Depuis la proclamation des résultats de l’élection présidentielle en Bolivie du 20 octobre, le pays connait des émeutes et une crise politique sans précédent depuis la première élection en 2006 d’Evo Morales, par ailleurs syndicaliste et indigène.
Le système politique bolivien prévoit qu’un candidat ayant plus de 45% des voix au premier tour et plus de 10% d’avance sur le candidat arrivé en deuxième position est élu, sans passer par un deuxième tour. Les résultats sont publiés à l’avancement des dépouillements. Or entre le dimanche à 19h40 et le lundi 21 à 19h30, il n’y a plus aucune actualisation. Le dimanche soir l’écart entre les deux candidats, Evo Morales et Carlos Mesa, était de 7% et le lendemain de 10,14%. Entre les deux Morales avait proclamé sa victoire.
Cette situation ubuesque a été l’étincelle qui a permis l’explosion sociale qui a déferlé sur le pays.
Une opposition raciste
Au départ, la mobilisation contre la fraude électorale était portée par les partisans de Carlos Mesa, représentant la droite néolibérale « classique ». Le 23 octobre, il appelle à la création de la Coordinadora de Defensa de la Democracia qui « convoque toutes les boliviennes et tous les boliviens des neuf départements du pays, à se mobiliser pacifiquement jusqu’à obtenir l’objectif démocratique de la convocation d’un second tout électoral » Mais rapidement c’est l’extrême droite raciste, très implantée dans la région de Santa Cruz qui va prendre le dessus, dirigée par Luis Fernando Camacho, avocat et entrepreneur, ancien membre d’un groupe paramilitaire spécialisé dans la « chasse aux indigènes ». Mélangeant religion et politique dans ses discours, il représente le Bolsonaro bolivien, mais est surtout président du très puissant Comité civique pro Santa-Cruz, regroupement des commerçants et patrons du département de Santa-Cruz. Cette ville est le poumon économique du pays, mais aussi une terre blanche avec très peu d’indigènes, au cœur de la plupart des contestations de droite, comme la violente tentative de sécession en 2008 d’avec le reste du pays. Plusieurs comités civiques, implantés dans les villes, reprennent les discours de Camacho comme Marco Pumari, leader de celui de Potosi, qui déclare que « Camacho fera lire la Bible à ces hérétiques » !
Les manifestations vont très rapidement dégénérer avec l’incendie de bâtiments officiels, de logements de dirigeants du MAS, l’explosion des violences contre les populations indigènes (La mairesse indigène de Vinto, élue du MAS, sera tondue, peinte en rouge et trainée dans les rues), les femmes et les militants pro-Evo. Rapidement, les forces de police vont se mutiner pour rejoindre les manifestants anti-Morales.
La force de ces émeutes a été suffisante pour obtenir la démission de Morales le 10 novembre après qu’il ait proposé en vain un dialogue ouvert. Après sa démission, Camacho appelle aux ratonnades pour « traquer les traitres du MAS ».
Un coup d’État qui ne dit pas son nom
Morales a proposé avant sa démission de constituer un nouveau Tribunal Suprême Électoral, chargé de veiller au bon déroulement du scrutin, et de convoquer de nouvelles élections, donnant ainsi raison à l’opposition. Mais Carlos Mesa a refusé et exigé non pas de nouvelles élections mais la démission de l’ensemble des élus du MAS (parlement, gouvernement, etc…) afin de former une junte de gouvernement provisoire. Même l’OEA (Organisation des États Américains, dominée par la droite latino-américaine et les USA) recommandait juste la tenue de nouvelles élections et semblait ainsi se retrouver avec la proposition ultérieure de Morales.
Puis rapidement, Mesa et Camacho ont demandé à l’armée de les soutenir, ce qu’ils ont obtenu quand le chef d’État-Major a demandé la démission de Morales. En refusant la proposition de Morales et en s’appuyant sur la rue pour chasser les élus du MAS, dans les villes, les villages, en brûlant leurs domiciles, avec l’aide des groupes paramilitaires liés aux comités civiques et à l’extrême-droite, Carlos Mesa a montré que son objectif n’était pas d’obtenir un deuxième tour des élections, mais plutôt de renverser le gouvernement.
Bien sûr, il ne s’agit pas d’un coup d’état militaire comme le continent a été trop souvent coutumier. Mais le but poursuivi, renverser le pouvoir sans attendre les élections, ressemble à s’y méprendre à un coup d’état. Il a été mené en deux temps. D’abord le refus par l’alliance droite/extrême-droite de leur propre solution dès qu’elle fut approuvée par Morales. Ensuite une mobilisation contre tout ce qui représentait le MAS et son pouvoir, appuyée par la mutinerie de la police suivie de l’appel des militaires à la démission de Morales. Cette combinaison a rendu impossible toute issue autre que le renversement du gouvernement par cette sainte-alliance, fréquente dans l’histoire de la Bolivie, entre les forces armées et la droite.
Enfin, pensant éviter un bain de sang, une partie de la gauche, comme la COB (Centrale Ouvrière Bolivienne), a demandé la démission de Morales.
Pourquoi en est-on arrivé là ?
La violence de l’explosion n’est pas le fruit du hasard. Elle trouve sa source dans deux phénomènes. Tout d’abord un acharnement de Morales et du MAS à rester au pouvoir. En 2016 un référendum pour modifier la Constitution et permettre à Morales de se présenter pour un quatrième mandat est perdu. Par une manœuvre, il réussira à ne pas appliquer le résultat référendaire en s’appuyant sur les textes internationaux qui prévoient le droit de chacun à se présenter à des élections, mais qui ne traitent pas de limites éventuelles au nombre de mandats. Cette rupture démocratique a profondément choqué la population bolivienne et a entamé largement le prestige de Morales (rappelons qu’il a été élu en 2014 avec plus de 62% des voix).
Deuxième phénomène, depuis 2014 la Bolivie connait un net ralentissement économique marqué par la baisse du prix des hydrocarbures, principale source de financement des programmes sociaux du pays. La chute des prix des matières premières dans un pays marqué par un extractivisme forcené limite les marges de manœuvres du gouvernement qui connait une hausse de l’endettement, un commerce international défavorable et un mécontentement social qui gronde dans toutes les franges de la société, notamment parmi la base sociale du régime.
Cette combinaison d’une crise démocratique avec un début de crise socio-économique est le ferment des évènements qui secouent le pays. Il faut d’ailleurs remarquer que le pouvoir a été incapable de mobiliser très largement ses soutiens contre les mobilisations de droite, y compris dans ses bastions comme Potosi ou Cochabamba. Les réactions ont existé et s’amplifient désormais rapidement et fortement mais elles ont tardé et maintenant elles correspondent plus à un refus de revoir au pouvoir le couple honni droite/extrême droite plutôt qu’à un soutien plein et entier à Morales. Ce qui correspond à l’état de démobilisation électorale d’une partie des soutiens historiques du MAS, notamment dans les quartiers populaires.
Il n’est pas inutile de rappeler que le théoricien du régime, par ailleurs vice-président, Garcia Linera, a idéalisé cette concentration du pouvoir au nom du populisme de gauche avec une idée simple : le peuple doit d’incarner dans un dirigeant. Dès lors, tant que ce peuple existe et a le pouvoir, le dirigeant naturel n’a aucune raison de quitter ces fonctions. Cela participe à l’exclusion du « peuple » des affaires publiques, renvoyant le MAS en simple machine électorale au service du leader. Les évènements qui secouent la Bolivie font aussi partie du bilan pratique de cette conception.
Solidarité du NPA avec le peuple bolivien
La fraude est inexcusable car, outre l’usurpation démocratique qu’elle représente, elle est en grande partie la source de nouveaux malheurs qui risquent de s’abattre sur le peuple bolivien si le projet politique de Mesa/Camacho est mené à son terme. Malgré les responsabilités du MAS dans la crise actuelle, le NPA ne se fait aucune illusion sur le type de « démocratie » que porte une droite à la manœuvre. Elle a un passé chargé dans le pays après son soutien à tous les coups d’états, notamment pendant la période noire des années 1970. Le régime dont rêve Camacho est au mieux celui de Bolsonaro.
Notre solidarité va au peuple bolivien qui subit la furie de l’extrême-droite.
Nous demandons l’arrêt des persécutions subies par la gauche bolivienne, les quartiers populaires et les peuples indigènes.
Nous demandons l’arrêt des violences contre les femmes qui sont pratiquées par les manifestants pro-Mesa.
Nous condamnons le coup de force contre Morales et son gouvernement.
Maintenant que Morales s’est réfugié au Mexique, il est à prévoir que le nouveau gouvernement voulu par la droite et l’extrême droite, qui ne cachent pas leurs orientations néolibérales, reviendra sur l’ensemble des droits sociaux acquis pendant la période de gouvernement du MAS.
Patrick Guillaudat