Lors du scrutin renouvelé pour la municipalité d’Istanbul du dimanche 23 juin, le candidat de l’opposition Ekrem Imamoglu a affligé un revers cuisant à son concurrent de l’AKP en l’emportant avec 54.2% des voix contre 44.9%.
À la suite des élections municipales du 31 mars 2019, le président Erdogan, après un moment d’hésitation, s’était résolu à ne pas admettre la défaite pour la mairie d’Istanbul, capitale économique et culturelle du pays.
Erdogan dans l’ombre
Malgré les divers recours et prétextes grotesques pour recompter les voix, quelques 13 000 voix (sur une dizaine de millions d’électeurEs stambouliotes) séparaient toujours les deux candidats. L’AKP a ainsi déposé un recours pour l’annulation du scrutin concernant la municipalité d’Istanbul, ce qui a été finalement accepté par le Haut conseil électoral.
Lors de cette seconde campagne, Erdogan a préféré rester dans l’ombre. Apparemment l’omniprésence d’Erdogan dans la campagne précédente, qui fut menée telle une présidentielle et dont l’enjeu était, selon le bloc au pouvoir, « la survie de la nation » face à une opposition identifié au terrorisme, n’avait pas donné les résultats souhaités. Donc c’est Binali Yildirim, ancien Premier ministre et candidat de l’AKP pour Istanbul, qui a mené campagne sur des questions concrètes, largement copiées sur son adversaire. En effet Imamoglu, candidat de l’opposition, a mis en avant des propositions pour combattre le chômage, renforcer économiquement les femmes au foyer et mettre fin au gaspillage des ressources de la mairie (notamment au profit de fondations islamistes).
Échec des manœuvres du pouvoir
Toutefois, les sondages publics (et probablement privés et internes réalisés sur demande de l’AKP) montrant Imamoglu gagnant, Erdogan a décidé à nouveau, dans la semaine précédant le scrutin, d’intervenir publiquement avec un langage extrêmement agressif, dévoilant son désarroi. Pour regagner les voix islamistes il a évoqué l’opposition du « fascisme du CHP » à la religion. Il a insinué qu’il ne laisserait pas Imamoglu remplir ses fonctions s’il est élu. Et finalement, à travers les services de renseignement, il a fait écrire une lettre à Oçalan, leader du PKK détenu depuis vingt ans, où ce dernier appelait les Kurdes à rester neutre lors du scrutin. Représentant plus de 10% des Stanbouliotes, les voix des kurdes (pro-HDP) étaient décisives pour les résultats. Cependant le HDP et le PKK, déjà engagés dans un soutien pour le candidat de l’opposition, tout en célébrant les analyses d’Oçalan, ont réaffirmé leurs positions en faveur d’Imamoglu.
Toutes ces manœuvres n’ont fait qu’approfondir la débâcle. Le scrutin s’est soldé par un écart de 800 000 voix entre les deux candidats, alors qu’Erdogan avait pu s’en sortir avec une légère défaite lors du premier scrutin. Aux alentours de 4% des votantEs pour Yildirim lors du premier scrutin ont changé de choix, ne digérant pas l’injustice faite à Imamoglu. Les voix de Yildirim sont en baisse dans tous les districts, y compris celles dirigées par l’AKP. Les voix pour Imamoglu ont aussi augmenté parmi les Kurdes, dont la majorité n’a donc pas suivi l’appel au boycott. Un coup dur qui accélère la déstabilisation de l’AKP et redonne du moral et de l’espoir à une population exaspéré par un régime autocratique et corrompu.
Uraz Aydin