Alors que le congrès du FN approche, l’objectif de Sarkozy, aux commandes d’une droite qui se fissure, reste de prendre les voix de l’extrême droite sans, laisse-t-il entendre, s’aligner sur elle. Pourtant, de lois liberticides et sécuritaires en projets antisociaux, de réformes judiciaires toujours plus arbitraires en réforme de la nationalité, le pompier-pyromane de l’Élysée pioche dans la boîte à idées des extrêmes droites. Il crée les conditions d’un retour de celles-ci au centre de la vie politique française. Radiographie des organisations d’extrême droite en embuscade.
Le pôle « national-patriotique »
Les douze années de conflits, de scissions et de spéculations liées à la succession de Jean-Marie Le Pen à la présidence du parti de la « préférence nationale » verront leur terme les 15 et 16 janvier 2011 à Tours. Les militants du Front national devront choisir qui, de Marine Le Pen ou de Bruno Gollnisch, sera leur nouveau chef. Les deux concurrents ont révélé leurs ambitions. Pour Marine Le Pen, il s’agit de « faire du FN, une machine de guerre à la conquête du pouvoir », « de fédérer les énergies militantes pour une révolution pacifique et démocratique ». Lors de sa conférence de presse du 1er septembre, elle présentait l’essentiel du dispositif politico-organisationnel élaboré dans cet objectif (réamorcer l’implantation locale, associative et syndicale ; formation des cadres ; actions thématiques à l’automne ; activation du think tank « Idées Nations », relance d’un conseil scientifique et d’une maison d’édition ; préparation des cantonales de 2011, des échéances de 2012…). De son côté, Bruno Gollnisch, lors de sa déclaration de candidature, le 16 septembre, a développé les axes et revendications qui constituent son « programme de sursaut national ». Sur cette base, il appelle « ses camarades du Front national, puis tous ceux qui, de la droite sociale à la gauche patriotique, ont récusé en 2005 le projet euro-mondialiste de Constitution » à le rejoindre pour « la renaissance de la France […] à la portée des militants nationaux ». Ainsi, durant le trimestre à venir, Bruno Gollnisch et Marine Le Pen (ou leurs lieutenants) que, du propre aveu de la benjamine Le Pen, peu de choses différencient sur le fond, parcourront la France pour gagner les suffrages des militants et faire que cette campagne interne occupe l’espace médiatique.
Le pôle « droite nationale »
Si la succession de Jean-Marie Le Pen occupe les esprits au sein du Front national, elle monopolise également, depuis de nombreuses années, l’attention des cadres dissidents du FN.Ainsi, la droite nationale et identitaire regroupe plusieurs mouvements et partis politiques qui ont en commun une fervente rancœur à l’encontre de Jean-Marie Le Pen et aux prétendus renoncements de Marine Le Pen, aujourd’hui. Naguère candidats à la succession du « menhir » au sein du FN, tous dénoncent aujourd’hui une succession truquée qui verra la victoire de Marine Le Pen et de sa ligne de « rénovation du FN » considérée comme un alignement sur les valeurs de l’UMP. Partant de ce constat, des groupes se posent en alternative à la « présidence Marine Le Pen » : le microscopique Mouvement national républicain (MNR) désormais dirigé par Annick Martin, issue de la scission frontiste significative de 1998 conduite par Bruno Mégret ; la Nouvelle droite populaire (NDP) de Robert Spieler et Roland Hélie ; le Parti de la France (PDF) de Carl Lang. Dans cette optique, un « Comité de liaison de la résistance nationale » a vu le jour le 5 juillet 2010. Dans ce comité, certains courants au sein de chaque formation préserve son autonomie – les catholiques traditionalistes de Bernard Antony au PDF, les païens de Pierre Vial à la NDP. Mais tous se préparent « au lendemain du congrès du FN, a accueillir à bras ouverts [...] les militants et les cadres sincères qui, en cas de victoire de Marine Le Pen, ne se retrouveraient plus dans un mouvement édulcoré de ses fondamentaux. » Ces trois formations « croupions » (MNR, PDF, NDP) consolident, par ce dispositif, leurs précédentes alliances électorales. Après des campagnes menées conjointement lors des européennes de 2009 et des régionales de 2010 où il s’agissait d’appeler à un « référendum contre l’immigration et l’islamisation », ce comité se positionne dans la perspective de 2012. Les thèmes communs ne manquent pas : « refus de l’immigration extra-européenne et de l’islamisation » ; défense des identités française, régionale et européenne ; préférence nationale ; protectionnisme économique ; « réhabilitation des valeurs familiales. » Mais les stratégies semblent différer. Ainsi, la présence d’un cortège NDP, lors de la manifestation du 9 mai 2010, au côté de l’ex-skinhead Serge « Batskin » Ayoub, tente de coordonner une mouvance « nationalistes-autonomes » émergente, suggère une stratégie, chez certains, articulant vitrine électorale et activisme violent faisant écho aux pratiques des années 1970.
Le pôle « national-républicain »
Il est essentiellement représenté par l’association déposée en mars 2007 par l’autodidacte prétendument marxiste, Alain Soral : Égalité et réconciliation.Ce pôle, à la prétention « antisystème », a pour objectif de faire converger « la gauche du travail et la droite des valeurs », de créer les conditions de l’alliance d’une fraction du patronat et du salariat contre la « gauche bo-bo », la « droite bling-bling » et les « atlanto-sionistes » dans l’intérêt de la Nation (et de la République). En réalité, il ne s’agit que d’une tentative de reformulation contemporaine de l’union du socialisme et du nationalisme de George Valois, une forme de fascisme. Depuis sa création, ce « fan club » soralien (dixit son ex-secrétaire général Marc George), de quelques centaines de membres, dont l’ambition reste de peser sur l’orientation du FN, multiplie les impostures et tente prioritairement de gagner les populations issues de l’immigration aux vieilles rengaines de l’extrême droite (le levier antisémite y joue un rôle important). Il est aidé en cela par des individus-relais, membres d’associations confessionnelles conservatrices. Ce mouvement assimilationiste, néocolonialiste francophone (il existe des antennes E&R en Suisse et en Belgique), pro-Poutine, opposé à la régularisation des sans-papiers, partisan de « l’immigration zéro », a multiplié les tentatives de dévoiement du soutien à la cause palestinienne. La plus connue étant sa participation active à la liste prétendument « antisioniste » de Dieudonné lors des élections européennes de 2009. E&R est contre le droit à l’IVG comme en atteste sa présence à la « marche pour la vie » de janvier 2010.En mars 2010, l’association tenait son assemblée générale qui fut mouvementée. En effet, le président Soral, soucieux de ne pas insulter l’avenir quant aux rapports souvent conflictuels d’E&R avec la nouvelle présidence frontiste, décida de purger l’association de plusieurs de ses cadres. Certains souhaitaient qu’E&R se transforme en parti. D’autres affichaient publiquement leur soutien à Bruno Gollnisch (Marc George le fit bruyamment dans l’hebdomadaire Rivarol). Depuis cette reprise en main, E&R développe le mot d’ordre de « chavisme à la française » dont on voit mal l’orientation concrète qu’il implique pour les mois à venir… au-delà de la confusion idéologique qu’il distille.
Le pôle « républicain-identitaire »
Le Bloc identitaire est devenu un parti politique, lors de sa convention d’octobre 2009 à Orange (Vaucluse) qui réunissait plus de 600 militants, en quête de respectabilité.Durant les années 2000, les Identitaires se sont construits sur une stratégie de coups médiatiques (les « soupes au cochon », un temps interdites), dont le dernier en date est l’« apéro saucisson pinard » du 18 juin, fruit d’une association, hypothétiquement durable, avec les souverainistes de Riposte laïque. Autre volet de leur stratégie : une volonté de « reconquête culturelle » qui précéderait et accompagnerait la conquête du pouvoir politique. Ce « gramscisme de droite », théorisé par la Nouvelle Droite, se traduit par la création de différentes associations périphériques (Novopress, Solidarité Kosovo, Comité d’entraide aux prisonniers européens…) ; par l’intervention sur des terrains traditionnellement considérés comme peu politiques (implantation dans les « Kops » de supporters à Nice et à Paris) ; par l’ouverture, sur le modèle des centres sociaux italiens (les Identitaires entretiennent des liens étroits avec la Ligue du Nord) de « maisons identitaires » (la Maïoun à Nice et, récemment, Ty-Breizh en Bretagne) signes d’une volonté d’insertion locale banalisant leur présence et leurs idées au travers d’un mouvement social « alternatif ». Leur structuration en organisations régionales (Jeune Bretagne, Projet Apache, Nissa Rebela, Rebeyne, Alsace D’abord…), sortes de « filiale » des Jeunesses identitaires, illustre une orientation basée sur la « défense des identités » (régionales, française, européenne), la dénonciation d’un « racisme anti-blanc » et un discours différentialiste qui vise les populations issues de l’immigration extra-européenne, particulièrement musulmanes. La stratégie « attrape-tout » (dénonciation des politiques libérales et sécuritaires, appropriation de l’écologie, références à la Commune de Paris…) ainsi que des modes d’actions radicaux (les Identitaires sont souvent impliqués dans des actes de violence) expliquent l’attrait qu’exerce cette mouvance sur certaines franges de la jeunesse. Si le passage au terrain électoral s’est révélé peu fructueux en 2007 et 2008, les listes présentées et soutenues par les identitaires ont obtenu, lors des régionales de 2010, des scores non négligeables (Alsace d’abord a frôlé les 5 %), et ont confirmé l’implantation et le développement d’un courant d’extrême droite alternatif au FN. Bien qu’idéologiquement certains obstacles subsistent, certains signes laissent penser que les rapports entre le FN et les Identitaires, parfois violents (affrontements physiques à Nice en 2008), pourraient sérieusement s’améliorer, favorisés par la présidence Marine Le Pen. L’avenir dira si l’annonce récente d’une candidature du Bloc identitaire à la présidentielle de 2012 doit être interprété comme l’ancrage d’un pôle concurrent au FN ou comme la garantie d’un ralliement « au meilleur prix » de l’organisation identitaire. En janvier prochain, un nouveau cycle s’ouvre pour l’extrême droite française. Un cycle où le Front national retrouve une audience significative parmi les déçus du sarkozysme, dans la jeunesse et les couches populaires. Un cycle où les organisations à sa marge poursuivent leur patient travail de construction. Un cycle où la gauche politique, sociale et associative doit retrouver la voie de la mobilisation face aux multiples visages des « voleurs d’avenir ».Pour en savoir plus :Les voleurs d’avenir – Pourquoi l’extrême droite peut avoir de beaux jours devant elle, René Monzat, éditions Textuel, collection La Discorde, 2004.Les Extrêmes droites en France : de la traversée du désert à l’ascension du Front national, 1945-2008, Jean-Paul Gautier, Éd. Syllepse, 2009. Le Front national, Toulouse, Éditions Milan, « Les essentiels », 1998Le Pen, fille et père, Christiane Chombeau, éditions Panama, 2007À paraître : dossier extrême droite, Tout est à nous ! La revue n°15, novembre 2010