La situation politique en Tunisie ne s’est pas encore stabilisée, alors que la bourgeoisie locale et les grandes puissances aimeraient décréter la fin rapide du processus révolutionnaire – puisque la démocratie aurait vaincu – et faire tout « rentrer dans l’ordre ». Mardi 8 février, pour des raisons encore inconnues alors que nous mettons sous presse, des coups de feu ont éclaté au centre-ville de Tunis. La veille au soir, le ministère tunisien de la Défense avait appelé au service de nombreux réservistes (partis à la retraite militaire entre 2006 et 2010) et des appelés ayant terminé leur service en 2008 ou 2009. Ces militaires sont invités à se présenter « dans les centres régionaux de conscription et de mobilisation » à partir du 16 février. L’armée reste toujours relativement bien vue de la révolution tunisienne, puisque son état-major a su prendre ses distances avec la dictature de Ben Ali au cours de ses tout derniers jours (et alors qu’il y avait eu des scènes de fraternisation entre soldats et habitants de certaines villes, à la base). En tout cas, elle est beaucoup moins haïe que la police et les renseignements, appareils nettement plus privilégiés sous la dictature policière de Ben Ali que l’armée proprement dite, et les milices d’éléments pro-Ben Ali qui tentent de semer le chaos pour accréditer la thèse d’un « besoin d’ordre ». En même temps, la direction de l’armée se positionne aussi pour tenter de sauver les meubles au gouvernement provisoire, sous la direction de Mohamed Ghannouchi qui avait déjà été le Premier ministre sous la dictature de Ben Ali, et ceci sans interruption depuis novembre 1999. Dès le 27 janvier, le Figaro avait écrit dans ses pages économiques : « Tunisie : les patrons disent stop à la révolution ». Cependant, des pans importants de la société tunisienne ne l’entendent pas du tout de cette oreille. Ainsi, maintenant que la peur des appareils répressifs – omniprésente sous le régime de Ben Ali – a plus ou moins disparu, de nombreux habitants ne sont plus prêts à supporter des actes d’arbitraire de la part des anciens sbires du pouvoir. Le week-end dernier, de violents affrontements se sont ainsi déroulés dans la ville du Kef, dans le nord-ouest du pays, après qu’un haut gradé de la police eut giflé une femme qui avait participé à une manifestation. Lors des émeutes déclenchées par cet acte, plus de 40 personnes ont été blessées et deux (selon les autorités) voire quatre d’entre elles (selon des sources syndicales) tuées. C’est l’armée qui, en s’interposant entre la police haïe et les manifestants, avait fini par calmer la situation, de façon relative. L’officier de police qui avait déclenché la réaction de colère des habitants a été mis aux arrêts. Certains progrès sont réels, à l’heure actuelle. La Tunisie a ainsi (enfin !) ratifié la Convention internationale contre la torture. Tous les préfets de région ont été limogés. Un soutien aux chômeurs de longue durée a été créé, alors qu’aucune allocation n’existait jusqu’ici et que les personnes sans emploi vivaient uniquement de la solidarité de leur famille. Cependant l’une des questions décisives, dans un proche avenir, sera celle des modifications de la Constitution qui seront proposées – notamment le maintien d’un régime présidentialiste ou la mise en place d’un système parlementaire qui bannirait le risque de retour au pouvoir d’un seul homme. Les évolutions dans le monde syndical, où une gauche syndicale est à l’offensive contre la politique de l’ancienne bureaucratie (dont une partie était liée au régime de Ben Ali) seront elles aussi particulièrement décisives. Le 1er février, pour la première fois, une nouvelle organisation syndicale à côté de l’UGTT – jusqu’ici confédération unique – a par ailleurs été fondée, la CGTT. À suivre... Bertold du Ryon
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