Alors que les mobilisations ne faiblissent pas, la junte au pouvoir a annoncé qu’elle se retirait au profit d’un gouvernement entièrement composé de civils. Avec cette déclaration, les généraux espèrent maintenir leur mainmise sur le pays avec un vernis démocratique et obtenir les aides financières gelées depuis le coup d’État.
La grande manifestation du 30 juin, qui a rassemblé des dizaines de milliers de personnes à travers tout le Soudan, démontre que la combativité reste intacte huit mois après le coup d’État perpétré par les généraux Abdel Fattah al-Burhan et Mohamed Hamdan Dogolo alias Hemidti.
Une répression tous azimuts
Pourtant les autorités n’ont pas lésiné pour tenter d’amoindrir la portée de ces rassemblements. Elles ont arrêté préventivement les militantEs, barricadé les principaux boulevards et ponts menant au centre-ville de la capitale à l’aide de containers utilisés pour le fret maritime. Elles ont évidemment coupé le réseau internet pour tenter de désorganiser les manifestations. Mais rien n’y a fait, pas même le danger bien réel que peut représenter la participation aux manifestations. Le bilan est de dix morts et plusieurs centaines de blessés.
Cette mobilisation a été préparée bien en amont par les nombreux activistes qui ont sillonné tous les quartiers des grandes villes, distribuant des tracts, accrochant des banderoles, peignant des fresques sur les murs et surtout organisant des centaines de réunions avec les populations.
Maintenir le cap
Malgré les pressions des principales chancelleries occidentales, de l’Union africaine et de l’ONU, les forces vives de la mobilisation, que cela soit l’Association professionnelle soudanaise ou les Comités de résistance des quartiers, ne transigent pas sur leur revendication initiale : « Pas de dialogue, pas de négociation, pas de partenariat avec l’armée ». L’exigence du retour des militaires dans leurs casernes est soutenue aussi par le Parti du Congrès soudanais, une organisation laïque de centre gauche, et par le Parti communiste soudanais.
Après la manifestation du 30 juin, un slogan est massivement repris « I’tisam I’tisam hatta Yasqut Alnizam » (« Sit-in sit-in jusqu’à la fin du régime »). Ainsi, ces sit-in sont organisés un peu partout avec toujours la même exigence d’un retrait des militaires de la vie politique.
Autre fait marquant, une manifestation de femmes dénonçant les violences qu’elles encourent par le régime. En effet, de nombreux cas de viols commis par les membres des forces de répression ont été recensés. Ces militantes mettent aussi en avant le droit pour les femmes de participer pleinement à la lutte, sans subir des comportements sexistes de la part de certains manifestants.
Nouvelle tactique de la junte
Dans son allocution télévisée, Abdel Fattah al-Burhan a annoncé le retrait des militaires des pourparlers menés par l’Union africaine et l’IGAD (une structure des pays d’Afrique de l’Est), et la constitution d’un gouvernement civil. Une déclaration suivie de la dissolution du Conseil souverain de transition.
Que penser d’une telle position ? Il n’est évidemment pas question pour les militaires d’abandonner le pouvoir et le contrôle des principales entreprises du pays. L’idée est plutôt d’adopter une stratégie visant à accepter formellement les exigences de la rue : la mise en place d’un gouvernement civil – quitte à le contrôler étroitement. À cet effet la junte annonce la création d’un Conseil suprême des forces armées dont les prérogatives seraient la défense de la souveraineté de la nation. Ce qui implique qu’une partie des charges régaliennes de l’État échapperait au gouvernement civil. De plus la réintégration massive des fonctionnaires de l’ancien régime d’Omar al-Bashir, qui avaient été écartés lors de la révolution de 2019, renforcera la mainmise des militaires sur la gestion du pays.
La proposition de la junte permet donc de répondre favorablement aux pressions occidentales, ce qui permettrait de bénéficier des prêts des institutions financières qui ont été gelés après le coup d’État. Le Soudan est au bord de la banqueroute, et la crise économique est en train d’annihiler les quelques soutiens dont bénéficie l’armée.
Si les principaux animateurs de la lutte ont dénoncé cette manœuvre, il n’est pas sûr que les deux partis traditionnels, le parti Oumma et les Unionistes, ne cèdent aux sirènes du pouvoir. Habilement, les Comités de résistance ont soulevé la question de l’impunité. Ils exigent que les auteurs des crimes et tortures contre les manifestantEs soient jugés et sanctionnés, notamment les premiers d’entre eux, les généraux Abdel Fattah al-Burhan et Hemidti, une façon claire d’écarter les généraux du pouvoir.