Publié le Dimanche 24 février 2013 à 11h08.

Refondation de l'école : la continuité, c'est maintenant !

Hollande avait affirmé faire de l’école une priorité de son quinquennat. Les projets de loi concernant l’éducation (loi sur la refondation, décret sur les rythmes, loi sur l’enseignement supérieur et la recherche) répondent à deux impératifs : d’une part, donner un habillage pédagogique à la diminution du coût de l’éducation pour l’État. D’autre part renforcer la logique capitaliste et réactionnaire, ainsi que celle d’une école à deux vitesses.

Alors que 77 000 postes d’enseignantEs ont été supprimés ces dix dernières années, le gouvernement n’en recrée aucun. Il ne fait qu’un plan de maintien de 60 000 postes sur cinq ans correspondant aux départs en retraite… La conséquence est immédiate : les conditions d’étude et de travail se dégradent, les classes sont surchargées, les enseignantEs et les jeunes épuiséEs…École du socle = École de classeLa loi sur la refondation donne une justification à un tel fonctionnement. Il s’agit de renforcer l’école du socle commun, c’est-à-dire une école où l’on enseignera un minimum pour touTEs et où celles et ceux qui auront les moyens, intellectuels et financiers, pourront apprendre plus. On est dans la continuité de la loi d’orientation Fillon de 2005. Le changement ne porte que sur l’ajout du mot culture au socle commun de connaissances. Il s’agit maintenant de réduire les programmes enseignés pour qu’ils soient en cohérence avec le socle.L’autonomie des établissements est renforcée, tant sur le plan pédagogique (de manière à pouvoir avoir un enseignement différent en fonction du public) que sur le plan économique. Cela fait suite à l’autonomie des universités du précédent gouvernement. Et l’on peut dire que c’est une réussite : un quart (au moins) des universités sont en faillite !Le décret sur les rythmes s’inscrit également dans cette logique : on donnera moins d’éducatif aux jeunes scolarisés dans les villes pauvres…Renforcer le patronat et son fonctionnementLes chambres de commerce en rêvaient, Peillon le met en place. La loi d’orientation régionalise l’orientation des jeunes et augmente les liens avec le patronat local. Ainsi, les entreprises trouveront des employéEs, forméEs aux frais de l’État dans le collège ou le lycée d’à côté. Et peu importe ce que veulent faire les jeunes, ou si le département est sinistré par le chômage…S’inspirant des méthodes du privé, la loi d’orientation continue à casser le statut de fonctionnaire enseignant, renforçant le statut du directeur d’école, créant des conseils école-collège, dont la finalité n’est que de faire des économies de structure (une seule administration) et à aucun moment une réflexion pédagogique sur le passage CM2-6e.La réaction au pouvoirCe dernier point occupe une place particulière dans le cœur de Peillon : la morale laïque. Voilà ce qui va remettre les jeunes (et les enseignantEs) dans le droit chemin.Enfin, sur le passage des concours à bac+5 (la mastérisation), la loi maintient et empire ce qu’avait fait la droite, en instaurant la précarité dès le recrutement des enseignantEs…En bref, Peillon s’inscrit dans la continuité des réformes précédentes et les renforce. C’est pourquoi nous sommes pour le retrait de cette loi, l’abrogation du décret sur les rythmes et de la loi Fioraso.Histoire : aux origines de la réorganisation de l’écoleL’école est contradictoire. Elle est un enjeu depuis sa naissance de forces sociales opposées, entre les missions que lui avait donnée la bourgeoisie de la IIIe République et les avancées issues des rapports de classes de 1936, de 1945 et des années 60.Tout au long du XXe siècle, la massification du primaire, du secondaire et même du supérieur va accompagner les aspirations de la majorité des gens à l’élévation du niveau d’étude de leurs enfants. Elle répond surtout aux besoins du patronat pour qui un niveau de formation élevé devait alors entraîner un fort niveau de productivité du travail et permettre aux salariéEs de s’adapter plus facilement aux évolutions technologiques.En 1950, la moitié des enfants prolongeaient leurs études au-delà de 14 ans ½. En 1999, la moitié des jeunes continuent des études après 21 ans.Le tournant de la criseMais le retournement de conjoncture à la fin des années 70 va obliger les dirigeants à réorganiser la production. Le sens des réformes qui suivront sera de casser la logique infernale pour la bourgeoisie d’avoir à payer des salariés « trop qualifiés ». Pour sérier les qualifications dont elle a besoin, elle doit restaurer l’orientation. Pour réduire les coûts de la scolarisation, l’État doit la privatiser.Les années 90 engage nettement le processus mais ce sont les années 2000 qui vont connaître une accélération de la démarche avec, au nom de la globalisation, l’objectif d’intégrer l’éducation au champ d’application de l’Accord général sur le commerce et les services (AGCS) qui prévoit la privatisation généralisée des services jusqu’alors publics.Employabilité et projet professionnelEn termes de conséquences sur les contenus de l’enseignement, c’est le rapport Thélot, en 2004, qui est le plus explicite. C’est un condensé de toutes les réformes initiées depuis plus de 20 ans. L'augmentation de la durée moyenne de scolarisation depuis plus d'un siècle devient aujourd'hui inutile pour la classe dirigeante. L’Éducation nationale doit donc former les futurs ouvriers et employés de demain à des savoir-être de base et des savoir-faire utiles à leur employabilité. La prolongation de la scolarité devient donc obsolète pour la majorité des élèves qui sera appelée à occuper des emplois à « qualification d'ordre comportemental ou relationnel ». D'où l'importance accordée au fait que les jeunes soient de plus en plus tôt en contact avec l'entreprise, partenaire majeur pour inciter les moins performants à « choisir » une formation en alternance, un projet professionnel plutôt qu'une formation initiale « trop théorique ou trop abstraite ».Les enseignantEs se heurtent de plein fouet dans leur quotidien à cette situation : 77 000 postes supprimés, fichage des élèves au travers de bases de données, autonomie des établissements du secondaire, pédagogie de l’évaluation, Livret personnel de compétences, réforme de l’enseignement technique, réforme du statut des enseignants-chercheurs, conséquence de la Loi sur la responsabilité des universités (LRU), et enfin réforme du recrutement et de la formation des professeurs.Après 8 mois de gouvernement PS, force est de constater que la stratégie en matière éducative sera inchangée: les postes ne seront pas récupérés et la logique de la sélection et de l’orientation précoce demeure.Primaire : ras-le-bol dans les écolesLes écoles primaires ont subi, tout particulièrement ces dernières années, les réformes du gouvernement Sarkozy. Et ça continue!La dégradation accélérée des conditions d’enseignement a amené le premier degré au bord de l’explosion : la semaine de 4 jours instaurée par Darcos, alourdie par l’aide personnalisée pour les enfants rencontrant des difficultés et justifiant le démantèlement des Rased ; le pilotage par les évaluations, le Livret personnel de compétences, le fichage renforcé des élèves avec Base élève et autres fichiers ; la disparition progressive de l’aide administrative à la direction d’écoles ; la régression massive de l’accueil des moins de 3ans en maternelle ; l’individualisation des parcours ; la disparition de la formation…L’école s’est vidée en quelques années de ses objectifs et pratiques qui tendaient à l’épanouissement des élèves et à la réduction des inégalités, pour au contraire les aggraver en augmentant la difficulté scolaire et devenir une école du tri social, normative, valorisant les « talents » et le « mérite ».Les enseignantEs ont subi une dégradation de leurs conditions de travail : journée allongée par l’aide personnalisée et ne permettant plus le temps de la concertation, charge de travail aggravée par les évaluations nationales et les nombreuses injonctions administratives sous pression croissante de la hiérarchie…Une goutte d’eau dans un océan de besoinsL’annonce de Peillon de faire du primaire sa priorité a suscité des espoirs… vite déçus, comme en témoigne le coup de colère et la grève massive du 12 février dans les écoles.La création de postes pour la rentrée prochaine (14 000 dans les écoles) ne fait que remplacer les départs à la retraite, absorber l’augmentation du nombre d’élèves et restera à terme très inférieure au nombre de postes supprimés ces cinq dernières années. Elle n’aura aucune incidence sur les effectifs des classes. La promesse du « plus de maîtres que de classes » se réduit à une peau de chagrin et se limite à des secteurs restreints.Quant aux Rased, la loi d’orientation les ignore. Il n’y a toujours pas de remise en question des zones Eclair, zones d’expérimentation de la déréglementation, de l’individualisation et du mérite, de la concurrence entre élèves et entre enseignants.Et le décret sur les rythmes scolaires vient de mettre le feu aux poudres. Imposé sans consultation des enseignantEs, il est avant tout le révélateur des ravages opérés sur l’école ces dernières années. Les enseignants veulent une réforme des rythmes, mais ils veulent surtout que soient rétablies les conditions de sa réussite, c'est-à-dire des postes, moins d’effectifs dans les classes, la restauration des Rased, du remplacement, un allègement des programmes, une baisse du temps de travail pour permettre la concertation, de la formation…Secondaire : maintien des reculs, vers de nouvelles attaquesSi le projet de loi d’orientation sur l’école ne suscite, pour l’instant, pas de mobilisations dans le second degré, il n’en demeure pas moins un mauvais coup pour les personnels et la jeunesse.Le gouvernement confirme l’ensemble des « réformes » votées sous Chirac et Sarkozy. Toutes les mesures depuis la loi Fillon 2005 sont conservées. À commencer par le socle commun de compétences, dont une mouture « rénovée » (un vernis de culture) est en préparation. En attendant, la notion de compétence est omniprésente dans le code de l’éducation, tandis que le socle commun est érigé en « principe organisateur de l’enseignement obligatoire ».Les contenus des programmes seront revus de même que le brevet puis le Bac, en fonction du socle. Pour le reste, les « réformes » des trois voies du lycée sont maintenues, de même que le cadre de la « mastérisation ».Attaques contre le statut, éclatement du cadre nationalUn conseil école-collège serait créé avec possibilité que « certains enseignements ou projets pédagogiques soient communs à des élèves du collège et des écoles ». La porte ouverte vers une définition locale des services (contradictoire avec la monovalence des enseignantEs en collège) et un pas décisif vers les « écoles du socle ».Notons également la substitution aux disciplines artistiques de « parcours » s’inscrivant « dans le cadre d’un partenariat avec les collectivités territoriales ». De même, la « découverte du monde professionnel » est proposée pour chaque élève dès la sixième, par les enseignants, avec l’appui des entreprises !Parallèlement, le transfert programmé des cartes de formations professionnelles initiales et de l’orientation aux régions constitue une attaque contre le statut national des COPsy (conseillerEs d'orientation – psychologues) et des PLP (professeurs des lycées professionnels) et confirme la volonté du gouvernement d’avancer vers des formations en fonction des besoins patronaux.Enfin, la loi d’orientation entend associer les collectivités locales à l’État et aux établissements par des contrats d’objectifs tripartites et renforcer leur présence dans les conseils d’administration. Une manière de soumettre les établissements aux besoins locaux.Décentralisation : contre les travailleurs et la jeunesseLe projet de loi Lebranchu, acte 3 de la décentralisation, s'articule aux projets éducatifs du gouvernement pour morceler les conditions de travail des personnels, accentuer la soumission au intérêts privés, et réaliser des économies budgétaires qui renforcent les inégalités.Mise à mal des conditions de travail et des défenses collectivesDepuis leur décentralisation en 2004, les agents techniques de l'Éducation nationale ont subi des politiques différentes suivant leur collectivité de rattachement. Par exemple, en 2011, la région Île-de-France a accentué la flexibilité sur leur temps de travail. Différentes politiques de primes instaurent des différences salariales d'une collectivité à l'autre. Cette dispersion rend compliqué la construction de luttes d'ensemble des personnels et affaiblit le rapport de forces.Soumission de l'orientation et de la formation professionnelle aux intérêts privés locauxLe projet de loi Lebranchu prévoit de faire des régions les « chefs de file du développement économique ». Animées par cet objectif, les régions établiront, en lien avec les représentants du patronat local, la carte des formations professionnelles, et géreront les centres d'information et d'orientation. Autrement dit ce sont les patrons locaux qui détermineront l'orientation des élèves et leur formation en fonction de leurs besoins immédiats.Destruction des services publics à des fins budgétairesEnfin, le contexte est marqué par l'austérité budgétaire et la volonté des gouvernements de faire payer la crise aux travailleurs, actifs, au chômage ou en formation. Dans ce cadre, les transferts de compétences aux collectivités territoriales ne peuvent que dégrader les services publics, d'autant plus quand ils s'accompagnent d'une baisse drastique des dotations (- 1,5 milliard d'euros pour 2014 et la même somme en 2015, beaucoup plus que ce qui était prévu).Les professeurEs des écoles ont raison de se battre contre le décret sur les rythmes scolaires et les projets éducatifs territoriaux qui mettent à mal l'égalité face au contenus éducatifs, au sein des écoles.Le NPA combat cette décentralisation menée au prétexte de rendre les services publics plus efficaces. Pour renforcer les services publics, il faut commencer par créer 1 million de postes et arrêter la dislocation des statuts. Pour prendre en compte les besoins des usagers et des personnels, ce sont eux-même qui doivent gérer et organiser les services publics. Pas les régions et encore moins les patrons !Mobilisation : abroger le décret sur les rythmes scolairesLes enseignantEs du premier degré sont fortement mobiliséEs depuis plusieurs semaines contre le décret sur les rythmes scolaires. Cette mobilisation s’est construite à contre-courant.La direction du SNUipp, premier syndicat dans le premier degré, n’avait pas l’intention de mobiliser contre la loi d’orientation et le décret sur les rythmes scolaires, puisqu’elle y voit des avancées à confirmer. Le mouvement a donc été impulsé par des enseignants, à la base, dans des écoles parisiennes lorsque le maire de Paris a annoncé vouloir appliquer la réforme dès la rentrée 2013.Contrairement aux déclarations du ministre, le décret n’améliorera pas les rythmes des enfants, puisqu’ils auraient des journées toujours aussi longues avec les activités périscolaires. En revanche, ce serait un premier pas dans la territorialisation de l’enseignement, remettant en cause l’égalité de droits entre les élèves. En outre, cela dégraderait les conditions de travail des personnels. La grève historique du 22 janvier sur Paris, suivie par près de 90% des enseignants du primaire, a montré l’ampleur du rejet. Plusieurs départements ont rejoint la mobilisation allant parfois à l’encontre de la direction des sections départementales du SNUipp. Cela a contraint les directions syndicales à appeler à une grève le 12 février qui a été très suivie : 58 % de grévistes au niveau national et plus de 80 % dans plusieurs départements.Des débats autour des rythmes scolairesLe milieu enseignant reste très divisé sur la manière dont devrait être organisé le temps scolaire. Maintien de la semaine de 4 jours, passage aux 4,5 jours mais avec le samedi ou le mercredi matin travaillé ? Mais, chacun s’accorde sur le fait que ce décret n’est en rien une avancée. C’est pourquoi l’abrogation du décret est un mot d’ordre unifiant qui doit être mis en avant.Ce débat sur les rythmes est en bonne partie un leurre utilisé par le gouvernement pour détourner l’attention des vrais problèmes : le manque de postes qui entraîne des classe surchargées, le non-remplacement des absences des enseignants, des charges de travail trop importantes, une incapacité à gérer la difficulté scolaire des enfants à cause du démantèlement des RASED.Le mouvement doit porter ces problèmes sur le devant de la scène. L’urgence, c’est l’embauche massive d’enseignants permettant de revenir sur les 80000 postes supprimés, c’est de reconstruire les RASED, c’est le retrait de la mastérisation et la restauration d’une réelle formation des enseignants.Construire et élargir la mobilisationLa direction du SNUipp refuse de relayer la revendication d’abrogation du décret. Elle demande que les conseils d’école soient consultés, les possibilités de dérogation élargies et se prononce pour le report de l’application à la rentrée 2014 en cas d’absence d’accord local. Elle n‘appelle à aucune suite au 12 février. Pourtant, la forte mobilisation permettrait d’envisager une victoire sur le retrait du décret.Pour surmonter cet obstacle, il faut que les AG des grévistes appellent à des dates de mobilisation qui permettent de maintenir les collègues mobiliséEs et là où la journée du 12 n’a été qu’un début, de construire et élargir la mobilisation, en associant les parents et les personnels municipaux touchés par la réforme. Une grève dans les centres de loisirs parisiens a eu lieu le mercredi 20 février. Il faut pousser dès maintenant à une nouvelle journée de grève enseignante lorsque toutes les zones seront rentrées après la période des vacances.La grève du 12 février a montré le mépris de Peillon pour les enseignants. Le faire reculer nécessite un vaste mouvement de grève à construire dans tout le pays, en s’appuyant sur les secteurs les plus mobilisés qui, par la grève reconductible pourront se donner les moyens d’entraîner leurs collègues dans la mobilisation et de la structurer démocratiquement sur la base des revendications des enseignantEs mobiliséEs. Pour cela, il est aussi nécessaire de se battre pour que les directions syndicales, en particulier celle du SNUipp, reprennent la revendication d’abrogation, afin de créer les conditions de l’unité contre la politique du gouvernement.

Dossier coordonné par la commission éducation nationale