Malgré la répression de la police et les couvre-feu, les Égyptiens poursuivent et amplifient leur mouvement de révolte pour le départ de Moubarak.Au moment où est écrit cet article (mardi 1er février), les militants rassemblés à « Midan El-Tahrir » (Place de la Liberté, qui enfin mérite son nom), au Caire, ont dépassé les 2 millions et un rassemblement comparable a lieu à Alexandrie. Dans l’ensemble du pays, plusieurs millions d’Égyptiens sont révoltés. Ils crient haut et fort leur première et principale revendication : à bas la dictature de Moubarak ! Ils veulent en finir avec des décennies d’humiliation, de torture, de corruption, de pauvreté et d’injustice sociale. Pourtant, le régime policier de Moubarak avait tout fait pour empêcher cela : couvre-feu (systématiquement bravé par les manifestants), blocages ponctuels des lignes téléphoniques, coupure totale de l’accès à Internet dans l’ensemble du pays (une première dans l’histoire), suspension du trafic ferroviaire et des transports publics pour limiter, sans grand succès, le déferlement des manifestants de tout le pays vers Midan El-Tahrir. Aujourd’hui, les revendications sociales et politiques convergent dans une contestation totale du pouvoir en place. Si la révolution tunisienne a clairement joué le rôle de catalyseur, l’étincelle vient d’un appel lancé par des groupes divers, notamment de jeunes internautes, pour une manifestation le mardi 25 janvier, jour de « la fête de la police » ! La répression féroce des manifestations par le régime a provoqué une mobilisation énormément plus large le vendredi 28 janvier, journée qui restera dans les annales de l’Histoire. À l’issue de confrontations sanglantes avec les forces de répression, des villes entières, dont Alexandrie et Suez, ont été libérées ; elles sont désormais hors contrôle de la police. Effrayé, Moubarak a chargé l’armée de prêter assistance aux forces de police et décrété un couvre-feu nocturne qui a été étendu dans la soirée à toutes les villes du pays. Depuis, des millions d’Égyptiens ont bravé ce couvre-feu, en fraternisant avec les soldats de l’armée. L’ampleur de la mobilisation populaire à l’issue de son quatrième jour avait presque contraint Moubarak à fuir le pays à l’instar de Ben Ali. La télévision égyptienne a annoncé vendredi soir que le chef du Parlement allait faire une annonce d’une grande importance. Tout le monde s’attendait à ce qu’il annonce la démission du dictateur. Or, c’est Moubarak qui a pris l’antenne. Ayant vraisemblablement obtenu le feu vert d’Obama, il fit un discours hallucinant dans lequel il « promettait » de poursuivre sa politique de longue date de « réformes ». La censure sans précédent qui coupe désormais l’Égypte du monde, la répression féroce des derniers jours faisant près de 500 morts et des milliers de blessés et d’arrestations, donnent une idée de la nature des « réformes » en question. L’intention du dictateur est claire : écraser la révolution dans un bain de sang. Mais tout cela n’a provoqué que davantage de colère et de détermination. Des comités de résistance populaires se sont constitués partout pour faire face aux milices du régime et organiser l’approvisionnement de la population. Alors que le syndicat officiel lié au pouvoir soutient Moubarak, les syndicats indépendants issus de luttes passées se sont rassemblés dans un comité qui a appelé à la grève le 1er février. L’annonce, faite la veille, de la formation d’un nouveau gouvernement n’y a rien changé. Moubarak est un allié de taille de l’impérialisme américain. Lundi, le gouvernement israélien a lancé un appel aux gouvernements du monde pour préserver la stabilité du dictateur égyptien, complice de l’État sioniste dans le blocus de Gaza. Sans pression inverse de notre part, l’État français poursuivra sa politique : fourniture d’équipements aux forces armées égyptiennes et formation de ces dernières « à l’organisation de l’ordre et au rétablissement de l’ordre ». La chute de la tyrannie en Égypte constituerait une défaite fracassante de l’impérialisme. Elle ouvrirait la voie à un raz-de-marée émancipateur dans tout le monde arabe, comme en Jordanie, où le roi Abdallah a dû lui aussi limoger son gouvernement. Faisons de samedi 5 février une immense journée de solidarité avec la révolution égyptienne.Vanina Giudicelli, Omar El Shafei