Les semaines passent, et le mouvement des Gilets jaunes continue. Le week-end dernier, à l’occasion de l’acte 14, ce sont ainsi plusieurs dizaines de milliers de personnes qui ont manifesté aux quatre coins de la France, célébrant l’entrée dans son quatrième mois d’une mobilisation inédite qui ne cesse pas, malgré certains signes de fatigue, de mettre en difficulté le gouvernement. Et ce n’est pas fini…
D’après les chiffres du ministère de l’Intérieur, ce seraient 41 500 Gilets jaunes, dont 5 000 à Paris, qui auraient manifesté le week-end dernier, contre 51 400, dont 4 000 à Paris, le week-end précédent. Des chiffres largement sujets à caution, tant les décomptes du gouvernement sont davantage politiques que scientifiques, à un point tel que même BFM-TV les a remis en question. Le 16 février, c’est en effet Dominique Rizet, « spécialiste police-justice » de la chaîne en continu et peu suspect de complaisance à l’égard des Gilets jaunes, qui a déclaré à l’antenne : « On a toujours eu des doutes, on s’est toujours posé des questions. Effectivement, quand on commentait tous les samedis précédents et qu’on relayait les chiffres qui nous étaient donnés par le ministère de l’Intérieur, on a toujours bien compris qu’il y avait beaucoup plus de monde que cela ». Voilà qui donne du grain à moudre au mouvement, et notamment au groupe « le Nombre jaune » qui, en recensant les remontées des différentes villes, a compté de son côté un peu plus de 100 000 manifestantEs, soit un chiffre presque similaire à celui qu’il avait établi la semaine précédente.
Des voies à trouver, des obstacles à lever
Au-delà des chiffres (et de la querelle qui les accompagne), force est toutefois de constater que, si le mouvement est toujours bien vivant, avec d’importantes manifestations et une détermination toujours aussi palpable, la répétition des défilés et rassemblements du samedi peut commencer à lasser. La recherche de perspectives, de modalités d’action nouvelles, de structuration, est bien là. Et c’est tant mieux, tant elle est indispensable pour faire franchir un nouveau cap à cette mobilisation inédite et la faire résister, ce qu’elle a réussi à faire jusqu’à présent, aux prophéties de ses détracteurs qui, chaque semaine, pronostiquent l’effondrement du mouvement… sans succès.
Convergences avec les syndicats, actions de blocage économique, retour sur les ronds-points, structuration à l’échelle départementale, « assemblée des assemblées »… Les expériences et les expérimentations sont multiples, qui témoignent qu’au-delà des manifestations, moments les plus « visibles » de la mobilisation, un processus de politisation d’ampleur est à l’œuvre. C’est en grande partie ce phénomène qui explique la longévité de la mobilisation, en outre alimentée par l’arrogance du pouvoir, qui ne cesse de faire montre de son mépris à l’égard des Gilets jaunes, essayant de les faire taire par tous les moyens, notamment la répression policière et judiciaire.
La dernière offensive en date concerne l’accusation d’antisémitisme brandie contre les Gilets jaunes, au moyen d’amalgames grossiers et dangereux, dans une logique cynique d’intrumentalisation d’actes antisémites bien réels (voir ci-dessous). Il s’agit ni plus ni moins de tendre un piège au mouvement des Gilets jaunes : s’il est en effet nécessaire de se démarquer clairement des manifestations d’antisémitisme (banderoles, slogans, agressions verbales) qui peuvent s’exprimer dans la mobilisation, il faut « en même temps » résister aux injonctions de ceux qui, en assimilant Gilets jaunes et antisémitisme, en appellent à la fin du mouvement.
Se saisir des opportunités de convergence
Dans cette situation riche de potentialités, mais où rien ne pourra être obtenu sans la construction d’un rapport de forces plus important qu’il ne l’est actuellement, tant le pouvoir semble déterminé à passer en force tout en agitant le hochet du « Grand débat », les défis sont multiples. Au sein du mouvement des Gilets jaunes et de ses assemblées bien sûr, où les discussions vont se poursuivre sur les perspectives (prochains samedis, prochaine « assemblée des assemblées » à Saint-Nazaire début avril, renforcement des convergences, etc.), mais aussi du côté des organisations du mouvement ouvrier, après la réussite en demi-teinte de la journée de mobilisation du 5 février. Cette dernière a en effet montré que nous pouvions nous retrouver, ensemble, en grève et dans la rue, pour unir les forces disponibles et déterminées à faire reculer Macron. Mais l’absence de lendemain à cette journée et de perspectives de mobilisation d’ensemble pèse défavorablement sur les consciences, alors que les convergences sont nécessaires… et possibles.
Il y a urgence à battre le fer tant qu’il est chaud. Le gouvernement est fragilisé mais cela ne l’empêche pas d’être déterminé à avancer, quitte à multiplier les confrontations. Attaques contre l’assurance chômage, réforme de la justice, offensive réactionnaire contre l’école, plan de destruction de l’hôpital public, privatisations, contre-réforme des retraites en préparation… Les dangers sont bien là, et imposent de construire un véritable mouvement d’ensemble.
Les défis sont multiples. Contre la répression, il faut construire une riposte unitaire contre les violences policières, pour l’interdiction des flashballs, LBD 40, et grenades de désencerclement, contre la loi prétendument « anticasseurs », pour défendre la liberté de manifester. Ces prochaines semaines vont aussi permettre de construire des convergences : le vendredi 8 mars avec la grève, les manifestations pour les droits des femmes, le vendredi 15 mars pour la justice climatique, le samedi 16 mars contre le racisme et les violences policières, et enfin le mardi 19 mars, nouvelle journée de mobilisation du monde du travail pour les salaires et le pouvoir d’achat. Des échéances à construire en lien avec la mobilisation et les revendications des Gilets jaunes, pour donner un corps et un contenu à l’un des slogans les plus repris au cours des dernières semaines : « TouTes ensemble ! »
Julien Salingue