Publié le Vendredi 9 septembre 2022 à 08h00.

Tunisie : la mise en place d’un pouvoir absolutiste

Un an exactement après son coup de force du 25 juillet 20211, le président tunisien Kaïs Saïed a fait adopter par référendum une nouvelle Constitution lui attribuant quasiment tous les pouvoirs.

La Constitution du 25 juillet 2022 instaure un régime dans lequel le président dispose de l’essentiel des pouvoirs2. Placé sous son autorité directe, le gouvernement n’a plus besoin d’obtenir un vote de confiance du pouvoir législatif. Par ailleurs, le président peut maintenant soumettre directement des lois au Parlement. Il aura de plus la possibilité de demeurer au pouvoir à l’expiration de son mandat.

Ce dispositif devrait être complété avant la fin de l’année par l’élection d’une assemblée législative, ainsi qu’une assemblée de représentantEs des pouvoirs locaux dont le mode de désignation et le rôle restent pour l’instant inconnus. Si l’ensemble de ce système est mis en place, ce sera la fin de la période ouverte par le « printemps tunisien » de 2011.

Les principaux traits du nouveau régime

– Autocratique : sur ce point, Saïed va encore plus loin que Ben Ali car il dispose simultanément des pouvoirs exécutif, constituant et législatif.

– Autoritaire : pour l’instant, l’essentiel de la liberté d’expression continue à exister, mais on assiste à un recul inquiétant de la liberté de la presse et un raidissement policier croissant. On voit également se développer contre les opposantEs un cyberharcèlement et des menaces physiques émanant de partisans du président Kaïs Saïed. « On est encore loin de la répression féroce exercée sous Ben Ali. On jouit encore de la liberté d’expression. On n’a pas des milliers de prisonniers d’opinion comme en Égypte, mais les bases d’un pouvoir absolu sont là », dénonce Amna Guellali, d’Amnesty International3.

– Populiste : s’appuyant sur la paralysie du régime parlementaire mis en place après 2011, Saïed s’attribue un pouvoir quasi messianique d’incarner le « peuple » ainsi qu’une mission quasi divine de rédemption. Sa politique passe par le contournement ou la suppression de tous les intermédiaires entre lui et le peuple, et notamment les partis politiques qu’il estime « en train de mourir ».

Contrairement à Ben Ali qui ménageait les « élites » et cherchait à les inclure dans les réseaux mafieux du parti au pouvoir, Saïed s’est au contraire lancé dans une guerre permanente contre elles, entrant notamment en résonance avec l’état d’esprit d’une grande partie de la jeunesse et des milieux les plus défavorisés.

– Violemment opposé à tous les partis politiques : cette hostilité touche les partis ayant été au pouvoir après 2011 (dont Ennahdha), ceux qui ne l’ont pas été, ainsi que le parti des nostalgiques d’avant 2011 dirigé par une ancienne secrétaire générale adjointe du parti de Ben Ali.

– Une dimension nationaliste arabe : à la différence de Ben Ali qui multipliait les courbettes devant les puissances occidentales, Saïed se réclame de la culture arabe et musulmane, qui est, selon lui, la culture authentique du peuple tunisien. Il exalte la souveraineté nationale face aux « ingérences étrangères » accusées d’organiser des « complots » empêchant le peuple de pouvoir véritablement exprimer sa volonté.

– Des références religieuses omniprésentes : certes, Kaïs Saïed n’est pas un « islamiste » au sens d’une affiliation à un parti de type Frères musulmans. Mais il est profondément pieux et religieux et se revendique ouvertement de l’héritage islamique de la Tunisie. Dès son élection en 2019, Saïed s’est par exemple appuyé sur le Coran pour défendre le maintien de l’inégalité successorale entre hommes et femmes. L’article 5 de la nouvelle Constitution affirme par ailleurs que la Tunisie fait partie de « la Oumma [communauté des croyants] islamique ». Contrairement à l’islam politique d’Ennahdha, celui de Saïed est davantage un islam d’État susceptible de se transformer en une forme de théocratie.