Poutine et son gouvernement saisissent un moment qui leur semble favorable – « fête du football » et trêve estivale en Russie –, pour annoncer un recul de l’âge de départ en retraite. L’exécutif devrait soumettre sa proposition au législatif en septembre.
Les sommets de l’État voudraient faire vite mais prennent néanmoins quelques précautions car le sujet est sensible dans un pays où le sort des vieux est déjà misérable et les atteintes aux retraites particulièrement impopulaires.
Ni méchant ni imminent, promettent-ils
Alors que depuis près de 90 ans l’âge de départ en retraite est demeuré à 60 ans pour les hommes et à 55 ans pour les femmes, il devrait passer respectivement à 65 et 63 ans. Les hommes nés à partir de 1959 et les femmes nées à partir de 1964 devraient travailler un an de plus dès 2020, puis ensuite une année supplémentaire tous les deux ans. La réforme s’étalerait ainsi jusqu’en 2028 pour les hommes, 2034 pour les femmes. Longue période de transition qui n’enlève rien à la scélératesse ni aux mensonges pour la justifier.
Caisses vides... ah bon ?
Les « cerveaux » de la réforme invoquent le nombre croissant de retraitéEs par rapport aux actifs, un pour un, d’où un déficit de 100 milliards de roubles de la Caisse fédérale de retraites gérée par l’État russe1. Selon les camarades du RCD (Mouvement socialiste russe, d’extrême gauche), ces 100 milliards représentent ce que le gouvernement a lâché aux oligarques qui s’estimaient lésés par les sanctions économiques. Par ailleurs, le total des cadeaux fiscaux de l’État aux grandes entreprises du pays s’élèverait à 10 000 milliards de roubles, soit près de la moitié des recettes budgétaires de la Fédération de Russie…
Autre aspect : le système de cotisation n’est pas progressif. Les patrons cotisent à 22 % sur les salaires bas et moyens mais à 10 % sur les salaires plus élevés. Si l’échelle était progressive, 600 milliards de roubles, soit six fois le fameux déficit, entreraient dans les caisses de retraite.
Mais les autorités invoquent que la Russie doit s’aligner sur l’Europe (en matière de retraites... pas de salaires !) et passent sous silence que l’espérance de vie y est bien inférieure et compromet les retraites !
Situation déplorable et... sensible !
Sur 77 millions d’actifs en Russie, seuls 43 millions cotisent. 30 millions d’autres ne cotisent pas parce qu’ils et elles travaillent au noir, payés de la main à la main. Cette masse salariale souterraine mais rentable, non soumise à cotisations, est évaluée par l’Office national de statistiques à 10 000 milliards de roubles par an.
Et reste que le pays vaste et riche en ressources est maintenu sous le joug d’une oligarchie capitaliste qui creuse les inégalités pour ses profits. D’où un chômage grandissant, des bas salaires et des caisses sociales qui se vident. D’où des vieux et vieilles dont les retraites sont si faibles, quand ils en ont, qu’ils et elles vivent de petits boulots, au-delà de l’âge de départ en retraite. Ou mendient.
Si Poutine a envoyé en première ligne Medvedev pour annoncer sa réforme, et s’il a laissé entendre que « des erreurs pourraient être corrigées », c’est qu’il a quelques craintes. Déjà en 2005, une « monétarisation » d’acquis sociaux, entre autres la suppression de la gratuité des transports et autres services, avait donné lieu à des mouvements et manifestations dont les retraitéEs avaient été l’aile marchante. Cette fois, c’est le petit syndicat indépendant KTR (Confédération du Travail de Russie) qui a pris l’initiative d’une campagne, rejoint par des opposantEs de divers bords (dont le très nationaliste Alexeï Navalny). Le 1er juillet, des milliers de personnes ont manifesté dans des villes autres que celles où ont lieu les matchs du mondial.
Et l’extrême gauche ? Avec le slogan « Pétersbourg contre l’allongement de l’âge de la retraite », les camarades du RCD ont pris l’initiative d’un groupe de protestation. Le 30 juin a été un premier « Samedi d’agitation ». Quelques dizaines de personnes ont participé à une réunion publique, 5 000 tracts ont été distribués en faveur d’une journée plus large le 18 juillet… Affaire à suivre.
Michelle Verdier
- 1. Ou « Fonds de pensions de la Fédération de Russie ». Les patrons approvisionnent ce fonds de l’État, en cotisant à raison de 26 % de la masse salariale (autant de moins versé en salaire), dont 20 % environ alimentent un compte par répartition et 6 % des comptes par capitalisation contrôlés par l’État et un Service fédéral des marchés financiers.