Le Brésil n’est définitivement plus le même depuis les journées de mobilisations de juin 2013. En quelques mois, l’ensemble des mythes autour du pays du foot et du carnaval sont tombés un à un. Dernier exemple en date d’un pays en mouvement : la grève des travailleurs du nettoiement de Rio de Janeiro.
On se rappelle encore les manifestations de juin dernier contre l’augmentation des tarifs de transport, dans un pays qui se vante d’être une puissance mondiale mais où la grande majorité de la population n’a pas d’accès à des services de transport, de santé et d’éducation décents. La jeunesse pointait du doigt la contradiction flagrante entre cette situation et les milliards dépensés dans la préparation de la Coupe du monde de football.C’est dans ce contexte post-juin 2013 qu’intervient la grève des balayeurs de Rio, une sorte d’entrée en scène spectaculaire des travailleurs organisés sur un échiquier politique transformé. Il s’agit de la couche la plus exploitée des fonctionnaires d’État, touchant un salaire de misère et travaillant dans des conditions extrêmement pénibles. À la veille du carnaval, ils ont été des centaines à décider de se mettre en grève pour une augmentation conséquente de leur salaire.Ils sont donc allés voir leur syndicat, dirigé depuis des décennies par une bureaucratie jaune, qui a refusé de poser un préavis de grève immédiat. Les salariés sont donc partis en grève sauvage à quelques centaines. Ils étaient seuls et avaient tout le monde contre eux : le syndicat qui les avait trahis, les médias qui se sont acharnés sur leur « irresponsabilité », la justice qui a déclaré leur grève illégale, la mairie de Rio qui a annoncé le licenciement de 300 grévistes. Mais ils ne se sont pas arrêtés et la grève s’est étendue.
Le bras de fer gagnéLes rues jonchées d’ordures ont été le symbole de leur force sociale exposée devant les caméras du monde entier. Les balayeurs défilaient en chantant des « sambas de lutte », leur tenue orange portée avec fierté. La mairie a alors durci ses positions et les licenciements sont passés de 300 à 1 000. Les travailleurs ont été réquisitionnés et forcés à travailler, mis en joue par la police, mais rien n’a pu stopper ces hommes et femmes qui étaient bien décidés à exiger leur dû.La mairie a fini par devoir négocier. Les premiers représentants, élus par les grévistes, ont été révoqués dès lors qu’ils ont été tentés d’accepter un compromis inacceptable aux yeux des travailleurs mobilisés. De nouveaux représentants ont été élus, alors que tout le pays avait les yeux braqués sur la lutte des balayeurs de Rio et que les messages de soutien se multipliaient.Les négociations ont pris fin, huit jours après le début de la grève, et se sont traduites par une victoire éclatante : réintégration de tous les licenciés, 37 % d’augmentation de salaire, 66 % d’augmentation de leur ticket repas, paiement de toutes les heures supplémentaires avec majoration, paiement de l’ensemble des jours de grève.Le lendemain, l’artiste et caricaturiste politique Latuff représentait dans un dessin un balayeur dans des habits de super-héros. Héros au moins pour des millions de travailleurs qui ont redécouvert grâce à eux qu’il est possible de se battre et de gagner, même dans les conditions les plus difficiles… et même durant Carnaval !
Daniela Cobet