L’utilisation du 49.3 de la part du gouvernement de Macron dans le contexte de la mobilisation contre la réforme des retraites a provoqué une vague d’indignation permettant d’élargir la base sociale mobilisée et de mettre en mouvement la jeunesse. L’argument de légitimité du gouvernement selon lequel la loi aurait suivi le « cheminement démocratique » apparaît extrêmement faible et impopulaire. Des expressions telles que « déni de démocratie » et « crise de régime » semblent s’être installées durablement dans les consciences et dans le débat public. Cette séquence de mobilisation peut donc accélérer le lent processus de délitement du système représentatif bourgeois dont la critique a constitué le socle des revendications portées par les mouvements sociaux au cours des dernières décennies.
Du mouvement altermondialiste au début des années 2000 au mouvement des Gilets jaunes, la critique de la représentation et la pratique de formes de démocratie radicale ont constitué des préoccupations centrales pour les militantEs. La vie dans les ronds-points a stimulé une articulation originale des répertoires d’occupation, de blocage de la circulation et de mise en visibilité médiatique avec de nouvelles formes de politisation et de débat démocratique. Le recours intensif à l’assemblée et la mise en place d’une « Assemblée des assemblées » (ADA) de la part de l’aile gauche du mouvement a permis la coordination de centaines de groupes de Gilets jaunes, selon une logique de démocratie directe1.
Vers une crise de régime ?
Dans le cadre de l’actuelle mobilisation contre la réforme des retraites, la fracture entre les gouvernantEs et les gouvernéEs s’accentue. Alors que le pouvoir se renferme sur lui-même en radicalisant sa fonction autoritaire et répressive, la démocratie reprend sa vigueur à travers l’organisation de la grève, la construction d’un contre-espace public et la coordination de l’action collective. Il devient alors clair que l’État bourgeois, en tant qu’organisme propre à un groupe, est destiné à créer les conditions favorables à la plus grande expansion de ce même groupe. Dans des contextes de forte mobilisation, la fiction de l’universalité tombe et le caractère conservateur et reproducteur des institutions libérales est dévoilé. C’est dans ces moments que la prise de conscience autour du partage d’intérêts communs assume une dimension politique.
Tout en ayant permis à la démocratie de s’élargir, notamment à travers le suffrage universel, le modèle représentatif n’a pas contribué à l’amplifier c’est-à-dire à réduire la distance entre les gouvernantEs et les gouvernéEs. Loin de l’idée d’une fusion entre les institutions et la société civile, « le gouvernement représentatif a été institué avec la claire conscience que les représentants élus seraient et devraient être des citoyens distingués, socialement distincts de ceux qui les élisaient2 ». Les défenseurs du système représentatif sont en effet radicalement opposés à l’idée de céder au peuple le pouvoir décisionnel.
De nombreuses expérimentations récentes, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur des institutions, comme les ZAD ou le dispositif de la convention citoyenne sur le climat, démontrent pourtant une volonté forte de la part des groupes sociaux subalternes d’accéder aux activités de fabrication de la loi et de prise de décisions. Les revendications autour du RIC, de la dé-professionnalisation de la politique et de la révocation des mandats confirment cette même aspiration démo-
cratique. La réponse institutionnelle en matière de démocratie participative et délibérative reste toutefois insuffisante précisément car elle est traversée par une tension entre la nécessité de répondre à la crise démocratique par une offre de participation, bien que toujours encadrée et domestiquée, et l’impossibilité de transformer et démocratiser en profondeur le système représentatif. Ce changement serait en effet incompatible avec la société de classe fondée sur la division sociale, genrée et raciale du travail.
À la crise économique et sociale s’est superposée « une crise de gouvernementalité », comme le dirait Michel Foucault, due à la fois aux mouvements de résistance au capitalisme néolibéral et au « blocage du dispositif général de gouvernementalité3 ».
Pensées féministes et démocratie
Le concept d’« espace public » est central pour pouvoir développer une théorie critique de la société capitaliste tardive et penser une forme de démocratie réelle. Selon la théorie d’Habermas, il s’agit d’une sphère de discussion et de débat, séparée des deux systèmes – l’État et le marché – où des personnes privées faisant un usage public de leur raison discutent de choses d’intérêt général4. Le résultat de ce débat est censé constituer l’« opinion publique », dans le sens d’un consensus rationnel portant sur une notion partagée de bien commun. Selon ce modèle normatif, la discussion se devait d’être ouverte et accessible à tous, les intérêts exclusivement privés n’étaient pas admis, les inégalités de statut social devaient être mises en suspens et les participants devaient débattre d’égal à égal.
En s’appuyant sur différents travaux féministes, Nancy Fraser propose une critique intéressante de l’idéal de l’« espace public bourgeois5 ». Cette littérature souligne le fait qu’il repose sur des exclusions significatives, comme celle des femmes notamment, et qu’il est donc façonné par l’habitus de l’homme « occidental » trop souvent érigé en modèle universel. Joan Landes nous explique que l’ethos du nouvel espace public républicain en France fut construit autour d’un type austère de discours et de comportement publics, jugé « rationnel », « vertueux » et « viril6 ».
Le terme « public » est d’ailleurs étymologiquement lié à pubic/pubes et est considéré, depuis l’Antiquité, comme inhérent à la sphère de la masculinité. Geoff Eley affirme que les opérations d’exclusion en fonction du genre étaient liées à d’autres types d’exclusions de classe. La sphère publique bourgeoise a donc également pu constituer un lieu d’entraînement de la nouvelle élite émergente, dont les habitus lui permettait tout à la fois de se distinguer des anciennes élites aristocratiques qu’elle voulait supplanter, et des couches populaires et plébéiennes qu’elle aspirait à dominer7. Quant à elle, Mary Ryan met en évidence comment les femmes nord-américaines du XIXe, issues de classes et de groupes ethniques divers, ont su constituer un réseau d’associations bénévoles non mixtes où les débats leur permettaient de politiser les questions liées à la sphère intime et domestique et se frayer un chemin malgré leur exclusion de l’espace public officiel. Elizabeth Brooks-Higginbotham a mis en évidence l’existence de l’église noire comme espace public alternatif animé par les Noirs aux États-Unis entre 1880 et 1920. IssuEs de la classe ouvrière, de la paysannerie, des travailleurs et travailleuses migrantEs ou des femmes, ces publics subalternes ont souvent été invisibilisés dans l’historiographie de l’espace public.
La constitution de la démocratie libérale bourgeoise porte donc les marques de ces exclusions qui sont directement liées aux conflits de classe et aux hiérarchies sociales et de genre. Au fondement de notre régime démocratique, l’idée de « sphère publique bourgeoise », à laquelle Habermas attribue des qualités émancipatrices, s’est donc construite sur la base d’intérêts de classe particuliers. Son éthique et ses formes de discussion et de délibération ne sont donc pas universels mais constituent des constructions historiques liées à la dynamiques de la lutte des classes. Dès lors, l’idée d’une seule sphère publique devient problématique. Le travail de Nancy Fraser nous invite alors à concevoir l’espace public comme un espace conflictuel où l’accès à la prise de parole, à la visibilité et à la délibération est considéré comme un enjeu de lutte.
Quand le consentement fait défaut il ne reste que la violence
La Ve République française ne fait pas exception. Elle a été conçue à l’image d’un homme, le général de Gaulle, jugé à même de maintenir l’ordre social et colonial. Il avait la tâche de préserver l’Algérie française en réprimant la contestation et de rétablir une figure autoritaire à la tête de l’État français. Il s’agit donc d’une sorte de double coup d’État bien que légitimé par le vote.
La début de la Ve République est donc riche en enseignements car il pointe le fait qu’il ne suffit pas d’invoquer la souveraineté populaire pour établir une forme de gouvernement démocratique (celle-ci est d’ailleurs invoquée également par les courants nationalistes et xénophobes) l’enjeu, comme le souligne Samuel Hayat, est de trouver les moyens d’exercer et d’appliquer concrètement la volonté du peuple88. Cela renvoie donc non seulement au moment institutionnel mais à l’ensemble des processus de construction et diffusion des savoirs, de débat et de délibération ainsi qu’au contrôle réel que les citoyenEs peuvent exercer sur la loi. En ce sens, le système représentatif est conçu précisément pour freiner ces processus de prise en main directe des affaires publiques de la part des ceux et celles d’en bas. Il se fonde en effet sur l’idée de déléguer un pouvoir et donc de renoncer à l’exercer. Avec l’assentiment du peuple, la démocratie bourgeoise garantit une forme stable de dictature de la bourgeoisie où il est possible de trancher pacifiquement entre différentes orientations au sein de la classe dominante et d’asseoir son hégémonie. Ce système oligarchique, où le citoyen est contraint de devenir spectateur et arbitre dans la compétition entre des franges des élites qui accèdent au pouvoir, s’est imposé comme le modèle politique dominant en en écartant d’autres. La démocratie n’est en ce sens pas réductible à des formules de gouvernement et à des lois mais son existence dépend de la possibilité de remettre en cause l’État, les rapports sociaux de pouvoir et l’exploitation économique.
Dans la confrontation actuelle entre le mouvement social et le gouvernement de Macron, ce dernier affirme ne pas être compris par la population. En tant qu’élu, il se considère légitime à décider contre les autres et à la place des autres et cela même si, dans le débat public, ses arguments ont été systématiquement démentis, déconstruits et récusés. Un contre-
public critique s’est donc bel et bien formé, il s’est renseigné sur la réforme, il a acquis une expertise et une visibilité dans l’espace public officiel mais ses instances et ses aspirations ont pu être ignorées.
Cela ne se produit pas sans conséquences. Le système représentatif bourgeois repose en effet sur au moins deux piliers : la légitimation par les urnes et la gestion de l’opinion publique. Macron actuellement ne dispose complètement ni de l’une ni de l’autre. Il a une majorité relative à l’Assemblée et il a été élu par défaut par 20 % des électeurs/trices pour éviter un mal considéré supérieur. Il n’a en outre plus la crédibilité ni les moyens de contrôler le débat public et médiatique. Il ne bénéficie pas du lien direct avec les masses sur lequel s’appuyait le pouvoir référendaire de De Gaulle en 1958. Il n’a pas non plus été choisi sur la base de son programme politique qui n’a pas pu être présenté et discuté lors de la campagne. La crise démocratique, liée à la crise du capitalisme, contribue à radicaliser le pouvoir néolibéral.
Toutefois, les conséquences désastreuses qu’entraînent la propriété privée des moyens de production et l’accaparement et la destruction des ressources naturelles et des biens communs de la part des capitalistes sont de plus en plus visibles aux yeux du plus grand nombre. À la base d’une crise climatique sans précédent, les activités anthropiques liées au mode de production industriel capitaliste mettent désormais en péril la préservation de l’espèce humaine. En panne de légitimité et n’arrivant plus à gouverner par le consentement, le gouvernement est contraint de recourir à la violence institutionnelle et à l’autoritarisme pour préserver l’ordre social et les privilèges. Le monopole de la violence constitue le troisième pilier sur lequel pose le modèle de la démocratie libérale. Contrairement à ce qui a été affirmé ici et là, selon Max Weber, le monopole étatique de la violence n’est pas à priori légitime mais il peut s’exercer seulement à condition d’être considéré comme étant « légitime » c’est-à-dire en accord avec la loi et répondant à un principe reconnu d’intérêt général.
Quelles nouveaux moyens face à l’autoritarisme et à la violence d’État ?
La bataille contre la réforme des retraites a montré que gagner l’opinion, réussir à pénétrer dans l’espace public officiel pour imposer sa vision du monde est une condition nécessaire mais pas suffisante pour faire infléchir le pouvoir. Minoritaire et isolé, celui-ci peut encore imposer sa volonté au plus grand nombre en s’appuyant sur les institutions de la Ve République et la répression policière. Cette dernière nous semble toutefois de moins en moins aller de soi. Depuis la médiatisation des meurtres de la police et l’action efficace des collectifs de défense des victimes, la thématique des violences policières s’est imposée dans l’espace public. L’intervention policière contre les mouvements sociaux ainsi que les actes de persécution judiciaire contre les syndicalistes et les manifestantEs sont de plus en plus dénoncés et critiqués au point de mettre à mal la légitimité de la violence étatique vis-à-vis de sa population et des opposantEs.
Le cas de Sainte-Soline est en ce sens exemplaire. Les témoignages, les images des grenades jetées sur les cortèges pacifiques, les enregistrements qui illustrent la façon dont la gendarmerie a empêché les secours avec le concours du préfet : l’ensemble de ces discours ont circulé dans les médias officiels et les réseaux sociaux permettant à la vérité d’émerger.
Reconfiguré par le numérique, l’espace public contemporain est de plus en plus complexe, fracturé, marchandisé. Si le modèle normatif habermassien d’un espace public ouvert, permettant l’intercompréhension, la réflexion critique et le débat éclairé, semble être très éloigné de la réalité, les nouvelles possibilités d’auto-publication et de partage de l’information en ligne permettent à de nouveaux acteurs, en quête de reconnaissance, de bousculer les registres de la visibilité médiatique et d’imposer de nouveaux problèmes sociaux et de nouvelles revendications. Le cas des violences policières illustre bien ces changements : la perception du public autour du maintien de l’ordre et du recours à la violence de la part des forces de police a évolué. Les gens sont de plus en plus conscients des abus de la violence institutionnelle et de sa fonction répressive et conservatrice. Les tentatives de criminalisation des mouvements sociaux ou de certaines de leurs franges sont de moins en moins efficaces au vu de la radicalisation du pouvoir étatique et de sa dimension autoritaire. Les informations produites par les acteurs militants, les associations, les journalistes indépendantEs et les familles des victimes ont largement contribué à documenter cette violence (par des chiffres, des images, des contre-expertises, des témoignages…) et à en questionner la légitimité.
En même temps, le niveau d’acceptation du recours à l’action directe, à des formes de désobéissance, à la participation aux manifestions « interdites », à la destruction du mobilier urbain ou aux affrontements avec la police est aussi en train d’évoluer. La difficulté à défendre ses intérêts à travers les moyens pacifiques et plus traditionnels comme la grève (dont l’organisation et la généralisation ont été compliquées) alimente le débat tactique et stratégique et encourage la recherche de nouveaux débouchés. Les mobilisations écologistes radicales visant à dénoncer les actions climaticides vont très probablement se multiplier avec des occupations et des actes de désobéissance qui pourront se dérouler à la fois dans les villes, dans le cadre des gros projets polluants et inutiles et en pleine nature. Selon Andreas Malm, la manifestation de Sainte-Soline constitue une lutte d’un nouveau genre car elle concerne « la stratégie d’adaptation au changement climatique9 ». Ces luttes sont en outre profondément anticapitalistes puisqu’elles s’opposent aux tentatives d’appropriation et de monopolisation des ressources rares comme l’eau et des biens communs universels par des entreprises privées.
Allier anticapitalisme et démocratie
Le mouvement social contre la réforme des retraites a été capable d’élargir ses enjeux des questions économiques aux questions concernant la démocratie et les libertés publiques. Il exprime désormais un refus en bloc de la politique néolibérale de Macron et du modèle de société qui en découle. Nous vivons une crise de régime dans le cadre de laquelle s’exprime un refus collectif très fort d’être gouvernéEs comme avant, ce qui constitue une base importante pour développer de nouveaux imaginaires de la démocratie et de la société.
Si l’absence de démocratie est avant tout reconductible à la division sociale du travail dans le contexte du capitalisme tardif, je crois que ce serait une grave erreur de ne pas prendre au sérieux les aspirations démocratiques qui s’expriment depuis plusieurs décennies dans les mouvements sociaux à une échelle internationale. Autrement dit, on ne peut pas construire une stratégie révolutionnaire sans poser la question autour de la forme démocratique que prendra la nouvelle société, sans accroître d’ores et déjà la capacité d’auto-organisation des sphères subalternes, leur capacité à délibérer, à s’exprimer publiquement et à coordonner des actions d’une manière horizontale. Nous ne pourrons pas le faire sans construire des organisations politiques, associatives et syndicales qui permettent de transformer voire annuler les rapports entre dirigeantEs et dirigéEs. La situation actuelle est plutôt contradictoire : alors qu’il existe une forte aspiration démocratique qui se traduit aussi par une appréhension critique vis-à-vis de la bureaucratie et des structures verticales, de nombreuses organisations, y compris dans notre camp social, n’arrivent pas à dépasser les logiques dirigistes. Les décisions descendantes et l’absence de pouvoir de la part des militantEs dans les partis tels que La France insoumise montrent bien cette tension entre le besoin de mobiliser et d’impliquer les bases et les freins structurels à la participation des militantEs au projet stratégique et organisationnel. Le mouvement sur les retraites a également révélé les faiblesses de l’auto-organisation n’ayant pas permis d’intensifier et de généraliser les actions de grève au-delà du calendrier proposé par l’inter-
syndicale. Dans un certain nombre de mouvements, l’action semble primer sur la discussion et les choix démocratiques. Ainsi, en même temps que nous envisageons une stratégie pour nous approprier l’outil de production et les fruits de notre travail nous devrions également repenser l’espace public et formuler une critique radicale de l’État et de la démocratie représentative. Les deux choses sont intimement liées car la « subordination économique interdit toute participation à la production culturelle, dont les normes sont elles-mêmes institutionnalisées par l’État et par le monde économique ». Dans sa théorie de la démocratie, Nancy Fraser défend la formation de « sphères publiques subalternes » dans lesquelles les membres des groupes sociaux subordonnés élaborent et diffusent des contre-discours, ce qui leur permet de fournir leur propre interprétation de leurs identités, de leurs intérêts et de leurs besoins10.
La démocratie contre l’État
La critique de la société capitaliste doit donc pourvoir articuler la critique du travail aliéné, du productivisme et des oppressions avec la critique des institutions bourgeoises impliquant un verrouillage de la participation politique des groupes sociaux subalternes. La question de la démocratie acquiert une importance cruciale dans le contexte de la crise écologique. Certaines approches se focalisent sur la notion de « besoin » et, par là, sur la distinction entre besoins « authentiques » et besoins « artificiels11 ». Au-delà des dimensions biologiques, l’être humain a développé des besoins complexes qui renvoient aux sphères affectives, culturelles et communicationnelles. Ces besoins, et leur caractère indispensable, constituent désormais de nouveaux enjeux de lutte, la crise climatique imposant de réduire les objets produits, consommés et jetés ainsi que les méthodes d’extraction, de production énergétique et d’exploitation des sols. Une société écosocialiste est donc également une société qui se donne les moyens pour pouvoir débattre démocratiquement et prendre des décisions autour de l’identification des besoins authentiques et des façons de les satisfaire en prenant en compte les limites écologiques. Respirer un air non pollué, accéder à l’eau potable, se chauffer, se nourrir, s’informer, s’éduquer, être socialement reconnu, participer à la vie de la cité : ces besoins qualitatifs doivent pouvoir augmenter tout en étant définis par « des règles de consommation que la société se sera démocratiquement données12 ».
La pratique de la démocratie demande un véritable processus d’apprentissage à travers une structure organisationnelle garante de l’égalité et un engagement fort de chacunE de ses membres dans le travail collectif. Le fait de se soucier du fonctionnement démocratique de nos organisations et de nos instances permet d’envisager en creux le modèle d’une démocratie réelle que nous pensons être consubstantielle au projet communiste. Une fois que nous nous serons débarrasséEs de la domination du capital, il faudra que nous soyons prêtEs à remplacer l’État bourgeois par une autre instance collective, un « gouvernement du peuple par le peuple » dont les contours et le fonctionnement correspondront au résultat des processus délibératifs que nous aurons à mettre en place. La révolution doit alors être envisagée à la fois comme un événement qui rompt avec l’ordre des choses existant et comme un processus qui oriente l’action politique à chaque instant sans infléchir l’intensité et l’ampleur de la transformation sociale vers laquelle on tend. La démocratie correspondrait en ce sens à l’agir politique même, à travers lequel le prolétariat envisage tout à la fois son auto-construction et son auto-détermination ainsi que la fin de la domination économique et politique. L’idée de la réalisation d’une « vraie démocratie » est cruciale et n’a rien de mécanique. À l’instar de Marx et de ses réflexions sur la Commune de Paris, elle doit être pensée comme une forme politique où le désir de liberté et d’égalité se construit en opposition à l’État bourgeois dans un mouvement d’insurrection permanente.
- 1. Ravelli, Q., et al. (2020), « Le Gilet et le Marteau. L’Assemblée des assemblées organise l’aile gauche des ronds-points ». Mouvements, 101, 13-24. https://doi.org/10.3917/….
- 2. Manin, B., (2012) Principes du gouvernement représentatif [1995] Paris, Flammarion, « Champs Essais », p.125).
- 3. Foucault, M., (2004), Naissance de la biopolitique. Cours au collège de France (1978-1979), Gallimard, Seuil, Paris, p. 51-71.
- 4. Habermas, J., (1993), L’Espace public [1962], Payot, Paris.
- 5. Fraser, N., (2003), « Repenser l’espace public : une contribution à la critique de la démocratie réellement existante ». Dans : Emmanuel Renault éd., Où en est la théorie critique (pp. 103-134). Paris, La Découverte. https://doi-org.ressourc…
- 6. Landes, J., (1988), Women and the Public Sphere in the Age of the French Revolution, Cornell University Press, Ithaca.
- 7. Bourdieu, P., (1979), La Distinction, Minuit, Paris.
- 8. Hayat, S., (2020), Démocratie, Paris, Anamosa, coll. « Le mot est faible ».
- 9. https://www.mediapart.fr….
- 10. Fraser (2003), op. cit.
- 11. Keucheyan R. (2019), Les besoins artificiels, La Découverte.
- 12. Op. cit. p. 52.