Publié le Vendredi 19 février 2021 à 14h41.

États-Unis : comment ont évolué les deux partis du capital

Les élections américaines de 2020 ont coûté environ 12 milliards de dollars, payés par l’élite du monde des affaires, établissant ainsi un nouveau record. Après leur victoire, Biden et les Démocrates du Congrès s’efforcent maintenant de faire adopter un plan de relance d’un montant de 1 900 milliards de dollars. Bien que les Démocrates aient accepté de limiter l’augmentation progressive du salaire minimum fédéral à 15 dollars de l’heure, ils semblent résister face aux attaques des Républicains réunis.

 

La combinaison d’une crise à la fois économique et sanitaire a poussé le président Biden à commencer à gouverner d’une manière plus combative, en décalage avec ses références centristes. L’économie est toujours au ralenti avec notamment 10 millions d’emplois de moins qu’avant la pandémie, ce qui amène les Démocrates à présenter leurs premières mesures législatives comme vitales. Les Républicains, eux, soutiennent que l’économie est en voie de guérison et demandent que les mesures de relance soient réduites.

Les Démocrates ont tiré une leçon des premiers jours de présidence Obama et de sa volonté de trouver des moyens de travailler avec les Républicains ce qui leur a fourni des munitions pour gagner ensuite une majorité au Congrès et bloquer ses propositions. Selon le leader de la majorité démocrate au Sénat, Chuck Schumer, « Nous ne pouvons pas répéter les erreurs du passé ». Biden a pris une série de décrets pour annuler de nombreuses déréglementations mises en place par Trump, envoyé au Congrès un projet de loi sur l’immigration et renvoyé le chef « anti-travail » de la Commission des relations de travail de Trump.

Il faut se souvenir que les Républicains n’ont pas obtenu de mauvais résultats lors des dernières élections réduisant la majorité démocrate à la Chambre des Représentants. Avec un partage 50-50 au Sénat, ils ont des marges de manœuvre s’ils ne se divisent pas. Mais ils doivent renouer avec les élites économiques qui les ont lâchés, après l’assaut sur le Capitole, en déclarant qu’elles ne financeront pas les 150 Républicains du Congrès qui ont voté contre la certification des résultats des élections et la reconnaissance de la victoire de Biden. Cependant ceci reste compliquéé car le parti républicain depuis 4 ans a toujours suivi les exigences et les fantasmes de Trump.

Des tendances divergentes ont impacté les partis

Les deux partis ont un passé commun : défenseurs du droit de propriété, soutenant l’expansion vers l’ouest, l’extermination des Amérindiens et les aventures impérialistes à l’étranger. Leurs plate-formes ont évolué en réaction aux événements politiques. De « l’ère progressiste » du début du XXe siècle, où le capitalisme a été contraint d’accepter certaines réglementations, le New Deal, jusqu’aux mouvements des droits civiques, la rébellion étudiante et la guerre contre le Viêt-Nam.

Deux tendances à l’œuvre dès les années 1960 ont eu un impact sur ces partis et amené à la situation actuelle.

La première est la lutte pour les droits civiques, qui a détruit l’ancien système « Jim Crow » et les obstacles à l’exercice du vote qu’il incluait. Elle a abouti à la loi sur les droits civiques de 1965 à la suite de laquelle les militants ont mené des campagnes d’enregistrement sur les listes électorales dans la communauté noire. La dynamique des droits civiques s’est poursuivie avec des demandes pour mettre fin à la ségrégation dans le logement, les écoles et l’emploi. Elle a mis à l’ordre du jour la discrimination positive, les réparations, la fin des incarcérations de masse. Un défi à l’histoire « officielle » de l’Amérique.

La deuxième tendance est un retour en arrière, représenté par des personnalités politiques du Parti républicain à partir de la campagne de Barry Goldwater en 1964. Ce retour en arrière, apparu à la base de l’électorat du Parti Républicain, s’est manifesté en réaction à la décision déclarant la ségrégation raciale inconstitutionnelle dans les écoles publiques avec des appels à la création d’écoles privées (et entièrement blanches) financées par l’État.

On disait, à l’époque du New Deal de Roosevelt, que le Parti Républicain était contrôlé par l’élite des affaires alors que le Parti Démocrate était le parti de ceux qui travaillaient. Cela n’a jamais été vrai. Le contrôle des capitalistes sur les deux partis se fait par le biais de leur financement. Lors des élections de 2016 et 2020, la majorité des intérêts capitalistes ont soutenu les Démocrates, l’industrie du pétrole et du gaz et une majorité de sociétés d’agrobusiness et de casinos s’alliant aux Républicains.

Comme il y a peu de financement public, les politiques sont tributaires pour leurs campagnes des sommes importantes qu’ils collectent. Les élections fédérales de 2020 ont coûté plus de deux fois plus cher que celles de 2016. Et dès que les candidats ont gagné, ils doivent immédiatement commencer à collecter des fonds pour leur prochaine campagne. Le ticket présidentiel de 2020 a coûté 6,6 milliards de dollars, et Biden a dépensé presque deux fois plus que Trump. En outre, 7,2 milliards de dollars ont été dépensés pour les élections au Congrès et 2,6 milliards de dollars supplémentaires pour les élections dans les différents Etats.

Le gagnant moyen d’un siège à la Chambre des Représentants a dépensé 2,06 millions de dollars, tandis que celui au Sénat a dépensé 15,75 millions de dollars.

L’évolution des programmes

Depuis les années 60, un ordre d’austérité, de déréglementation, de mondialisation, d’incarcérations massives et de déclin de la syndicalisation s’est installé sous les administrations aussi bien démocrates que républicaines.

Comme le système électoral bloque l’émergence d’autres partis politiques, les Démocrates et les Républicains doivent trouver les moyens de gagner les élections en s’affichant comme les soutiens des intérêts de la majorité tout en maintenant leur engagement historique envers les grandes entreprises. Ils se sont constitués ou remodelés depuis la période de la Guerre de sécession, en se définissant plus selon les catégories d’électeurs qu’ils voulaient représenter que selon des critères idéologiques bien qu’évidemment leur position sur les droits des Noirs a été cruciale.

Jusqu’au milieu du XXe siècle, les Afro-Américains qui pouvaient voter, votaient républicain, le parti d’Abraham Lincoln, ainsi que les protestants blancs des zones rurales et des petites villes du Nord. Après que le compromis de 1877 ait forcé au retrait des troupes fédérales du Sud, les suprématistes blancs ont utilisé le parti démocrate pour imposer les lois ségrégationnistes « Jim Crow ».

La classe capitaliste traditionnelle représentée par les Mellon, les Rockefeller et les Ford a cessé de dominer les 500 plus grosses fortunes. Elle est plutôt représentée par les innovateurs qui ont bénéficié des protections légales de la propriété intellectuelle et de l’essor du marché mondialisé, ainsi que les secteurs des intérêts financiers et technologiques de pointe, incluant les fonds spéculatifs et les sociétés de gestion d’actifs comme BlackRock. S’ils soutiennent généralement le parti au pouvoir parce que c’est lui qui peut faire adopter les lois qu’ils souhaitent, ils ne sont en aucun cas des alliés loyaux.

Des électorats distincts

L’électorat du Parti démocratique est constitué d’une coalition de femmes noires très motivées, d’une main-d’œuvre urbaine, multiraciale et parfois syndiquée, en particulier dans le secteur public, d’électeurs urbains et suburbains qui gagnent bien leur vie, ainsi que des bailleurs de fonds du parti.

Outre ses bailleurs de fonds, la coalition Républicaine est issue de petites villes et de zones plus rurales qui ont souvent perdu leur base industrielle, qu’il s’agisse de l’extraction du charbon ou de l’industrie manufacturière. Parmi leur base, l’élite économique traditionnelle, mais aussi des agriculteurs et ouvriers craignent pour leur avenir dans cette économie incertaine subissant les menaces extérieures : immigration, nouvelles technologies et mondialisation. La droite religieuse (blanche) et les méga-églises veulent que leurs valeurs familiales soient reprises dans les lois et les institutions sociales : prière dans les écoles, « écoles de choix », sexualité « normale », c’est-à-dire l’opposition au mariage homosexuel, questions d’identité sexuelle, interdiction de l’avortement, etc. C’est la base d’une guerre « culturelle » qui qualifie un certain nombre de positions sur les sujets de société comme « non-américaines ». Un autre élément de l’électorat républicain provient de « l’exurbia », où les très riches construisent non seulement des châteaux, mais aussi d’énormes complexes avec des piscines, des salles d’exercice, des spas et des installations sportives.

Dans cette société qui encourage l’individualisme, l’idée de perdre le contrôle de son mode de vie traditionnel peut engendrer la peur. Une personnalité autoritaire de la télé-réalité, Trump, a promu cette peur et s’est proposé comme solution. Les politiques qui ne voulaient pas s’y rallier devaient être vaincus et remplacés par des plus loyaux. Les rassemblements de Trump ont alimenté une atmosphère de recherche d’ennemis partout, intégré et stimulé l’extrême droite - les Proud Boys, les Three Percenters, les Oath Keepers et d’autres types de milices - qui sont venus armées aux rassemblements de Trump. Comment gérer cette base, qui le soutient toujours, est un problème non seulement pour la gauche, mais aussi pour le parti républicain. Ces théoriciens de la conspiration ne sont pas loyaux envers le parti, mais fidèles à Trump.

Après le vote anti-Trump

L’élection de 2020 portait moins sur le programme politique de l’un ou l’autre parti que sur un vote pour ou contre Trump. Le parti républicain s’est limité à dire qu’il soutenait Trump et ce qu’il représentait. Joe Biden a principalement dénoncé la gestion désastreuse du virus par Trump. Le programme du Parti Démocrate était centriste appelant à une expansion du système de soins de santé mis en place sous Obama, mais pas à son remplacement par un système de santé pour tous, comme Bernie Sanders l’avait demandé. Biden a également choisi comme colistière une femme noire dont la mère est originaire d’Inde, Kamala Harris, également centriste, mais cela traduit aussi la réalité que les femmes noires ont joué un rôle crucial dans la victoire du Parti Démocrate.

En dépit de l’élection de quelques voix qui se réclament du socialisme au Congrès - Bernie Sanders, Alexandria Ocasio-Cortez ou Rashida Tlaib – le réalignement des deux partis n’a pas créé les conditions de l’émergence d’un parti ouvrier. Depuis les élections de novembre, plus de cent projets de loi ont été introduits dans les assemblées législatives des États fédérés pour restreindre l’exercice des droits de vote : une prochaine opération de charcutage électoral1 est sur le point d’avoir lieu.

Même en pleine pandémie, les milliardaires sont de plus en plus nombreux. Après avoir bénéficié d’une réduction d’impôts et d’un système judiciaire fédéral plus favorable aux entreprises, les millionnaires n’ont plus besoin de Trump. Alors que l’administration Biden s’apprête à mettre en œuvre des politiques sociales temporaires justes nécessaires pour parer aux crises qui arrivent et préparer le terrain pour le maintien du contrôle du Congrès par le Parti Démocrate lors des élections de 2022, la question est, comme toujours, de savoir dans quelle mesure les mouvements sociaux peuvent faire entendre leur voix, leurs revendications.

  • 1. Charcutage électoral. Dans la plupart des Etats, les instances législatives supervisent la cartographie des districts pour les élections au Congrès après le recensement de la population par les autorités fédérales. Généralement, le parti dominant dans un État dessine ces cartes à son avantage, créant souvent des districts d’apparence étrange.