La mobilisation continue chez Presstalis, un conflit qui dure depuis six mois. Mais la direction joue la carte de l'enlisement.La presse française est en crise, le support papier cède lentement sa place aux nouvelles technologies et selon le député Michel Français : « il faut en avoir conscience, d’ici une dizaine d’années, peut-être moins, la presse quotidienne papier sera distancée par la presse en ligne. L’hypothèse actuellement retenue de diminution de la vente au numéro pour les quatre prochaines années est de 25 % »… S’il est indiscutable que le chiffre des tirages papier, et donc des ventes, est en recul (entre 1 et 3 % selon les titres par an depuis une quinzaine d’années), il n’en reste pas moins que le papier demeure pour le moment le seul vrai secteur rentable.Cette entrée dans la « nouvelle économie » est un élément de pression extrêmement fort. Mais c’est aussi un changement politique d’ampleur qui fait rentrer la presse dans l’ère libérale, là où l’ensemble du système de fabrication – mais surtout de distribution – reposait sur un partage des coûts !Quand on veut se débarrasser de son chien, on l’accuse de la ragePresstalis (ex-NMPP) est un fleuron en matière de logistique et un outil essentiel pour distribuer l’ensemble du papier imprimé sur tout le territoire national. Cependant, sa puissance est jugée aujourd’hui obsolète par les gros éditeurs de presse qui, par exemple, ne veulent plus de la gestion des invendus.Le système se libéralise et ce sont les gros logisticiens (Géodis), professionnels du transport de marchandises, qui devraient récupérer le travail des Presstalis. En ce qui concerne la presse nationale quotidienne, les patrons de presse proposent de conserver un centre à Paris et quelques antennes en province, pour assurer une distribution qui à terme ne devrait plus se faire que sur les seuls territoires dits rentables…Cette « modernisation » laisserait sur le carreau plus de 1 200 salariéEs de Presstalis alors que la charge de travail reste très importante. Au rythme des différents plans de départ qui se sont multipliés ces dernières années, le nombre de salariéEs de Presstalis est passé de 6 000 en 1994 à 2 000 en 2012. Le dernier conflit dure depuis près de six mois, le patronat restant sourd aux évolutions proposés par le syndicat du Livre.Pour l'emploi et la démocratieFrancis Morel, PDG des Échos et membre du syndicat patronal SPQN, ne cesse de marteler que ce plan est légitime et indispensable à la survie de la presse à l’ère du numérique, alors qu’il loue aussi la nécessité de la presse papier. « La qualité d’un journal, affirme-t-il sur LCP le 6 février dernier, c’est la qualité éditoriale de ces articles. Ça demande un grand nombre de journalistes (…) donc ça coûte cher. Il faut pour l’amortir à la fois avoir une édition papier et une édition internet. » La suprématie programmée de la presse numérique ne doit pas masquer la réalité d’une audience et d’une rentabilité prépondérante du format papier. Comment imagine-t-on un avenir pour la presse écrite si l’on ferme des kiosques et que l’on démantèle le système de distribution ? Cette recherche du profit est incompatible avec les exigences d’une presse démocratique. Comme l’ensemble des salariés victimes de plans sociaux, les Presstalis ont toute légitimité à se battre pour garder leur emploi et défendre leur raison d’existence. Cette attaque renferme également de nombreux enjeux qui dépassent la question de la rentabilité de la diffusion de la presse. Car dans les faits, la charge de travail dans ce secteur existe, et la motivation réelle des patrons de presse reste le torpillage du syndicat du Livre, qu’il considère comme une menace et un anachronisme dans le cadre capitaliste.Hannah H. et Erwan Bikou
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