Le début de la période estivale, c’est le bon moment pour annoncer des chiffres qui devraient affoler les usagerEs de l’Éducation nationale que sont toutes les familles avec enfants en âge d’être scolarisés. Familles que le gouvernement fait pourtant mine de cocooner, du moins quand il s’agit d’utiliser leurs angoisses légitimes contre les personnels tentant de défendre leurs conditions de travail.
Les chiffres sont implacables et inédits, annonçant une pénurie d’enseignantEs, mais pas uniquement, qui va avoir localement des résultats catastrophiques pour l’accès à l’éducation. D’après les chiffres du ministère, sur les 23 571 postes offerts aux différents concours de recrutement d’enseignants, seulement 19 838 postes ont été couverts. Ce sont 16 % des postes qui restent vacants cette année, un taux tout à fait inédit. D’après ces seuls chiffres il manquerait à la rentrée près de 4 000 enseignantEs par rapport aux prévisions. Mais ces chiffres sont, d’une part, très largement sous-estimés, et de plus, ne donnent pas une idée précise de leurs répercussions inégales, suivant les zones géographiques et donc immanquablement, les milieux sociaux qui y vivent.
Au-delà des chiffres
19 838 personnes ayant réussi les concours, ce qui ne signifie pas 19 838 personnes de plus. En effet, parmi elles, il y a des enseignantEs contractuels déjà en poste qui ont obtenu un concours. Mais il y a également des candidatEs qui ont obtenu deux concours (par exemple, l’agrégation et le CAPES ou le CAPES et le PLP), et qui, bien sûr, ne vont pas se dupliquer pour tenir deux postes. Enfin, le nombre de postes ouverts aux concours ne prenaient pas en compte le nombre d’enseignantEs ayant quitté l’Éducation nationale, qui est en hausse sensible. En 2020-2021 il y a eu 2 286 départs d’enseignantEs, probablement davantage cette année. « On a fait le choix de développer une gestion individualisée alors on doit respecter les envies des professeurs », dit-on au ministère…
Et il faut également prendre en compte toutes les demandes de temps partiels divers allant jusqu’au mi-temps annualisé, qu’il faudra également compenser. Départs et temps partiels qui marquent le désarroi de salariéEs qui cherchent à souffler ou s’orienter vers d’autres métiers du fait des transformations profondes de leur métier sous l’effet des réformes structurelles qui se succèdent et s’accumulent dans tous les cycles de l’école. Ce qui signifie que ce sont au moins 6 000 personnes qu’il va falloir recruter, dans l’urgence, et sans formation préalable, autre que quelques jours, a priori en distanciel promis par le nouveau ministre, histoire de prétendre prendre en charge le problème.
Inégalités entre académies
Cette pénurie ne se répartira évidemment pas « harmonieusement » sur tout le territoire et dans toutes les disciplines, même si la nouveauté est qu’il manque des postes dans presque toutes. Dans les collèges et lycées, certaines matières étaient déjà notoirement déficitaires, en particulier les disciplines scientifiques si peu attractives au regard d’autres débouchés professionnels. Mais c’était également le cas d’options spécifiques comme les lettres classiques (latin-grec), l’allemand, les arts plastiques et la musicologie. Or ce sont de nouveau ces concours qui ont le plus de postes non pourvus. Il faudra donc trouver encore plus de contractuelEs précisément dans les disciplines dans lesquelles il y en déjà le plus. Sinon l’alternative est d’augmenter le nombre d’élèves par classes donc de dégrader les conditions de travail des enseignantEs et des élèves et donc de détourner de ces disciplines, sauf dans les établissements les plus sélectifs…
Quant au 1er degré, les postes non pourvus sont concentrés sur les académies de Créteil et Versailles : 800 et 700 contractuelEs à recruter pendant l’été, sans compter celles et ceux déjà en poste et qui vont lâcher l’affaire ou qui ont eu un concours. Ces deux académies qui comptent le plus grand nombre de ce qu’il reste de zones d’éducation prioritaire, les enfants vont donc être encore plus pénalisés, avec au mieux des enseignantEs non formés, entassés plus nombreux par classe, et sans remplacement en cas d’absences maladie… Alors face à de telles conditions de travail, pas sûr que les petites améliorations salariales promises par les rectorats suscitent tant de vocation.
Une politique délibérée du gouvernement
Mais dans l’Éducation nationale, comme dans le système hospitalier avec la pénurie de soignantEs, la médiatisation du manque d’enseignantEs cache le manque généralisé de personnels. Ainsi, pour les AESH qui accompagnent les enfants en situation de handicap, rien que dans le 93 il manque 1 300 postes, et le nombre de recrutements est inférieur au nombre de démissions. Des centaines de postes d’assistantes sociales, d’infirmières et de psychologues scolaires sont restés vides toute l’année sans que les annonces aient réussi à les pourvoir. Les assistantEs d’éducation ont enfin obtenu la possibilité d’un CDI pour celles et ceux qui en font un métier et non un job étudiant. Mais à cette étape, comme pour les AESH, sans déroulement de carrière ni garantie de l’emploi que représente le statut de fonctionnaire.
Alors, il s’agit bien d’une politique délibérée de la part du gouvernement, qui déroule avec Pap Ndaye, dans la continuité de Blanquer, son projet d’une école de la méritocratie, avec comme colonne vertébrale : supprimer les moyens et les concentrer sur les établissements qui formeront les cadres dont l’économie a besoin. Et en parallèle, réduire au strict minimum pour les enfants des milieux populaires, futurs exécutants, avec de moins en moins de personnels formés et de plus en plus de contractuelEs précarisés qui iront ailleurs à la première opportunité.
Défendre un projet d’école publique, garantissant à chaque enfant sur tout le territoire l’accès à l’éducation et au libre choix sera un enjeu des mois qui viennent. Il se déclinent dans des revendications de formation des personnels, d’augmentation généralisée des salaires et de garantie d’un emploi à temps plein pour toutes et tous.