Le 4 septembre, Sahra Wagenknecht, co-présidente du groupe parlementaire de Die Linke au Bundestag (la chambre des députéEs), a présenté à la presse le nouveau mouvement « Aufstehen » (« Debout »), qu’elle a initié avec son mari Oskar Lafontaine.
En présentant ce « mouvement », Wagenknecht était accompagnée d’un membre des Grünen (les Verts), d’une membre du SPD et d’un conseiller, représentant 40 personnalités très connues. L’objectif était ainsi de présenter Aufstehen comme un mouvement qui serait en mesure de dépasser les limites des partis existants, et de réunir la gauche.
Un « mouvement » autoproclamé
La réalité est beaucoup plus prosaïque. Aufstehen n’est pas à même de jouer un rôle dans les luttes et encore moins dans la clarification et le développement des positions de la gauche, même réformiste. Même si plus de 100 000 intéresséEs se sont inscrits sur la plateforme internet, le mouvement est en réalité autoproclamé. Wagenknecht est inspirée par La France insoumise et n’a pas proposé son projet dans Die Linke, mais l’a préparé d’une façon quasi clandestine avec un petit cercle de fidèles (Team Sahra). De cette façon, Wagenknecht détermine et contrôle absolument tout dans ce projet qui est à 100 % « top-down » : il n’y a pas de comités préparatoires qui pourraient élaborer quoi que ce soit, et le mouvement n’est en aucune façon un rassemblement des forces qui sont actives dans les divers mouvements réels tel que « Aufstehen gegen Rassismus » (« debout contre le racisme »), Seebrücke (« embarcadère » – mouvement qui lutte pour le sauvetage des réfugiés en Méditerranée), les mouvements antimilitaristes (« Abrüsten jetzt » et « Rüstungsexport stoppen »), les comités de soutiens aux luttes syndicales, contre les loyers exorbitants, etc.
Après les émeutes racistes à Chemnitz, nombre d’initiatives ont été prises, et nombre d’intellectuels se sont engagés dans les mobilisations antiracistes, ce qui a permis un concert de solidarité avec plus de 65 000 personnes dans les rues de Chemnitz. Cela a démontré la force toujours importante (et peut-être grandissante) du mouvement antiraciste. Mais aucune personne de Aufstehen n’avait appelé à participer, et aucunE des protagonistes du prétendu « mouvement de rassemblement » n’y était présent.
Un programme plus qu’ambigu
Wagenknecht – très médiatisée – explique clairement son objectif : elle veut récupérer les électeurEs qui souffrent d’un sentiment d’abandon. L’AfD (le parti populiste de droite avec une forte aile d’extrême droite) est forte, parce que « les gens se sentent défavorisés » et parce « nous ne leur parlons plus », dit-elle. Donc pour contrer l’AfD, elle veut capter les voix des « déçus » en défendant les services publics, en taxant les riches et en tenant… un discours anti-migrants qui va sur le même terrain que l’AfD.
En effet, un des éléments centraux du profil d’Aufstehen est son programme anti-migrants, totalement contradictoire avec une riposte progressiste au drame des réfugiéEs qui est, depuis 2015, la question-clé d’une politique non seulement humanitaire mais répondant aux intérêts des travailleurEs. Pour Wagenknecht (comme pour les partis bourgeois), l’immigration est un « problème », et il faut donc limiter le nombre des migrantEs qui sont autorisés à entrer en Allemagne, prétendant que « nos capacités sont limitées ».
Pour Wagenknecht, ce n’est pas le capitalisme qui est le problème mais ce sont les réfugiéEs, même si elle ajoute qu’il faut combattre les raisons de la fuite des migrantEs de leur pays. Elle s’est adaptée aux « populistes » de droite et, ce faisant, leur a donné gain de cause.
Aufstehen est avant tout un événement médiatique, malgré les 110 000 inscritEs. Ces dernierEs espèrent – comme Wagenknecht et Lafontaine – qu’un nouveau mouvement de gauche en coalition avec le SPD et les Verts pourra remplacer le gouvernement CDU-CSU-SPD. En fin de compte, ce « mouvement » n’a d’autre raison d’être que de préparer la fondation d’un nouveau parti pour les élections en 2021.
Avec son programme extrêmement opportuniste, flirtant avec la droite et avec le soutien de l’aile droite de Die Linke, cette manœuvre risque de discréditer Die Linke, déjà très compromis par sa participation aux gouvernements de trois Bundesländer (États fédéraux), dont Berlin, en y mettant en œuvre une politique néolibérale.
Jakob Schäfer, membre de l’ISO (Organisation socialiste internationale)