La publication début novembre des résultats trimestriels du groupe Altice marque le début de la chute du milliardaire Drahi. Après avoir lourdement chuté entre juin et novembre, passant de 23 à 16 euros, le cours de l’action Altice s’est effondré de 50 % entre le 2 et le 17 novembre, s’établissant désormais à 8 euros.
La bulle Drahi, entretenue par un système politico-financier délirant, se dégonfle brutalement. Et ce sont les travailleurEs, déjà fortement maltraités, qui risquent d’en payer le prix fort.
« Pas de Drahi sans Draghi »
Drahi a constitué son empire grâce à l’incroyable bienveillance des banques et à ses amitiés politiques. En partant de rien, il a multiplié les acquisitions avec un minimum de fonds propres, en empruntant massivement grâce au mécanisme du LBO (effet de levier) : une holding (prédateur) emprunte pour acheter une entreprise (la proie) et paie ensuite ses charges financières grâce aux dividendes provenant de la proie. Achats de SFR en 2014, de Portugal Telecom, de cablo-opérateurs américains, de BFM, Libération, l’Express...
Tout cela a été possible grâce à la crise et à la politique d’argent facile (quantitative easing) de la Banque centrale européenne depuis 2009. Drahi a été gavé par Draghi, à la tête de la BCE. Il a aussi bénéficié de la mansuétude de l’État, qui l’a laissé payer une TVA sur la presse à 2 % sous prétexte qu’il a imposé aux clients de SFR une vente forcée de presse en ligne (ses journaux !) incluse dans leur abonnement.
Drahi : un patron voyou
Il faut reconnaître un talent particulier à Drahi, mis en lumière notamment par les Panama Papers : celui d’utiliser toutes les possibilités du système pour maximiser son pouvoir et son profit. Grâce à sa holding personnel Next LP domicilié dans le paradis fiscal de Guernesey, il contrôle la holding du groupe (Altice NV), qu’il a domiciliée aux Pays-Bas parce que ce pays est l’un des rares pays d’Europe où les entreprises peuvent instaurer une structure avec deux catégories d’actions, attribuant des droits de vote différents. Ainsi avec environ 60 % du capital, Drahi dispose de plus de 90 % des droits de vote ! Avec ce système, Drahi s’assure un contrôle à vie de son groupe, même en cas d’émission de nouvelles actions. La holding du groupe contrôle ensuite une autre structure domiciliée au Luxembourg, qui étend sa toile sur toute une série de sociétés...
Pour boucler la boucle, Drahi est domicilié en Suisse pour payer moins d’impôts. Et qu’on ne vienne pas lui chercher des poux ! Auditionné en juin 2016 par le Sénat, il justifiait son exil fiscal en Suisse ainsi : « SFR paye ses impôts en France, et en paye beaucoup. Et s’il en paye beaucoup, c’est parce que je l’ai redressé ». Et les sénateurs se sont écrasés devant le « grand industriel »...
En mars 2017, le magazine Forbes estimait la fortune de Drahi à 12 milliards. La bonne nouvelle est qu’il en a déjà perdu environ la moitié. Mais il lui en reste encore 6 milliards !
L’éclatement de la bulle Drahi
Toutes les escroqueries ont une fin. Le groupe cumule les pertes. Le résultat opérationnel (revenus tirés de l’activité du groupe) est insuffisant pour couvrir les charges financières qui explosent avec l’endettement (qui est de 51 milliards), si bien que le résultat net est déficitaire depuis 2014 : – 552 millions en 2014, – 220 millions en 2015... et – 1,9 milliard en 2016, sur un chiffre d’affaires d’un peu plus de 20 milliards. Drahi ne peut plus faire illusion. Sa politique de réduction des coûts (pour financer ses achats) a débouché sur un recul des ventes. En deux ans, SFR a perdu plus de deux millions de clientEs.
Pour tenter de mettre fin à l’effondrement boursier du groupe, Drahi a changé le haut management, en débarquant le PDG de SFR (Michel Combes) et en plaçant des proches aux postes stratégiques. Il a cherché à rassurer en annonçant une pause des acquisitions et en indiquant qu’il avait réussi à renégocier sa dette avec des banques fort accommodantes. Mais le charme de Drahi n’opère plus, et une hausse des taux de la BCE pourrait lui être fatale.
Alerte rouge pour les salariéEs !
Les salariéEs ont déjà payé fort cher les ambitions démesurées de Drahi. Pour financer ses opérations, Drahi les a mis au régime sec... et il le revendique haut et fort ! Dans une conférence de presse à New York le 17 septembre 2015, il a ainsi déclaré : « Je n’aime pas payer les salaires. Je paye aussi peu que possible ». Alors qu’il s’était engagé à maintenir l’emploi pendant au moins trois ans quand il a pris le contrôle de SFR en 2014, il a négocié en août 2016 avec deux syndicats jaunes (Unsa et Cfdt) un plan de départs volontaires (PDV) de 5 000 salariésE (sur 15 000) d’ici la mi-2019. El Khomri, la ministre du Travail, qui avait reçu la direction de SFR, n’avait rien trouvé à redire. Seules la CGT et la CGC s’y étaient opposées.
Drahi a récemment déclaré que le PDV « n’était pas une bonne idée car les personnes qui sont parties ne sont pas forcément celles qui occupaient les postes à supprimer » et qu’il « aurait mieux valu cibler ces postes et faire un PSE traditionnel ». C’est désormais la menace qui plane sur les salariéEs, mais l’UNSA (premier syndicat chez SFR) veut juste « comprendre les nouvelles décisions opérationnelles qui vont découler de ces changements ». Il n’y a rien à comprendre dans les bobards de Drahi : l’escroc doit être exproprié, et son groupe doit être nationalisé sous contrôle des travailleurEs !
Gaston Lefranc