Dans un contexte électoral, le verdict du procès de Moubarak et de ses fils a déclenché la colère des Égyptiens qui ont occupé plusieurs jours la place Tahrir. Les 16 et 17 juin se tiendra le second tour des élections présidentielles, qui opposera le candidat des Frères musulmans, Mohamed Morsy, au général Ahmed Shafiq, identifié comme le candidat de l’armée, et qui fut le dernier Premier ministre de Moubarak. Un scénario cauchemar pour le camp des révolutionnaires, dont les candidats ont pris le risque de cautionner un processus électoral mené par le SCAF1. Bien qu’ayant obtenu près de la moitié des voix, le nassérien de gauche Hamdeen Sabbahi (arrivé en tête dans les grands centres urbains et populaires) et l’islamiste modéré Aboul Fotouh, en se lançant en ordre dispersé dans la course, ont favorisé une situation dans laquelle une grande partie de la population, favorable à l’approfondissement du processus révolutionnaire, se retrouve exclue de ce processus. ColèreLa colère des révolutionnaires qui voient en la possible victoire de Shafiq un retour à l’ancien régime a explosé, samedi 2 juin, lorsque le tribunal spécial chargé de juger Moubarak a rendu son verdict. Les cris de joie des familles de martyrs à l’annonce de sa condamnation à la prison à vie ont laissé la place à des cris de rage lorsque le juge Rafeed a prononcé l’acquittement des deux fils du dictateur déchu, poursuivis pour blanchiment d’argent, et de six anciens hauts responsables du ministère de l’Intérieur, poursuivis pour complicité dans l’assassinat de plus de 800 manifestants lors de la révolution du 25 janvier. Quelques heures plus tard, des centaines de milliers de personnes occupaient la place Tahrir, demandant la tenue d’un nouveau procès, ainsi que l’application de la « loi d’isolation politique » qui entraînerait la disqualification de Shafiq2. Plus que le caractère massif des manifestations, inédit depuis le premier anniversaire de la révolution, il faut retenir la revendication de la mise en place d’un « conseil présidentiel », initialement appelé par Khaled Ali et qui comprendrait également Sabbahi et Fotouh. Lundi 4 juin, les trois anciens candidats sont ainsi apparus ensemble sur la place Tahrir pour défendre cette proposition au milieu d’une foule qui scandait le mot d’ordre d’« unité ». Demandant à la fois l’exclusion de Shafiq et l’annulation du premier tour sur lequel pèsent de forts soupçons de fraudes en sa faveur, ce conseil se poserait en alternative directe au processus électoral, et aurait également pour mission de mettre fin à la crise constitutionnelle qui oppose le Parlement dominé par les FM, et le SCAF3. Cette perspective vient d’être renforcée par le soutien de Mohamed El-Baradei, qui bataille avant tout pour le règlement de la crise constitutionnelle. Il n’a néanmoins pas manqué d’en railler le caractère tardif, rejoignant ainsi le sentiment de gâchis de nombre de manifestants. Il faut peut-être y voir la raison de l’issue de cette séquence de mobilisations qui, bien qu’ayant remonté le moral du camp révolutionnaire, s’est close après quatre jours de manifestations de masse sans véritable avancée, laissant la place le week-end prochain à un choix difficile. BoycottDans les manifestations, la question du boycott du second tour4, et plus largement de l’attitude vis-à-vis des Frères musulmans a été l’objet de nombreuses discussions, voire d’incidents, lorsque des manifestants arrachaient aussi bien les affiches de Morsy que celles de Shafiq. Ainsi, des militants de Socialistes révolutionnaires ont publiquement protesté contre la décision de leur direction d’appeler indirectement à voter Morsy, mettant sur le même plan un « fascime religieux » et un « fascisme militaire ». Il n’en reste pas moins qu’aux yeux de la majorité du mouvement, la victoire de Shafiq, qui a promis de « rétablir la loi et l’ordre en moins d’un mois », constitue le danger le plus immédiat pour la révolution. Nul doute qu’une victoire de celui-ci le week-end prochain provoquerait immédiatement un nouveau sursaut du mouvement révolutionnaire. Mais il reste à construire une perspective qui permettrait à celui-ci de se débarrasser non seulement des foulouls5, mais aussi du SCAF, qui tient toujours les rênes du pays.
Romain Hingant1. Qui a permis à Shafiq, initialement exclu en tant que représentant de l’ancien régime, de revenir dans la course.2. Cette loi sera soumise le jeudi 14 juin devant la Haute Cour constitutionnelle, qui selon toute vraisemblance devrait la déclarer inconstitutionnelle. 3. Les prérogatives du futur président ne sont toujours pas connues…4. De fait, le taux de participation devrait être très bas, malgré les efforts du gouvernement qui a donné deux jours de congés à nombre d’administrations. 5. Résidus de l’ancien régime.