Jacques Chirac est mort. Ainsi-soit-il. Comme d’habitude, les hommages ont afflué. Nous n’en avons pas été. Car, après une brève parenthèse au Mouvement de la paix quand il était étudiant dans les années 1950, il y a une constante dans la vie de Chirac : le service du capital et l’opposition au mouvement ouvrier.
La carrière politique de Chirac débute avec le début de crise du gaullisme et l’éclatement du bloc de droite en deux pôles : national-gaulliste d’un côté, libéral-européiste de l’autre. Mais il ne faut pas croire qu’il s’agit là d’un clivage net et sans bavure : en fait, il y a des passerelles et des passages de l’un à l’autre pôle. Jacques Chirac en est l’illustration, il navigua au gré des circonstances et de ses ambitions personnelles.
De Matignon à la mairie de ParisEn 1974 meurt Pompidou, successeur de de Gaulle. Le candidat gaulliste officiel est Chaban-Delmas. Chirac, alors ministre, décide de jouer une autre carte et organise un groupe de 43 députés gaullistes qui se prononce pour le candidat libéral Giscard d’Estaing, ce qui lui vaudra le poste de Premier ministre. Face à la crise économique, il ne sait pas sur quel pied danser et Giscard s’en débarrasse pour nommer à sa place Raymond Barre qui s’engage dans une politique de remise en cause des règles du jeu économique et social mises en place depuis la Seconde Guerre mondiale : l’heure est au néolibéralisme. Illico, Chirac se métamorphose en opposant, dénonce le « capitalisme sauvage » et commence à organiser son dispositif pour la présidentielle. En 1977, ont lieu les premières élections à la nouvelle mairie de Paris : il saute sur l’occasion et est élu contre le candidat giscardien (alors qu’il a construit sa carrière politique en Corrèze).Il se pose de plus en plus en opposant à Giscard mais arrive derrière lui face à Mitterrand à la présidentielle de 1981. Son fief parisien lui permet de conserver une présence tandis que les ressources et prébendes de la capitale sont mises au service de son parti, du renforcement de sa clientèle et accessoirement de son confort personnel. Il est assez habile pour échapper à toute condamnation dans les huit affaires dans lesquelles son nom est prononcé.
À l’ÉlyséeLes élections législatives de 1986 approchant, c’est l’heure d’un Chirac farouchement à droite et ultra-libéral. Il gagne et met en œuvre, parmi d’autres mesures, la suppression de l’autorisation administrative de licenciement, des expulsions d’immigréEs par charters, une politique anti-indépendantiste en Kanaky, etc. Sa posture de réunificateur de la droite ne lui permet pas de gagner l’élections présidentielle de 1988 : Mitterrand est réélu. Pour préparer les législatives de 1993, c’est à nouveau « à droite toute » avec, en 1991, un discours où il parle de « bruit » et d’ « odeur » pour dénoncer les immigréEs. Il gagne les législatives de 1993 mais, se réservant pour la présidentielle, il envoie à Matignon Édouard Balladur. Celui-ci gagne une forte popularité à droite et, trahissant Chirac, annonce sa candidature à la présidentielle de 1995.Chirac, donné battu par tous les sondages, opère une nouvelle mue et dénonce sur tous les tons les ultra-libéraux qui approfondissent la « fracture sociale ». Il surclasse Balladur au premier tour et, au second, bat Lionel Jospin, candidat du PS. À peine élu, nouvelle volte-face : la priorité, c’est de réduire le déficit budgétaire et de reprendre les privatisations. Les grèves de l’automne 1995 contraignent son premier ministre Alain Juppé à quelques reculs mais l’essentiel du cap est maintenu. En 1997, la droite est battue aux législatives par la gauche conduite par Lionel Jospin, qui poursuivra les privatisations, s’inscrira dans les contraintes budgétaires de l’Union européenne…
Dernier mandatÀ la présidentielle de 2002, Chirac se représente, bat Jospin et, au second tour, se retrouve face à Le Pen ; ce qui lui permet d’être réélu largement. Pendant 5 ans sera menée une politique libérale anti-salariéEs et anti-retraitéEs, ainsi que de répression dans les quartiers populaires. Malgré cela, Chirac se présente de plus en plus en président jovial et bon enfant, « proche des Français ». Il affiche des préoccupations écologiques et a l’intelligence de s’opposer à l’invasion de l’Irak par les États-Unis et leurs alliés. En 2007, il est temps pour la girouette, qui posait de plus en plus en « vieux sage », de quitter la scène.Dans son bilan final, la dénonciation du rôle de l’Etat français dans la déportation des Juifs (dénonciation à laquelle s’était refusé Mitterrand) ne compense pas ses déclarations et ses politiques anti-immigréEs, la répression policière en 1986, qui causa la mort de Malik Oussekine, les éliminations d’indépendantistes kanaks, les politiques anti-ouvrières, la Françafrique… Celui qui se vantait, alors qu’il était jeune secrétaire d’État à l’emploi, de s’être rendu avec un revolver à une rencontre en mai 1968 avec la CGT, aura été tout au long de sa carrière un fidèle serviteur de la bourgeoisie française et de sa propre personne.
Henri Wilno