En février 2022, un dirigeant de la CGT, Benjamin Amar, de l’UD 94, était suspendu par la direction confédérale de ses mandats nationaux suite à une plainte pour « viol », « torture » et « actes de barbarie ». Mais six mois plus tard, Amar vient d’être réintégré.
À l’époque, la suspension avait suscité des réactions car il est rare qu’un syndicat mette de lui-même sur la place publique ce type de sujets. Cela avait même été salué positivement par nombre de féministes qui remarquaient qu’on mettait enfin un terme à l’omerta à propos des violences sexistes et sexuelles au sein d’un syndicat.
Mais, six mois plus tard, on a appris que Benjamin Amar était réintégré dans ses mandats nationaux car l’affaire venait d’être « classée sans suite par le parquet ». Aussitôt Benjamin Amar a communiqué sur les réseaux sociaux : « Je me félicite de cette issue alors même que j’avais immédiatement clamé mon innocence la plus absolue. Si le nouveau concept sociétal de "présomption de sincérité" prend une dimension parfois salutaire dans le cadre de la répression des violences faites aux femmes, il ne saurait se substituer ni même être équivalent au principe fondamental de la présomption d’innocence. »
Une décision satisfaisante ?
Est-ce une issue satisfaisante et pense-t-on que c’est la justice bourgeoise qui peut trancher ce type d’affaire ? Non, car la justice bourgeoise protège la plupart des violeurs ! La juriste Catherine Le Magueresse rappelle ainsi que « la règle, en France, pour les violeurs, c’est de ne pas être puni. 1 % des viols déclarés — à ne pas confondre avec le nombre de plaintes puisque seulement 10 % des victimes portent plainte — sont sanctionnés par un procès pénal aux assises. Soit 1 500 agresseurs majeurs et mineurs par an, quand les enquêtes de victimation nous parlent de plus de 100 000 viols et tentatives de viols par an. Autrement dit : 99 % des violeurs peuvent tabler sur leur impunité. »1
Les syndicats, comme l’ensemble des organisations du mouvement ouvrier, doivent faire mieux que la justice et la police bourgeoises pour protéger des agressions sexistes et sexuelles, comme des violences contre les LGBTI+2. À propos de Benjamin Amar, l’enquête interne de la cellule de veille a clairement mis en évidence des comportements inacceptables pour une organisation qui lutte contre l’oppression et les inégalités hommes/femmes. La « procédure » mise en œuvre n’est conforme ni aux résolutions de la CGT sur le traitement interne des signalements VSS (qui prévoient que la cellule transmet son rapport aux organisations concernées qui doivent prendre une décision) ni à ce que la CGT revendique sur les lieux de travail (mesure conservatoire, enquête et le cas échéant sanction par l’employeur sans attendre une décision de justice).
Un grave précédent
La direction de la CGT, s’appuyant sur ce rapport, aurait dû mettre Benjamin Amar « hors d’état de nuire ». Mais même les secteurs de la CGT les plus sensibilisés aux questions féministes ont appuyé cette décision et ont ainsi participé à créer un énorme précédent qui sera utilisé par tous ceux qui veulent liquider la cellule de veille...
Cette décision aura forcément des conséquences négatives pour la CGT. Cela envoie le message aux femmes qu’on peut être un « prédateur sexuel » et responsable CGT. Et cela indique que la « démocratie » au sein de la CGT repose plus sur le rapport de forces que sur le débat ouvert et les valeurs émancipatrices pour toutes et tous.
- 1. « La plupart des magistrats appliquent un droit sexiste : celui des hommes d’accéder aux corps des femmes », Basta !, 23 mai 2022.
- 2. Lire à ce propos « Violences sexuelles : les syndicats doivent faire mieux que la justice patriarcale », sur https://blogs.mediapart…