Pour le 19e vendredi consécutif, la population algérienne est massivement descendue dans les rues le 28 juin, malgré un dispositif policier impressionnant.
« Pouvoir assassin », « Système dégage », « Y’en a marre, y’en a marre des généraux », « Gaïd Salah tu es un traître, tu dois rejoindre les autres à el Harrach » (prison d’Alger où sont incarcérés les principaux caciques du régime) : rien ne semble pouvoir endiguer la colère du peuple. Car c’est bien de tout le peuple dont il s’agit (étudiantEs, chômeurEs, petitsE commerçantEs, restaurateurEs, paysanEs…) Ce qui frappe d’emblée, c’est l’extrême jeunesse des manifestantEs, leur détermination, l’absence de peur et la jubilation collective de défier un pouvoir corrompu, honni, et incapable (à cette heure) de présenter un scénario de « sortie de crise » entendable.
Manœuvre et intimidations en tout genre
Gaïd Salah, chef des armée et seul aujourd’hui à assumer l’exercice du pouvoir, multiplie chaque semaine, devant un parterre de militaires, les déclarations les plus contradictoires, assurant d’un côté continuer la purge des corrompus de l’ancien système, et menaçant de l’autre les manifestantEs. Ainsi, les liaisons ferroviaires qui relient Alger sont interrompues chaque vendredi, les réseaux sociaux sont bloqués, mais rien n’y fait : les rues d’Alger ne désemplissent pas, celles de province non plus, et le drapeau amazigh, mêlé au drapeau national flotte toujours sur les manifestations en dépit de la répression (des dizaines de manifestantEs sont emprisonnés pour avoir brandi le drapeau berbère… ou le drapeau palestinien !)
La parole libérée
Partout, en public comme en privé, des discussions politiques interminables… Où va le mouvement ? Qui sera le prochain à rejoindre la liste déjà longue des personnalités inculpées et incarcérées ? Plus de 300 procès sont en attente. Ils visent aussi bien des oligarques, des généraux, ou des responsables de partis politiques. Rien ne semble pouvoir arrêter les procédures en cours, tant le système de corruption généralisée touche à toutes les sphères de l’ancien régime ! Ainsi, l’UGTA (centrale syndicale totalement liée au pouvoir) a dû organiser à la hâte un congrès extraordinaire pour démettre son ancien secrétaire général, trop compromis avec le régime. Mais ce replâtrage de façade ne saurait satisfaire l’immense masse des salariéEs qui ne se sentent aucunement représentéEs par cette centrale corrompue. Cette défiance généralisée n’épargne pas les principaux partis politiques, qui ont plus ou moins trempé dans les magouilles du système. Ainsi, la mise en détention arbitraire de la secrétaire générale du PT (Parti des travailleurs) suscite moins d’émoi que l’incarcération de jeunes manifestantEs.
Incertitudes
Bien malin qui pourrait prédire une issue à la révolution en marche depuis près de cinq mois en Algérie. Un scénario « à la portugaise » dans lequel une fraction significative de l’armée (très populaire) se rangerait au côté du mouvement populaire ? Une répression brutale comme au Soudan ? Ou bien une structuration horizontale du mouvement, qui exercerait par en bas un contre-pouvoir populaire pouvant balayer l’ancien régime ? Aucune formule n’émerge aujourd’hui des discussions, pas même celle d’une « assemblée constituante » qui apparaît aujourd’hui très propagandiste en l’absence d’organismes de contre-pouvoir, seuls susceptibles de rendre réaliste un tel projet.
Au côté de la Révolution algérienne !
Comment expliquer que l’insurrection démocratique en Algérie ne suscite pas plus d’enthousiasme de l’autre côté de la Méditerranée ? À ce jour, aucune manifestation nationale de soutien n’a été organisée, alors que chaque dimanche par milliers les AlgérienEs de Paris investissent massivement la place de la République pour se retrouver, partager leur joie, discuter, faire de la musique, exprimer leur communion avec leurs compatriotes…
Nous ne pouvons pas rester plus longtemps indifférents au formidable espoir que représente la révolution en marche à deux heures d’avion de Paris !
Alain Pojolat