Le secteur de l’université et de la recherche subit une accumulation d’attaques organisées dans le cadre du processus de Bologne depuis 1999. Les conditions d’étude en sont profondément dégradées et les conditions de travail pour les personnels se rapprochent rapidement de la norme dans cette société, avec son lot de précarité et de management par le stress. Mais ces attaques ont suscité de fortes résistances, s’inscrivant dans le renouveau des luttes dans tous les secteurs depuis 1995. L’université a participé activement à certaines d’entre elles : la LMD1 en 2003, le CPE2 en 2006, la LRU3 en 2007 et 2009... Pour 2,3 millions d’étudiants, les universités sont un lieu de reproduction sociale mais aussi un lieu d’émancipation par l’accession à des outils de connaissance et, régulièrement depuis une dizaine d’années, par les expériences de lutte. Les universités et les laboratoires de recherche sont aussi le lieu de travail de plus de 130 000 salariés, souvent regroupés sur de grands sites de production de connaissances. Cette production est vitale pour les grands groupes industriels, en particulier dans une situation de crise du capitalisme. La place de l’enseignement supérieur dans le système capitaliste est donc toujours sous tension. Pour le patronat, les universités et la recherche sont à la fois un service public qu’il faut réduire au minimum et dont les parties rentables doivent être privatisées, une immense source de recherche et développement quasi gratuite, un fournisseur de main-d’œuvre formée et de plus en plus formatée. Pour nous, c’est un des rares lieux où l’aspiration à une production collective et non marchande est encore vivante. 1. Licence-master-doctorat.2. Contrat première embauche.3. Loi relative aux libertés et responsabilités des universités.
IUFM
Cette année, l’Institut universitaire de formation des maîtres (IUFM), devient une institution qui expérimente la masterisation. Avec en plus un contexte de mise en concurrence des universités,cela pourrait être drôle si ce n’était pas dramatique. En effet, les étudiants passant les concours de l’enseignement ne sont plus en IUFM mais désormais en master. Ils ne sont autorisés à passer le concours qu’en début de deuxième année de master (bac + 5). Cette année-là, en plus de préparer l’écrit et l’oral, ils doivent valider un master, écrire un mémoire et faire plusieurs semaines de stage dans les classes. Bien sûr, étant donné le nombre de postes, les heureux élus en fin d’année seront peu nombreux… Dans le même temps, cette rentrée inaugure l’apprentissage de la concurrence. L’ex-IUFM de Lyon, désormais intégré à Lyon 1, propose des masters « Professeur des écoles », mais c’est aussi le cas des universités Lyon 2 et Lyon 3, de l’université catholique et aussi de Forprof, une boîte privée qui fait son apparition. Bilan, le nombre d’inscriptions à l’ex-IUFM est en chute libre. Pour les masters Capes (concours des professeurs du collège et du lycée), on pensait avoir résisté à la mise en concurrence en passant des accords avec Lyon 2 et Lyon 3. Mais pour que ces accords fonctionnent, il faudrait mutualiser les moyens, ce qui est complètement impossible quand les universités sont en concurrence. Ainsi, on se retrouve avec des élèves sans les salles ni les polycopiés dont ils et elles ont besoin.
Personnel non enseignant : management par le stress et précarité
RGPP1, LOLF2, loi LRU,… signifient pour les personnels non enseignant (Biatoss3) la destruction du statut de fonctionnaire, des droits, de l’égalité de traitement. L’évaluation et l’entretien professionnel, en tête à tête avec son supérieur, permet de justifier les décisions d’avancement, voire de recul de carrière. Plus « vicieux », l’agent doit se fixer lui-même des objectifs, et en tirer les conclusions s’ils ne sont pas atteints. La loi LRU donne aux présidents d’université un pouvoir discrétionnaire sur les nominations, les carrières, les rémunérations. L’accroissement de la part des primes et la réduction du salaire stable renforcent les inégalités. La prime liée aux fonctions et aux résultats (PFR), pour laquelle un accord a été signé entre l’Unsa et le gouvernement, permet aux directions de jouer sur la masse salariale. La remise en cause des statuts de l’administration et des bibliothèques, vers un seul statut du supérieur, non pour harmoniser vers le haut mais pour réduire certains droits, les regroupements avec les instituts de recherche, vont accélérer redéploiements et suppressions d’emplois. Management par le stress, polyvalence, mobilité imposée vont devenir la règle. Le projet de loi sur la mobilité permet de licencier des fonctionnaires et de faire appel à des entreprises d’intérim. La loi LRU accroît le recours à des CDD. La précarité (déjà un tiers du personnel dans les universités) et le stress vont devenir la norme, dont on a vu les ravages dans d’autres secteurs publics comme France Télécom. 1. Révision générale des politiques publiques.2. Loi organique relative aux lois de finances.3. Bibliothécaires, ingénieurs, administratifs, techniciens, ouvriers, de service et de santé
La mort annoncée du CNRS
Depuis plusieurs années, les missions du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) lui sont retirées une à une. L’évaluation est maintenant effectuée par une agence spécialisée, l’Aeres, et une deuxième, l’ANR, a été créée pour distribuer les budgets... Si l’on y ajoute la réduction importante de postes qui s’effectue chaque année et le découpage en petits morceaux de l’institut qui est à l’œuvre... le CNRS semble n’avoir plus longtemps à vivre. Le CNRS a été créé après la Seconde Guerre mondiale. Le but était de créer une recherche indépendante des mandarins et de pouvoir dégager une politique scientifique nationale. Par ailleurs, cela permettait de sortir les jeunes chercheurs de la précarité. L’évolution actuelle va exactement dans le sens inverse, remettant en cause les batailles de nos prédécesseurs. Bien sûr, le CNRS, tel qu’il fonctionne aujourd’hui, est loin d’être parfait. Ces missions sont de plus en plus mal remplies, notamment à cause d’un manque de moyens. Mais l’avenir dessiné aujourd’hui pour le CNRS est son extinction pure et simple : évaluation Aeres, financement par l’ANR et recrutement de personnels universitaires qui n’auront que des délégations ponctuelles au CNRS. Dans ce cadre, les réformes ne répondent à aucun des problèmes que l’on peut diagnostiquer et engendrent un retour en arrière en ce qui concerne l’indépendance, la précarité des personnels et l’absence de politique scientifique concertée. Le CNRS sera bientôt une simple agence de moyens, les financements seront attribués par des agences non élues et les laboratoires pilotés selon des pratiques managériales. Il faut donc absolument s’opposer à cette évolution des choses. Pourtant, nous avons des propositions. Il est nécessaire que les instances gérant le financement, l’évaluation et le recrutement soient élues et indépendantes des petits pouvoirs locaux. Nous demandons des instances nationales élues et indépendantes des facs pour le financement, l’évaluation, ainsi que des budgets récurrents qui financent la majorité de nos recherches.
Pour une recherche sans patrons
La recherche doit être la somme d’une production complètement libre qui est la plus efficace pour faire avancer la connaissance et d’une production dirigée par les besoins sociaux. Ainsi, nous luttons aujourd’hui contre la mainmise des entreprises sur la recherche parce que nous refusons que le marché contrôle la production des connaissances et parce que nous savons qu’une partie non négligeable de la recherche doit être complètement libre si nous voulons être efficaces. Mais nous ne nous opposons pas pour autant à tout contrôle sur la recherche. Favoriser la recherche sur les énergies renouvelables ou les médicaments génériques plutôt que sur le nucléaire ou les OGM est une décision politique totalement légitime qui doit être prise avec l’ensemble de la population. Le contrôle démocratique de la recherche est une des raisons pour lesquelles nous nous battons pour une base de connaissances toujours plus riche, contre les filières trop spécialisées qui ne préparent qu’à une tâche et pour la démocratisation des études supérieures. Les bases de l’université et donc de la société que nous voulons construire se posent dès aujourd’hui. C’est à cause de cette analyse que nous nous battons pour la démocratisation de l’enseignement supérieur et contre les réformes actuelles. C’est aussi pour cela que nous défendons dans les luttes l’auto-organisation, le partage des tâches et des savoirs et la remise en cause des hiérarchies...
Auto-organisation
L’université a accumulé, dans les dernières années, une expérience importante en termes d’auto-organisation : à travers les mobilisations étudiantes, puis en 2009 lors de la mobilisation des personnels des facs et des labos, avec la mise en place d’une Coordination nationale des universités (CNU). C’est dans le cadre d’assemblées générales locales que la grève a été votée et qu’ont été élus des mandatés pour la CNU. En rassemblant organisations syndicales, délégués syndiqués ou non syndiqués élus dans les assemblées générales, la CNU a réussi à être l’expression directe et démocratique du mouvement dans son ensemble. À l’image du mouvement, elle fut d’abord composée d’enseignants-chercheurs pour devenir un outil indispensable dans la construction de l’unité entre enseignants-chercheurs, Biatoss et étudiants même si les enseignants restèrent largement majoritaires. La pratique des coordinations étudiantes des mouvements des années précédentes a eu une réelle influence dans la constitution de la CNU. Elle est composée d’un front large, mais, malgré cette pluralité, elle a porté des revendications de plus en plus radicales au fur et à mesure de l’intensification de la mobilisation. De la revendication du retrait du décret modifiant le statut des fonctionnaires, s’est développée dans les milieux mobilisés la conviction que toutes ces attaques avaient pour origine la LRU et que c’était contre cette loi qu’il fallait se mobiliser. À ces revendications, se sont alors ajoutées les revendications des personnels non-enseignants, des étudiants, des doctorants… Par ailleurs, afin d’organiser la lutte entre les différentes coordinations, la CNU a su se doter de porte-parole ayant pour mandat d’organiser les temps de la lutte (pas pris en charge dans la pratique puisque les dates de manifestations restèrent décidées par l’intersyndicale du supérieur), de communiquer sur la base des motions votées en coordinations (sans mandat impératif contrairement aux porte-parole étudiants) et d’organiser à l’échelle nationale l’élargissement interprofessionnel du mouvement. Les initiatives des porte-parole ont permis une relative reconnaissance de la part des directions syndicales (inédite depuis le CPE). La CNU a pu à des moments déterminants prendre des initiatives pour s’adresser à d’autres secteurs, à l’ensemble de l’éducation ou aux hôpitaux et tenter d’élargir ce mouvement (notamment la manif avec les personnels de santé le 28 avril, à Paris). Cette expérience, nous devons la faire vivre en saisissant toutes les occasions de nous réunir en collectifs, en assemblées générales, afin de décider de prendre notre sort en main nous-mêmes, directement et immédiatement.
La hiérarchisation des tâches
La distinction entre « travail manuel » et « travail intellectuel » est distillée dans nos esprits de la maternelle jusqu’aux derniers niveaux de l’université. Aujourd’hui dans les labos comme à l’université, il y a une vraie hiérarchie des statuts. Les précaires n’ont pas les mêmes droits que les permanents ; les personnels administratifs et techniques se retrouvent souvent « au service » des enseignants et des chercheurs. Cette hiérarchie se retrouve évidemment dans les conditions de travail et dans les salaires mais aussi dans le statut social au sein même de l’institution. Une hiérarchie qui reprend la division sexuelle du travail : si la majorité écrasante des secrétaires sont des femmes, elles ne sont que 8 % des professeurs des universités. Dans l’université que nous voulons, comme pour toute la société, nous pensons qu’il faut articuler la question des aspirations de chacun avec celle de la répartition des tâches. Tout travail nécessite un savoir-faire et les tâches ne sont donc pas toujours immédiatement interchangeables. Mais cela ne justifie pas que certaines tâches valorisées soient prises en charge exclusivement par certaines personnes tout au long de leur vie. Par ailleurs, nous pensons que ces tâches ne doivent pas être hiérarchisées et que chaque travailleur mérite la même reconnaissance sociale et un même droit aux prises de décision. Il n’y a, en effet, aucune raison pour que le fait d’être chercheur donne droit à un pouvoir supplémentaire dans la gestion collective de l’université.
Les propositions du NPA
Programme d’urgence- Abrogation des contre-réformes : LRU et Pacte pour la recherche, LMD, Contrat doctoral unique et Masterisation.- Dissolution des agences de mise en concurrence ANR et Aeres. - Sortie du processus de Bologne et de la stratégie de Lisbonne.Statut des personnels- Titularisation massive de tous les précaires dans la fonction publique.- Pas de salaire en dessous de 1 500 euros net, augmentation de 300 euros pour tous. - Embauche dès le début de la thèse, avec un statut de fonctionnaire, sans cloisonnement des carrières (ingénieur, administratif, enseignant, chercheur...).- Financement pour tous les doctorants : augmentation du nombre de financements de thèses. Statut des étudiants- Allocation d’autonomie au niveau du Smic.- Construction massive de résidences pour un logement étudiant décent pour tous.- Maintien du cadre national des diplômes, reconnaissance de ces diplômes dans les conventions collectives. - Des papiers pour tous les étudiants : carte d’étudiant = carte de séjour.- Mise en place de crèches pour les personnels et les étudiants dans les universités.Recherche- Financement récurrent des équipes pour mettre en place une recherche dans la durée. - Financement sur projet pour les nouvelles pistes ou thématiques, pour les nouvelles collaborations et les jeunes chercheurs.- Constitution d’un grand service public de l’enseignement supérieur et de la recherche.