La lutte contre les plateformes, ou comment sortir l’eau des pierres.
À Nantes, la colère des livreurEs Uber Eats et Deliveroo s’était rendue une première fois visible le 21 novembre 2020 par une manifestation de près de 200 livreurEs en scooter klaxonnant dans la ville. Cette colère était provoquée par la baisse continuelle de leurs revenus depuis 2017. L’arrêté de la mairie de Nantes du 8 mars 2021, interdisant aux scooters thermiques d’accéder aux voies piétonnes où se trouvent la très grande majorité des restaurants, a de nouveau provoqué la colère. En laissant leurs scooters hors de la zone du centre-ville, les livreurEs ne peuvent aligner plus de huit courses, avec en moyenne – chiffres issus des discussions en assemblée – entre 30 à 40 euros brut par jour ! Avec les remboursements des prêts, les taxes… et les amendes, il est impossible de gagner sa vie en travaillant.
La construction d’une force
Le 8 mars s’est tenue une assemblée de plus de 100 livreurEs mobilisés. À ce groupe s’ajoute un nombre de grévistes restés chez eux difficile à évaluer, mais de l’ordre d’une grosse centaine, d’après les estimations indicatives des militantEs de la lutte. Sur les 700 livreurEs de la ville, dont près de 350 n’ont que cette activité pour vivre, la mobilisation est significative.
Les premières discussions sur l’organisation sont apparues et les premiers clivages aussi. Cela se révélera par la confusion survenue suite au vote l’après-midi d’une grève d’une semaine, et son annulation sans concertation par un porte-parole autoproclamé. Mais cette péripétie, qui a suscité une certaine démoralisation, a été compensée le soir par l’intervention d’un noyau d’une quarantaine de livreurEs auprès des restaurateurs, des collègues, et un premier contact avec la mairie : ce sera la première affirmation d’une équipe déterminée regroupant les plus précaires des livreurEs.
Les premiers acquis de la mobilisation
Des réunions quotidiennes des livreurs mobilisés sont organisées, avec des décisions collectives qui engagent. La grève d’une semaine devenant caduque, l’objectif se concentre sur les week-ends, créneaux qui ont le plus de commandes avec le mardi. Le vendredi suivant, un atelier était organisé pour faire les pancartes, et c’est à une soixantaine qu’une manifestation a été organisée, pour sensibiliser la population et les restaurateurs avec des tracts spécifiques, en prenant la parole aussi devant l’opéra Graslin occupé par les intermittentEs.
Des adjoints de la mairie étaient présents, et une promesse de rencontre a été évoquée. La lutte gagne en visibilité, en popularité, mais c’est le soir qu’un seuil est franchi. Une sortie avec une centaine de livreurEs est décidée, et tout le monde est conscient des difficultés : la police enchaîne les amendes en journée, en soirée après le couvre-feu, mais aussi les menaces physiques de la BAC. Avec des livreurEs sans papiers les risques sont évalués, pesés, et c’est l’organisation de la manifestation nocturne qui garantira le succès.
Construire un rapport de forces
Faire reculer la mairie sur l’arrêté municipal, en ménageant des ouvertures le midi et le soir, n’est qu’un premier combat. Les revendications des livreurEs formulées dans un tract tournent aussi autour du statut de salariéE, que ce soit sur la prise en charge des soins, des accidents, ou la garantie d’un revenu minimum par jour (le chiffre de 40 euros par jour est dans les têtes, et porté par les collègues de l’Oise).
Établir que l’application informatique (comme sa suppression) constitue le lien de subordination, et donc le caractère juridique du salariat, est une piste juridique intéressante, mais seul un rapport de forces national sera en mesure d’imposer ces revendications, et sans doute d’autres à venir.