La nomination de Gabriel Attal en nouveau ministre de l’Éducation nationale, confirme ce que l’on savait déjà : il n’y a ni ministre ni ministère mais des relais communicationnels d’un président tout-puissant. Un président qui a fait de l’Éducation son domaine réservé pour développer son programme libéral.
C’est donc autour des abayas que le ministre a fait sa rentrée. Reprenant une recette qui marche : attaquer les musulmanEs pour affaiblir et diviser notre camp social. Un choix politique autant révélateur de la volonté de chasser sur le terrain des droites que de la nécessité de masquer les manques de moyens, la situation salariale des agentes et des agents et la politique éducative.
Avec 513 établissements « potentiellement concernés », sur plus de 59 000 sur tout le territoire, et moins de 300 situations à la rentrée, cette attaque vise à entraîner l’opinion publique derrière la politique du gouvernement et à occulter des mesures qui n’apportent aucune réponse au manque de moyens, à la situation salariale ni aux conditions de travail des personnels et d’apprentissage des élèves.
Un constat impitoyable, face auquel des fronts sont à ouvrir. Et tous sont liés car leur projet est global.
Lutter contre le front réactionnaire et du tri social
Faire sa rentrée scolaire autour de la question de l’abaya n’est pas qu’une opération de diversion. Dans la tripartition du champ politique actuel et dans le but de préparer les prochaines échéances électorales, le calcul politique macronien est simple : il faut aller séduire l’électorat de droite et de droite extrême sur son terrain favori tout en divisant notre camp, qui devrait être uni sur ces questions. Depuis désormais plus de 20 ans, ce sont les musulmans mais encore plus les musulmanes qui sont les bouc-émissaires tout désignéEs. Et au-delà du calcul, ce positionnement est largement partagé par la majorité.
Ce front réactionnaire s’exprime aussi dans la politique éducative qui s’est mise en place depuis le quinquennat. Le resserrement sur les fondamentaux, la négation de la spécificité de la maternelle, où les méthodes d’apprentissages sont trop loin du lire/écrire/compter cher aux réactionnaires, mais aussi la réforme annoncée de l’EMC, sont autant de preuves d’une vision rétrograde et passéiste de l’École et des apprentissages. Une vision qui s’accorde totalement avec l’islamophobie ambiante. Islamophobie sous couvert de laïcité. Mais une laïcité « défendue » par celleux qui la nient de façon constante et qui ne tient pas deux secondes à une analyse sérieuse des faits : depuis des années les cadeaux à l’école privée sous contrat et hors contrat, sont légion, à commencer par le financement et l’absence de toute obligation de mixité sociale.
Que ce soit par racisme anti musulman ou en prônant le recours à des méthodes favorisant les plus à l’aise avec l’école et les apprentissages, c’est une école ségrégative qui se renforce. L’objectif n’est même pas masqué. La reprise du concept de mérite, concept bourgeois qui justifie les inégalités par le mérite/les aptitudes/les efforts en niant tous les déterminismes sociaux, n’est qu’une justification d’un tri social organisé sur des bases territoriales, financières qui recoupent une base ethnique. L’école en système capitaliste ne vise pas l’émancipation de la majorité mais bien sa propre reproduction en faisant se perpétuer les oppressions systémiques de classe, de race, de genre. Et l’exécutif en est le principal défenseur. Affronter les mesures racistes en soutien des élèves mais aussi provoquer des moments collectifs avec nos collègues pour discuter du sens, en termes de valeurs, de nos métiers est une urgence pour agir politiquement contre ce modèle scolaire. S’il est peu probable qu’un mouvement de grève puisse se déclencher sur ces questions, diffuser partout l’idée de deux projets opposés et irréconciliables est un élément de fond nécessaire à la prise de conscience des personnels de la nécessité de lutter pour une autre École.
Lutter contre le front austéritaire, augmenter les salaires
Il est par contre deux autres sujets autour desquels le ministre se prononce de façon moins triomphante : les questions des salaires des personnels et de la crise de recrutement. Deux questions qui sont pourtant fortement liées. Loin de la promesse des 10 % d’augmentation pour toutes et tous, promesse à la fois non tenue et in fine gommée par l’inflation depuis deux ans, la situation sociale des profs mais encore plus des autres personnels, à commencer par les AESH, les AED, devient un obstacle indépassable au recrutement. Avec un salaire en début de carrière à 1,1 fois le SMIC pour un bac +5, avec une perspective entre 2 000 et 2 500 euros en milieu de carrière, ce sont plus de 3 000 postes qui, cette année, n’ont pas été pourvus. Et pourtant, cette année le nombre de postes offerts était encore en baisse…
La réponse du pouvoir, hormis quelques primes qui ne compensent pas l’inflation, s’est exprimée via le « pacte ». Un « pacte » avec le diable qui d’une part n’est qu’une nouvelle forme d’heures supplémentaires et d’autre part renforce le pouvoir hiérarchique, ce dernier pouvant en faire un outil supplémentaire de gestion. Cette mesure est rejetée majoritairement par la profession ce qui est bon signe. Et toutes et tous ont conscience qu’il faudra bien attraper cette question du recrutement par un bout. Si les salaires augmentaient, le métier pourrait redevenir attractif. Et donc les postes pourvus. Cela pourrait permettre d’enclencher des choses atour des conditions de travail notamment, mais aussi des remplacements, et donc sur les nécessaires recrutements supplémentaires.
La journée du 13 octobre, bien que tardive et pour l’instant se limitant à un appel à la « mobilisation » constitue une échéance à prendre au sérieux. Le secteur de l’Éducation Nationale est plus que légitime, de façon sectorielle, à prendre part à tous les appels pour augmenter les salaires, pour une autre répartition des richesses. Construire ce front nécessite un travail de fond qui doit commencer dès maintenant par convaincre de la grève et du rapport de force nécessaire : l’hypothèse d’une accumulation de luttes sectorielles, dans la fonction publique mais aussi dans le privé, portant toutes des revendications salariales et débouchant sur des appels larges n’est pas à exclure. Il s’agit même d’initiatives à construire…
C’est par ailleurs une question hautement politique : qui produit la richesse, qui en profite. Cette question que posaient déjà les Gilets jaunes il y a cinq ans. Et qui ne peut que fragiliser ce pouvoir.
Lutter contre le front autoritaire, en finir avec le management et la sélection
Une précarisation croissante des personnels et une politique éducative hautement ségrégative ne peut se faire qu’en développant le mode de management et de sélection adéquats.
En primaire le renforcement du pilotage par les résultats, via les évaluations nationales, a pour but de mettre sous tutelle la pratique enseignante en imposant méthode d’apprentissage comme de remédiation. Cette prolétarisation du métier, instaurant un « mode d’emploi » enseignant, est une atteinte fondamentale à la liberté pédagogique. Mais ce pilotage favorise aussi les écoles « en réussite », auxquelles seront alloués plus de moyens ce qui renforcera d’autant leurs réussites futures… Tout est fait au détriment d’un service public à moyens égaux et objectivés sur des bases sociales.
La réforme annoncée de la carte des REP+ obéit aux mêmes logiques d’autonomie et de mise en concurrence des établissements.
C’est d’ailleurs dans cette logique managériale que la direction d’école a évolué en donnant aux directeurs l’autorité sur l’équipe, alors qu’elles et ils restent professeurs des écoles, ce qui les isolera, tout en étant soumis à l’approbation de la Direction académique qui a le pouvoir de révoquer librement.
La réforme des LP qui se met en place répond aux mêmes principes. Elle a pour but d’offrir une formation générale de moins bonne qualité à des élèves victimes d’un tri social accéléré et au service des besoins fluctuants du patronat.
Tout ceci s’accompagne, sur fond d’austérité organisée, d’attaques frontales sur le statut. Le développement du recrutement de contractuelLEs, le profilage des postes et du mouvement des personnels dans le premier degré, le pacte individualisant le rapport hiérarchique sont autant d’outils de management permettant une remise en cause à moyen et long terme du statut.
Le pacte pose par exemple un cadre de contournement du statut : il ouvre des modalités de rémunération et de définition des missions en dehors de toute règle statutaire.
Quant aux contractuelLEs, iels servent à la fois « d’armée de réserve » pour une institution déficitaire mais aussi d’outils de gestion dans une mise en concurrence avec les titulaires aux conditions de mutation et d’affectation de plus en plus compliquées. Le tout, au détriment des élèves…
Comme sur les valeurs, les questions de statut et de transformation structurelles des établissements, cette gestion libérale du service public d’éducation, doit être un objet de conscientisation fort. Et aider à nourrir la contestation.
Ouvrir tous ces fronts est une tâche prioritaire. Gageons que le discrédit présidentiel toujours au plus haut depuis le Covid et l’épisode des retraites permettra d’agglomérer les colères et de les faire converger.