La CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés) a déjà mis en garde les pouvoirs publics à propos du projet « d’identification des personnes ayant été au contact de personnes infectées » que le gouvernement voudrait mettre en place, avec la création un Comité analyse recherche et expertise (CARE). Ce dernier serait chargé, notamment, «de conseiller le gouvernement pour ce qui concerne les programmes et la doctrine relatifs aux traitements, aux tests et aux pratiques de "backtracking" qui permettent d’identifier les personnes en contact avec celles infectées par le virus du Covid-19».
En s’inspirant de ce qui se fait déjà à Taïwan, Singapour, en Pologne ou en Israël, il s’agit d’articuler les techniques de géolocalisation et celles de la reconnaissance faciale pour suivre en temps réels les réseaux de contamination, surveiller les transgressions aux mesures collectives de confinement (tracer un «tableau de bord de la distanciation sociale»), et surveiller (et punir) les personnes mises en isolement.
Ces perspectives intéressent les gouvernants et tous les groupes industriels de télécommunication : le PDG d’Orange, Stéphane Richard, a ainsi annoncé que le groupe de télécommunication travaillait déjà avec l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) «pour voir comment les données peuvent être utiles pour gérer la propagation de l’épidémie». Le but de ce partenariat, explique-t-il, est d’utiliser les données de géolocalisation anonymisées afin «de permettre aux épidémiologistes de modéliser la propagation de la maladie». C’est sur la base des données récoltées par l’opérateur Orange que nous savons qu’un million de franciliens ont choisi de se confiner «ailleurs».
Bien sûr, tous les acteurs, à l’instar de Christophe Castaner, jurent leur grand Dieu, que les données seront agrégées et anonymisées, mais personne n’est dupe : ce serait ouvrir un peu plus vite que prévu la voie au monde qu’Alain Damasio décrit dans les Furtifs !
Protection de la vie privée ?
Les questions juridiques de protection de la vie privée, du secret médical, de la surveillance collective sont posées et relevées par la CNIL.
Bien sûr, comme le souligne la Quadrature du Net 1
- 1. «Contre le Covid-19, la géolocalisation déjà autorisée», 19 mars 2020 : https://www.laquadrature…] la loi renseignement adoptée en 2015 «permet à l’État de surveiller la population pour une très large variété de finalités, notamment "pour le recueil des renseignements relatifs à la défense [des] intérêts économiques, industriels et scientifiques majeurs de la France". Si, comme Emmanuel Macron, on admet facilement que "cette crise sanitaire sans précédent aura des conséquences […] économiques majeures", il faut conclure que la loi renseignement autorise déjà l’État à surveiller la population afin de lutter contre l’épidémie. Rien de surprenant au regard de la démesure des pouvoirs que lui a conférés le Parlement en 2015.»
Les Règles générales de protection des données (RGPD) qui autorisent déjà à traiter les données sensibles, telles que les données de santé (par exemple le fait que, en raison de ses déplacements, une personne présente un haut risque d’avoir contracté le virus), «pour des motifs d’intérêt public dans le domaine de la santé publique», seront-elles un frein suffisant ? Il est permis d’en douter.
« Le virus est nocif, mais la destruction des droits est fatale »
Dans les ordonnances publiées après le Conseil des ministres du 25 mars figure celle prise par le ministre de l’Économie et des Finances : l’ordonnance «relative à l’adaptation des délais et des procédures applicables à l’implantation ou la modification d’une installation de communications électroniques afin d’assurer le fonctionnement des services et des réseaux de communications électroniques». Les opérateurs pourront se passer de toute information aux maires et présidents des intercommunalités, et prendre des décisions d’implantation sans avertir l’Agence nationale des fréquences ; les délais d’instruction seront réduits et ils seront dispensés d’autorisation d’urbanisme pour leurs installations. Évidemment, ces dispositions ont un caractère temporaire, mais le provisoire peut durer, lorsqu’aucune échéance précise n’est fixée. Comme le dit Edward Snowden : «Dans une société libre, le virus est nocif, mais la destruction des droits est fatale».
Utilisation marchande et industrielle des données
Nous sommes donc confrontés à un double problème : l’utilisation marchande de nos données par les industriels du numérique qui en tirent de gros profits, et l'utilisation sécuritaire par l’État qui renforce sa panoplie répressive.
L’exigence minimale aujourd’hui est que l’État s’engage à faire immédiatement la transparence sur toutes les mesures de surveillance de la population mises en œuvre pour lutter contre la propagation du Covid-19.
Seul un contrôle populaire et citoyen peut l’y contraindre en mettant en cause l’utilité et les finalités de ces dispositifs de surveillance et de recueil des données ; en exigeant un droit de regard sur les procédures et les algorithmes utilisés ; en demandant l’ouverture des commissions spécialisées aux parlementaires et aux citoyens.