en place des primes au mérite. Comme si l’éducation relevait d’individus, et non de relations sociales collectives ; comme si l’apport d’un enseignantE pouvait être mesuré sur le temps court, là où toutes les études montrent que la pédagogie doit être évaluée sur le temps long.
Par contre, il n’a pas dit un mot sur le plan Vidal dans l’enseignement supérieur ou sur « Parcours Sup » qui met en place la sélection dans les universités. Pas un mot non plus sur la réforme du lycée, qui doit pourtant se mettre en place dès la rentrée 2018, ni sur la réforme du bac (dont il laisse pourtant entendre que ce sera un changement majeur). Il faut croire que sur ces sujets d’actualité le ministre n’a pas le temps non plus.
La logique Blanquer
Il serait faux de se limiter aux incohérences de façade de J.-M. Blanquer. En réalité, c’est la nouvelle façon de communiquer du ministère de l’Éducation nationale : multiplier les interviews et ne faire aucune (ou presque) communication officielle. Les personnels doivent en comprendre les sous-entendus. Mais au-delà de ce coup de com’, le fond du ministre reste de surfer sur le populisme et un fantasme de l’école de la 3e République. Et ce n’est pas seulement par malice que Marine Le Pen a récemment déclaré que Blanquer reprenait à son compte les propositions du FN sur l’école, ce qui constituait une « victoire idéologique » pour elle et son parti.
Voilà qui souligne, s’il en était besoin, l’urgence d’une réaction collective pour mettre un point d’arrêt aux réformes rétrogrades en cours, et lutter pour une école émancipatrice pour touTEs.
Raphaël Greggan