Publié le Jeudi 16 mars 2023 à 19h49.

Qui va l’emporter ?

Après la séquence de mobilisation des 7, 8 et 9 mars, ponctuée par la plus grande manifestation sociale des 50 dernières années, après le vote de la loi à l’Assemblée et au Sénat par des dispositifs d’urgence, le problème du rapport de force sur la réforme des retraites se résume de plus en plus crûment : où est la légitimité, dans la rue ou à l’Élysée ? [article écrit avant l’utilisation du 49-3]

Le mouvement est dans un immense paradoxe. Le 7 mars a été historique, mais le basculement dans la grève reconductible est à ce stade très minoritaire, même si dans les transports, l’énergie, le nettoiement, l’éducation, des poches existent. La colère est immense, 82 % de la population estimant que Macron doit recevoir les syndicats, 79 % souhaitant qu’il s’exprime, 63 % approuvant la mobilisation, 54 % soutenant « la grève et le blocage1 ». Mais le gouvernement ne cède pas. Il est minoritaire, y compris à l’Assemblée et au Sénat mais, utilisant des articles particulièrement autoritaires de la Constitution, il espère obtenir une majorité parlementaire.

Une crise de légitimité

Les suites sont très incertaines : le mouvement sera-t-il assez fort pour continuer après le vote de la loi ? Les secteurs en reconductible réussiront-ils à en entraîner d’autres ? La CFDT continuera-t-elle la mobilisation ou se rangera-t-elle dans le camp de l’acceptation institutionnelle ? Le gouvernement devra-t-il utiliser le 49-3 qui lui ôtera toute légitimité ? Basculera-t-on alors dans un affrontement politique avec le pouvoir ?

« L’événement n’est pas un miracle venu de nulle part (du “Vide”, selon Zizek ou Badiou). Il s’inscrit dans un champ de possibilités historiquement déterminées. C’est pourquoi le concept de crise (à la différence du “Vide”) est une notion stratégique essentielle qui articule le nécessaire et le contingent, les conditions historiques et l’événement imprédictible, etc2. » Même si on ne peut pas prévoir ce qui va se passer, une grande partie des facteurs en jeu sont connus. Et tous convergent vers une question : le prolétariat, si désorganisé, si mal dirigé, si hésitant, trouvera-t-il le moyen de contester la légitimité de Macron et de la bourgeoisie ? Ces derniers trouveront-ils la force, les alliances, les rythmes pour gagner la bataille ? « Qui l’emportera ? » pour reprendre une formule de Lénine.

La bataille de la légitimité est lancée. « Il y a d’un côté sa volonté à lui [Macron], de l’autre côté celle du peuple, à qui doit revenir le dernier mot ? Évidemment au peuple » dit Mélenchon, réclamant « ou bien une dissolution [de l'Assemblée nationale], ou bien un référendum ». Le dirigeant de la CFDT Laurent Berger a des mots proches : « s’il y a la légitimité [du gouvernement] comme argument, il faut aller la vérifier par une consultation des citoyens3. »

Mettre toutes nos forces dans la bataille

Le risque de telles formulations est, sous la pression des difficultés à construire un mouvement ayant la force de gagner, de ramener la mobilisation dans le giron institutionnel : passer de la construction d’un rapport de force social à un montage politique imprévisible. En effet, pourquoi Macron accepterait-il d’organiser une consultation ou un référendum et risquer ainsi de perdre ce qui lui reste de majorité relative ? N’oublions pas que le référendum sur le Traité constitutionnel européen, en 2005, avait été une victoire pour les classes populaires, mais le pouvoir s’était empressé de le remplacer par le Traité de Lisbonne. L’issue d’une bataille référendaire serait donc très incertaine.

De notre côté, l’intérêt essentiel de cette discussion est de montrer le caractère antidémocratique de la Ve République et l’illégitimité du pouvoir de Macron. Nous devons y opposer une autre légitimité, celle d’un pouvoir populaire, incarné actuellement par la mobilisation, mais qui devrait se transformer en un gouvernement des travailleurEs susceptible de mettre en œuvre les revendications des classes populaires et du mouvement. Pour imposer un tel pouvoir, la seule solution est de renforcer la grève, la lutte, le blocage de la production et de la circulation du capital, les structures permettant un large débat. Il s’agit en effet d’être en capacité de construire une légitimité plus forte que les institutions, et un projet de société alternatif disputant l’hégémonie au capitalisme, montrant qu’un autre monde est possible, avec une planification, l’égalité réelle, la fin des oppressions. Notre responsabilité, en tant que militantEs et en tant qu’organisation(s), est posée. Pierre Baudet, dans Relire Lénine ?4, nous interpelle :

« À un moment donné, la tension fera basculer définitivement la balance en faveur de l’une des deux solutions alternatives. De là naît l’espérance. Ce que chacun de nous fait à chaque instant sur chaque question concrète a son importance. Certains parlent « d’effet papillon » : le battement d’aile d’un papillon peut provoquer une tornade à l’autre bout de la planète. En ce sens, aujourd’hui, nous sommes tous de petits papillons. »