Le suicide par le feu, à la suite du harcèlement policier de Mohamed Bouazizi, un jeune précarisé, à Sidi Bouzid au centre du pays, a été l’étincelle qui embrase maintenant l’ensemble de la « Tunisie des miracles » du général Ben Ali. Ce sont toutes les villes, grandes et petites, du nord au sud, qui ont vu des manifestations de ras-le-bol ; d’abord des principaux concernés par ce vent de révolte, les chômeurs et les précaires, rejoints par les salariés, les syndicalistes mais aussi par d’autres secteurs sociaux, comme les avocats. Le mouvement a été relayé par la jeunesse lycéenne et étudiante de retour de congés.
Cette lame de fond est marquée par les mots d’ordre concernant le « droit au travail », le « droit à une juste répartition des richesses », et la « lutte contre la corruption et le népotisme » qui gangrènent toutes les strates de la société. Les manifestants détruisent aussi les symboles de l’État-parti. La direction de la centrale syndicale unique, l’UGTT, qui dénonçait le mouvement au début (à l’inverse de certaines de ses fédérations et structures locales), a finalement été amenée à lui apporter son soutien officiel. Ce qui frappe avec les mobilisations portées en grande partie par la « génération Ben Ali » (ce dernier dirige d’une poigne de fer le pays depuis 23 ans), c’est son ingéniosité pour harceler un régime qui durant toute cette période est passé maître dans l’étouffement des moindres espaces de liberté d’expression. Comme ce fut le cas en Iran, les internautes ont créé un espace où circulent les infos et les rendez-vous de toutes les actions de contestation via les « proxys » qui contournent la police du net, affublée par les jeunes du sobriquet « Ammar 404 ». Les forces de répression habituelles pourtant estimées à plus de 130 000 membres sont débordées et l’armée a été appelée en renfort dans plusieurs villes. La nuit du 8 au 9 janvier a été particulièrement sanglante avec plusieurs dizaines de morts par balles à Gasserine, Tala et Meknassi. Assassinats, arrestations, provocations, intimidations, n’ont cependant pas entamé le moral des manifestants qui ont désigné dès le début les responsables de leurs maux : Ben Ali et sa mafia familiale. Le régime de Ben Ali dans la tourmenteLa crise du système capitaliste mondial a frappé un pays qui a ouvert la presque totalité de son économie par la libéralisation et la privatisation. Il a mis à nu les contradictions d’un affairisme de maquignons dénommé « miracle tunisien », qui devait selon ses laudateurs faire accéder la Tunisie au rang de « pays émergent »… Le taux de croissance officiel est divisé par deux depuis 2008. Les projets pharaoniques transformant le littoral tunisien en autant de parcs d’attraction, se sont tous écroulés avec la crise financière frappant les pays du Golfe censés apporter leurs dollars à cette formidable spéculation foncière qui a vu les « sept familles » (comme sont moqués les clans du pouvoir) faire main basse sur l’économie. Alors que Ben Ali se voyait comme un bon élève des puissances occidentales, aidant à juguler l’islamisme, le syndicalisme et l’immigration, les État-Unis se disent maintenant « préoccupés » par la situation, l’Union européenne se prononce pour « un suivi rapproché » des événements, et un problème de démocratie est soudainement évoqué. Ces haussements de sourcils ne sauraient satisfaire un mouvement qui affirme de plus en plus vouloir se débarrasser d’un régime honni. C’est sur les autres peuples et non sur les États complices de la dictature que le peuple tunisien doit pouvoir compter.
De nombreuses manifestations de solidarité avec la révolte en cours ont eu lieu dans les pays arabes et les principaux pays où réside une immigration tunisienne. En France, des rassemblements se sont tenus à Paris, Toulouse, Nantes, Lyon, Marseille, Lille… avec la présence de la communauté tunisienne, de militants du monde arabe et d’organisations de la gauche française qui ont dénoncé tant la dictature de Ben Ali que la complicité de Sarkozy. On a vu affluer de nouveaux visages, le plus souvent jeunes, dont c’était la première apparition publique. Les barbouzes des ambassades et consulats tunisiens, habitués à harceler les opposants, ne montrent plus le bout de leur nez. Et c’est déjà un signe qui ne trompe pas.
La crise qui frappe les pays de la rive nord de la Méditerranée est celle-là même qui déstabilise les pays de la rive sud. Une raison de plus d’être solidaires. Ne relâchons pas notre pression, à commencer par l’exigence de la libération de tous les emprisonnés du mouvement ! Commission Maghreb du NPA