Publié le Jeudi 24 février 2011 à 15h52.

Connivences et complicités

À l’heure où la révolution gagne de plus en plus de pays du Maghreb et du Proche-Orient, il est urgent de dénoncer les complices des dictateurs corrompus et sanguinaires dans nos propres frontières.Depuis quelques années, Kadhafi, le « chien enragé du Proche-Orient » comme l’appelait Ronald Reagan dans les années 1980, était devenu un allié de Washington dans sa lutte contre le terrorisme. Le dictateur sanguinaire, qui massacre le peuple insurgé à l’heure où ces lignes sont écrites, fut accueilli à Paris en grande pompe il y a deux ans. Une preuve supplémentaire que la condamnation ou le soutien à des dictatures n’est qu’une question d’opportunité.Le clan Sarkozy n’a rien vu venir ni de la chute de Ben Ali, ni même de celle de Moubarak et court encore après l’évènement en Lybie. La « diplomatie » – traduisez l’impérialisme – made in France est à la ramasse depuis le début.Selon le Canard Enchainé et Mediapart, l’avion privé qui a transporté Michèle Alliot-Marie lors de ses vacances à Tunis à Noël serait le même que celui qui a évacué Ben Ali en catastrophe. Tout un symbole. Contrairement à ce qu’elle a affirmé, le propriétaire de l’avion, un « ami de longue date » de la ministre, n’était pas un adversaire du clan Ben Ali-Trabelsi mais un soutien proche. Un des grands bénéficiaires de la redistribution du produit de la corruption que le pouvoir en place a organisée pendant plus de 30 ans.Prise dans une tempête médiatique, Alliot-Marie a dû se rendre en catastrophe au 20 heures de France 2, le 7 février, pour s’expliquer. Elle a affirmé avec un faux aplomb qu’au moment de ses vacances dorées, les « événements » n’avaient pas encore débuté, que « dans son souvenir », le jeune Mohamed Bouazizi – dont au passage elle avait oublié le nom –, ne s’était pas encore immolé par le feu. Ce tragique événement avait pourtant eu lieu le 17 décembre, soit une bonne semaine avant. Ce dérapage scandaleux montre à quel point le sommet de l’État fait preuve d’arrogance et de suffisance.François Fillon n’est pas en reste, lui qui s’est rendu au Caire lors des mêmes vacances en partie aux frais de Moubarak. Le 9 février dernier, le Premier ministre déclarait encore à l’Assemblée nationale que la France entretenait de « très bonnes relations diplomatiques » avec le président égyptien, « un homme qui a joué un rôle clé dans l’établissement du processus de paix au Proche-Orient ».Dans la continuité du colonialismeL’attitude d’Alliot-Marie ou Fillon est emblématique d’une conception des relations avec les pays du sud de la Méditerranée qui se situe dans la continuité du néocolonialisme. De De Gaulle à Giscard, de Mitterrand à Chirac, les relations avec les dictateurs corrompus ont permis d’assurer la continuité d’une politique qui vise à protéger les intérêts économiques, politiques et militaires de la France. Hier Elf au Gabon, aujourd’hui Orange ou Carrefour en Tunisie.L’hypothétique projet d’Union pour la Méditerranée que Sarkozy a cherché à promouvoir avec fracas, a pour but, sous couvert de coopération et d’aide au développement, à la fois de défendre les intérêts de la France face à la concurrence des États-Unis et de la Chine et de renforcer la forteresse Europe contre l’immigration de la misère. L’Union pour la Méditerranée est co-présidée par... Hosni Moubarak. Le 30 août dernier, Sarkozy déclarait que c’était toujours « avec un infini plaisir » qu’il « recevait le Président Moubarak » à Paris. L’empathie de Sarkozy n’est pas réservée au dictateur égyptien. En 2009, lors d’un voyage à Tunis, il saluait sans rire « un régime engagé dans la promotion des droits universels et des libertés fondamentales », où « l’espace des libertés progresse ».Les grands principes sur les valeurs universelles de la démocratie et des libertés s’effacent sans aucun problème face à celles du fric et des armes.À gauche on n’est hélas pas en reste. Strauss-Kahn saluait tout récemment la Tunisie comme « le bon élève de la classe » de la mondialisation. De quoi souligner que les dictatures des pays arabes ne sont pas condamnables uniquement sur le plan démocratique mais aussi parce qu’elles appliquent les potions amères du FMI qui creusent les inégalités. D’ailleurs le printemps des peuples arabes prend à la fois en charge des tâches démocratiques et sociales.Au moment où la France livrait des grenades lacrymogènes à la Tunisie, les partis de Ben Ali et de Moubarak siégeaient à l’Internationale socialiste.La raison d’État fait des ravages même dans le camp de la gauche antilibérale où, toute proportion gardée, on a entendu des propos étonnants. Mélenchon, pris d’une étonnante fièvre élyséenne, indiquait sur Europe 1 : « Le militant que je suis dit à Moubarak, dégage ! », mais « par contre, en tant que président de la République je me garderais bien de tenir ce discours à l’égard d’un autre peuple souverain et libre » et si « un de ses ministres s’exprimait comme l’a fait la secrétaire d’État à la Jeunesse [Jeannette Bougrab], il prendrait la porte deux secondes après ».Le rôle d’une gauche digne de ce nom, c’est de descendre dans la rue pour soutenir les peuples en lutte, organiser la solidarité internationale concrète, dénoncer les assassins et dévoiler leurs complices.Fred Borras