Fatigué d’un énième scrutin qui ne change finalement rien dans la vie quotidienne des travailleurEs, les citoyenNEs s’apprêtent à aller voter pour élire cette fois-ci les maires et conseillers municipaux en Turquie le dimanche 31 mars 2024.
Pour ces élections municipales, l’enjeu principal est, du côté du bloc au pouvoir islamo-nationaliste, de reconquérir les principales métropoles, dont Istanbul et Ankara.
Reconquérir Istanbul
Le président Erdogan avait été jusqu’à annuler et renouveler le scrutin d’Istanbul lors des municipales précédentes de 2019 face au risque de perdre l’administration de cette mégapole de 16 millions d’habitantEs. La municipalité d’Istanbul qu’Erdogan avait remportée lors des élections de 1994 avait été non seulement importante pour sa propre ascension mais aussi pour celle de mouvement islamiste en Turquie, notamment au niveau du développement d’un capital islamique grâce aux énormes ressources financière de la municipalité. Ainsi après avoir perdu en 2019 Istanbul et Ankara face aux candidats de l’opposition, il est crucial pour Erdogan et son bloc de se réapproprier ces mairies. Pour le moment, le maire actuel d’Istanbul, Ekrem Imamoğlu, semble pouvoir l’emporter face au poulain d’Erdogan, Murat Kurum, ancien ministre de l’Environnement.
Un nouveau parti islamiste
Toutefois un nouvel acteur, le Nouveau Parti de la prospérité (YRP), émerge dans l’éventail politique de la droite islamo-conservatrice. Si Erdogan reste le leader incontesté pour la moitié de la société, son parti, l’AKP devenu un foyer d’arrivistes, est frappé par une perte de légitimité. Cet affaiblissement du parti profite donc à des formations plus radicales comme le YRP. Mais, contrairement à d’autres formations qui restent docilement dans l’orbite politique d’Erdogan, l’YRP qui avait obtenu 2,6 % aux législatives de 2023 et cinq députés (grâce à son alliance avec le bloc d’Erdogan), ose aujourd’hui défier le Réis.
Pour ces municipales, l’YRP a refusé de se joindre à cette alliance et concurrence ainsi l’AKP dans des dizaines de villes, avec un discours plus islamique, plus social et plus intransigeant dans le soutien à la Palestine. En intégrant des déçus de l’AKP au niveau des administrations locales, l’YRP risque non seulement d’emporter des mairies dirigées par l’AKP mais aussi de faire perdre Istanbul au bloc d’Erdogan en n’appelant pas à voter pour M. Kurum et en présentant son propre candidat. « Nous ne sommes pas un parti qui n’existe que pour faire gagner l’AKP », a déclaré récemment le vice-président de l’YRP.
Les Kurdes et l’opposition
Quant au mouvement kurde, sous son nouveau nom, le DEM Parti, il remportera très probablement la grande majorité des mairies dans la région kurde au sud-est du pays, comme cela a toujours été le cas. Mais, depuis plusieurs années, quasi tous les maires du mouvement kurde sont destitués (et une grande part, incarcérés) avec l’accusation d’être en lien avec le terrorisme. À leur place sont nommés des administrateurs pro-Erdogan. Concernant les villes de l’ouest, le DEM Parti a longtemps cherché à nouer une alliance avec le CHP (principal parti de l’opposition) qui serait officiellement reconnu et déclaré, et dans le cadre de laquelle il obtiendrait des acquis concrets (mairies de district, conseillers municipaux…), contrairement aux scrutins précédents où les Kurdes n’avaient quasiment rien eu en contrepartie de leur soutien, très souvent déterminant. Sous la pression de sa base en faveur d’une politique plus autonome vis-à-vis de l’opposition, le DEM Parti, en l’absence d’un accord satisfaisant, a donc présenté ses propres candidats dans quasiment toutes les villes et districts de l’ouest, sans pour autant mener de campagne active. Il conserve ainsi sa visibilité dans le jeu électoral mais sans concurrencer activement les candidats de l’opposition afin de ne pas faire gagner l’AKP.
Cependant, la gauche radicale est encore une fois très divisée lors de cette campagne, et les alliances à géométrie variable entre les diverses formations peuvent changer de district en district.