Cela pourrait paraître dérisoire, mais cela constitue une manière de tenir. Nous organisons une soirée concert le samedi 2 mars dans la salle du Grand Parc à Bordeaux, présentée comme une soirée de solidarité avec la lutte contre la fermeture de l’usine. Ainsi, des artistes (Cali, Balbino Medellin, Les Hurlements d’Léo, The Hyènes, Giorgia Sinicorni, Faïza Kaddour, Ricoo) viennent jouer par solidarité. Des acteurs du milieu culturel bordelais nous aident à organiser la chose.
L’équipe militante est donc en pleine préparation de l’évènement, qui est un acte de résistance. Car l’objectif est bien de faire du bruit, de faire toujours entendre notre colère, notre refus de nous résigner. L’objectif reste de dénoncer la catastrophe sociale qui s’annonce, de dénoncer la politique de Ford qui liquide directement 850 emplois et indirectement autour de 2000 emplois, ouvertement et tranquillement au nom du profit.
Un pied du mur
Nous arrivons quasiment au pied d’un mur, à un moment de l’histoire où il devient très difficile d’espérer quelque chose. Il n’est quasiment plus raisonnable de penser que nous pourrions sauver l’usine. Comment, dans une telle situation, avec la passivité de la plupart des collègues, sans moyen de pression, sans rapport de forces, pourrions-nous avoir la force de continuer ?
La perspective, la seule un peu crédible, celle d’une reprise avec la sauvegarde de 400 emplois directs, est en train de s’écrouler. Le candidat repreneur s’avoue maintenant incapable d’obtenir les commandes fermes de la part de ses clients potentiels, des industriels de l’automobile. Du coup, l’État se retrouve sans solution de rechange, lui qui avait semble-t-il tout misé sur ce plan de reprise, présenté comme « solide ».
Notre bataille avait permis d’imposer le refus d’homologuer le PSE de Ford. Nous gagnions ainsi un report de 4 semaines environ. Ce n’est pas grand-chose, cela ne change rien, dans le fond, si cela ne permet pas de créer les conditions pour assurer la reprise, mais c’est quand même une petite victoire pour nous.
Nous avons réussi à pousser l’État à s’opposer concrètement aux plans néfastes de Ford. Ainsi on passait des discours d’indignation à un acte de refus. Bon c’est vrai, depuis l’avis de la Direccte, les services de l’État et les ministères concernés semblaient être secoués de ce qu’ils venaient de faire, ils en tremblaient encore quelques jours après.
Et maintenant ?
Ford a avalé la pilule du refus, a refait une réunion du Comité d’entreprise, a redit qu’elle ne voulait pas de la reprise, a re-soumis son PSE aux élus CE, qui ont rendu à nouveau un avis négatif, encore très argumenté, et a renvoyé son PSE à la Direccte, qui a de nouveau 21 jours pour l’homologuer ou pas. Ford ne s’affole pas, sachant que les lois ne sont que très peu contraignantes. Il suffit d’attendre et l’État finira bien par se plier aux exigences de la multinationale. Cela en devient même grotesque !
C’est terrible de constater, en direct, cette impuissance de l’État, mêlée à une sorte de laisser-faire banalisé, une forme de résignation aussi. Le monde est ainsi fait : à la fin ce sont toujours (ou presque) les patrons qui gagnent. Il faut aussi préciser que dans ce contexte, l’ensemble des pouvoirs publics, des collectivités territoriales, région, département, agglomération bordelaise restent sans solution, sans perspective, sans même mettre en place des réunions d’urgence pour s’opposer à la disparition d’une usine et d’autant d’emplois.
Rien, à part quelques cris d’indignation de Juppé ou Rousset (région) à un moment où, c’est vrai, depuis de nombreuses semaines, on n’entend plus rien, on ne voit plus rien. C’est assez spectaculaire de voir là encore l’incapacité d’action de ces prétendus responsables politiques. Finalement leur seule action aura été de préparer la population à accepter la catastrophe, à s’enfoncer dans la résignation générale.
Mettre en discussion des solutions radicales
Difficile dans ces conditions de trouver des moyens ou des raisons de batailler. Et pourtant, il s’agit bien encore de cela parmi l’équipe militante. Nous sommes bien conscients de nos difficultés, de ce que nous n’arrivons pas à faire, du manque de perspectives. Mais nous tentons d’élaborer des façons de maintenir la bataille, de mettre quelque part une pression pour pousser malgré tout l’État à agir. Le concert en fait partie, ainsi que les rencontres avec les cabinets des ministères, avec le ministre prochainement.
Nous ne sommes pas naïfs, nous voyons bien toutes les tables rondes, tous les comités de suivi, les réunions à Bercy qui se sont mal terminées pour de nombreux salariéEs dans de nombreuses entreprises. En ce moment d’ailleurs, il y a beaucoup de « dossiers » d’usines menacées de fermeture, et malheureusement beaucoup d’exemples d’usines qui finissent pas être liquidées et par fermer.
Ce n’est pas pour cela qu’il nous faudrait désespérer. Au contraire, il nous faut pousser pour que leurs postures d’impuissance ou leurs discours hypocrites soient intenables. En fait, c’est à nous d’exiger qu’il y ait une autre fin que la fermeture, que des emplois soient préservés, que l’État et les collectivités territoriales trouvent des solutions d’activité derrière. C’est à nous de mettre en discussion les solutions radicales (ou originales) comme celle de réquisitionner, de s’approprier l’outil de travail pour le rendre disponible à une autre activité, à nous de dire que les lois doivent être changées, que des lois d’urgence doivent être votées contre les casseurs d’emplois, des lois qui contraignent les multinationales, qui leur interdisent de licencier ou de fermer.
Philippe Poutou