Publié le Jeudi 2 juin 2022 à 12h00.

Mozambique : du sang et des larmes dans le gaz

La dernière Assemblée générale de Total a mis en exergue les bombes climatiques de cette multinationale. Parmi elles, le Mozambique.

Lors de la Convention citoyenne pour le climat, Macron avait pris en exemple ce pays pour illustrer la nécessité d’une aide aux nations pauvres afin qu’elles cessent d’exporter les énergies fossiles. Conclusion : les entreprises françaises, soutenues par le gouvernement, se sont précipitées dans la région mozambicaine de Cabo Delgado pour l’exploitation du gaz. Une région où sévit une insurrection djihadiste.

Au départ, des bateaux de pêche

En 2013, le Mozambique commande 39 bateaux de pêche aux chantiers navals de Cherbourg pour un prix de 200 millions d’euros. En fait, cette commande va servir à acquérir 15 bateaux de guerre et, surtout, à contracter une dette de deux milliards de dollars dont une partie va être détournée. L’achat de cette flotte militaire doit servir à sécuriser la zone de Cabo Delgado où un immense gisement de gaz vient d’être découvert, qui ferait du pays le quatrième exportateur mondial.

Quelques années plus tard, le gouvernement de Macron va déployer tout un dispositif financier et sécuritaire pour accompagner les entreprises françaises dans cet eldorado gazier. Total pour l’exploitation, Schlumberger pour le forage, Bolloré pour le port et la Société générale, BNP Paribas, Crédit Agricole, Natixis pour le financement. Pas d’inquiétude à avoir puisque le tout est sous garantie publique. En d’autres termes, si les multinationales ont un défaut de paiement, c’est l’État, donc les contribuables, qui rembourserait les banques.

Une région en conflit

Le Mozambique a été ravagé par une guerre civile après son indépendance arrachée au Portugal en 1975. La région de Cabo Delgado, où vit une très grande partie de la population musulmane, est très proche de la frontière avec la Tanzanie. C’est de là que sont venus les djihadistes d’Ansar al-Sunna avant qu’ils ne s’implantent dans la région en profitant des dissensions communautaires.

Les Makondé de religion chrétienne d’un côté, de l’autre les Makua et les Mwani musulmans. Cette opposition est le fruit de l’histoire coloniale où les Makondé ont dû se réfugier dans l’arrière-pays pour échapper à l’esclavage avec la complicité des deux autres communautés. Aujourd’hui, Mwani et Makua reprochent aux Makondé d’accaparer le pouvoir et les richesses qui vont être tirées de l’exploitation minière. Ces oppositions sont exploitées à outrance par les politiciens qui tentent de monter les populations les unes contre les autres pour construire leur pouvoir, facilitant ainsi leur politique de prédation des richesses.

Exploiter quoi qu’il en coûte

Les attaques des djihadistes sont de plus en plus fréquentes et violentes. À tel point qu’ils ont occupé Mocimboa da Praia, port stratégique de la région, avec des tentatives de s’étendre à la ville de Palma. Au vu de la situation sécuritaire, Total a dû arrêter ses opérations. L’armée mozambicaine est incapable d’endiguer ces attaques. Sous-équipée, mal entraînée, elle est aussi en proie à la corruption. Le journal Carta de Moçambique a révélé que 7 000 soldats étaient inexistants et que leurs salaires étaient perçus par les officiers supérieurs… Tout comme des enfants de la hiérarchie militaire touchaient des soldes sans jamais avoir été soldats.

Acculées, les autorités mozambicaines ont dû accepter l’aide extérieure. Et il y a pléthore, puisque 24 pays européens et africains ont envoyé des troupes. L’essentiel de la sécurisation est assuré par les soldats rwandais. L’enjeu est évidemment la considérable réserve gazière mais aussi la préservation de la route maritime du canal du Mozambique, avec un fort trafic des pétroliers du Moyen-Orient vers l’Amérique et l’Europe.

Les violences sont à leur comble. On dénombre plus de 8 000 morts et des dizaines de milliers de déplacéEs. Les autorités mozambicaines interdisent aux populations de revenir dans les zones en proie au conflit. Des sous-traitants de Total en profitent pour accaparer les terres où le gaz doit transiter.

Considérée comme une bombe climatique, cette exploitation gazière est néfaste pour le pays et les populations. Elle servira à rembourser les dettes contractées indûment et à enrichir la petite minorité qui contrôle le pays. C’est une épée de Damoclès sur l’environnement car le canal du Mozambique est un corridor biologique. Cette exploitation gazière ne pourra qu’accentuer le dérèglement climatique dont souffre le pays, frappé par des cyclones plus nombreux et plus violents.

On parle souvent de malédiction des ressources naturelles. Il serait plus juste de parler de malédiction des multinationales minières.