Entretien. Ce lundi 7 juin, nous avons rencontré Jean, militant syndical à Sud Rail, conducteur depuis 2003 sur les lignes B et E du RER, au milieu des cheminotEs rassemblés devant la gare Montparnasse.
Où en est la mobilisation ?
Aujourd’hui, nous sommes venus faire pression sur les négociations qui se tiennent entre la direction et les organisations syndicales concernant le décret-socle, accord d’entreprise pour la SNCF. On aura le résultat vers 14 heures en espérant que l’UNSA et la CFDT ne vont pas signer cet accord.
Personnellement je suis en grève depuis le 18 mai. Mais partout la mobilisation tient, il y beaucoup de gens en lutte dans tous les établissements. Pour moi, la mobilisation est plus forte que lors des grèves de 2010 ou 2014. Sur Paris-Est, on en est au S1, service minimum, sachant qu’avec le S0, les trains ne circulent pas du tout... Il s’agit du respect d’un contrat entre la SNCF et le Syndicat des transports d’Île-de-France (STIF) pour assurer un service minimum. Les trains sont conduits par les non-grévistes, le pôle FAC qui sont des conducteurs aptes à rouler sur toute la région Île-de-France et qui peuvent remplacer tous les conducteurs en maladie, congés ou grévistes.
L’accord d’entreprise donne la possibilité de déroger aux horaires : allongement du temps de travail, réduction des coupures, suppression du 19-6 (c’est-à-dire ne pas finir après 19 heures la veille d’un repos et ne pas commencer avant 6 heures du matin après un repos). Toutes choses que la direction voudrait supprimer sous prétexte de rentabilité, comme d’avoir la possibilité de nous faire prendre des services décentralisés, loin de notre domicile, avec des temps de déplacement hors temps de travail, aujourd’hui rémunérés à mi-temps.
Comment s’y prend la direction ?
La communication, notamment en direction de la CFDT et de l’UNSA, consiste à dire que tous les acquis sont conservés dans le décret-socle. Pour nous, cela n’est pas suffisant car celui-ci, si la loi travail passe, peut être renégocier dans trois ans.
La direction manipule les gens contre leurs intérêts et cherche, sous prétexte de concurrence, à supprimer des avantages sociaux, à tout tirer vers le bas. Dans notre société hyper informée, elle utilise tous les moyens de communication pour faire passer son message : téléphone, mails, réseaux sociaux. Un message qui vise à convaincre les non-convaincus d’aller au boulot car rien ne changerait pour eux... Moi je suis convaincu qu’on peut gagner par la mobilisation, mais beaucoup de collègues s’enferment dans leur petit univers, ne cherchent pas à savoir, à s’informer, préfèrent ignorer la réalité. Faire comme si cela ne les concernaient pas, et aller bosser.
Quelle réponse des syndicats ?
Les organisations syndicales qui animent la mobilisation veulent maintenir le niveau social actuel tel qu’il est inscrit dans la convention collective et non pas dans un accord d’entreprise qui sera soumis aux appels d’offres, au positionnement sur le marché, à la productivité, à la rentabilité. C’est tout l’enjeu de la loi travail de permettre que notre accord d’entreprise nous soit moins favorable que la convention collective. Le danger étant évidemment que cela se fasse au détriment de nos salaires, de nos conditions de travail. Et ouvrir plus largement la possibilité de licenciements économiques, la multiplication de contrats précaires.
Déjà aujourd’hui, tous ceux qui ne sont pas au statut subissent des pressions, le risque d’être licenciés à tout moment. Et cela touche tous les métiers, jusqu’aux contrôleurs, conducteurs, etc.
Ils sont embauchés à un âge plus avancé et ne bénéficient d’aucun déroulement de carrière. On ne les voit guère dans la mobilisation. Peut être font-ils la grève « canapé » ?
Quelles suites envisages-tu à votre lutte ?
Je suis optimiste : mobilisés, on peut gagner ! J’y crois. J’espère que personne ne va signer cet accord et que l’on va garder une convention collective. Pour tirer vers le haut le statut de ceux qui n’ont pas le statut. Nous en avons besoin pour faire correctement notre travail, en respectant les horaires, notre sécurité et celle des usagerEs. Nous ne devons pas être constamment sous pression. Il faut que l’on puisse continuer à aimer notre boulot, à ne pas avoir comme seule idée, comme seule envie de le quitter.
Propos recueillis par Robert Pelletier