Le 14 octobre, les internes de médecine générale seront en grève contre l’allongement de trois à quatre ans de leurs études de spécialité, et l’obligation, transformée depuis en incitation, d’effectuer cette année en plus en zone sous-dense.
Inscrit dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale, ce dispositif, pourrait bien parler aux 6,3 millions de français qui n’ont pas de médecin traitant. Les internes de médecine générale seraient-ils donc des enfants gâtés qui refusent la lutte contre les déserts médicaux ? La réalité est tout autre.
70 % des internes dépassent les 48 h de travail par semaine
La réalité des internes, c’est d’abord 58,4 h de travail par semaine en moyenne, parfois beaucoup plus. Ensuite, 70 % des internes dépassent le maximum légal de 48 h, malgré les promesses d’Olivier Véran. La réalité, ce sont des gardes de 24 h non suivies de récupération, qui mettent en danger patientEs et internes ; ce sont les sanctions financières jamais appliquées contre les hôpitaux qui ne respectent pas les 48 h, malgré les promesses du Ségur. Main-d’œuvre corvéable et mal payée ! Enfin, 24 % des étudiantEs en santé ont des idées suicidaires, et trois quarts de l’anxiété. Alors pour les enfants gâtés, on repassera…
Une année de plus sans projet ni moyens supplémentaires
La réforme est dans les tuyaux depuis 2017, mais elle est vendue aujourd’hui au nom de la lutte contre les déserts médicaux. Les syndicats d’internes, l’Isni (Intersyndicale nationale des internes) et l’Isnar-IMG (Intersyndicale nationale autonome représentative des internes de médecine générale) dénoncent cette année supplémentaire « sans projet pédagogique ». Ils s’inquiètent d’être envoyés seuls dans un désert médical pour 6 mois, puis encore ailleurs 6 mois, sans projet de formation, sans encadrement, sans salaire majoré, à un âge (27-30 ans), où on vit souvent en couple, où on a envie de bâtir un projet de vie, avec à côté un travail pour son ou sa partenaire, de la culture, des écoles.
Au moment où les personnelEs fuient l’hôpital, faute d’espoir de changement, la coercition ne permettra pas de lutter contre les déserts médicaux. Pendant des années, les postes de médecine générale aux épreuves classantes nationales (ECNi) n’ont pas été pourvus, certains préférant redoubler plutôt que de devenir généraliste. L’Isnar craint que « les étudiants se détournent de la médecine générale » en raison de cette « coercition déguisée » et « d’un contenu pédagogique au rabais ». D’autant que les spécialistes ne sont pas touchés par cette réforme !
Droit à la santé et fin de la liberté totale d’installation
La manifestation des internes sera rejointe par des syndicats de médecins libéraux (qui ont défendu le numerus clausus responsable des déserts médicaux, les dépassements d’honoraires…) mais aussi par la CGT santé et l’AMUF (Association des médecins urgentistes) de tous les combats pour le droit à la santé. La politique autoritaire et surtout inefficace du gouvernement risque de jeter de nombreux internes dans les bras des syndicats ultra-libéraux, si le mouvement ouvrier ne porte pas une politique qui consiste d’abord à soutenir leur grève. Il s’agit, sur la base de ce soutien, de construire avec eux des propositions qui allient droit à la santé pour toutes et tous, partout, et conduisent à la fin de la liberté totale d’installation, en échange d’une amélioration immédiate des conditions de formation et de vie des internes, et la promesse d’une activité de généraliste avec du temps pour soigner et vivre…
Un chemin étroit, mais indispensable, qui a pour horizon un service public de santé de proximité de qualité, pluridisciplinaire, maillant tout le territoire, prenant en charge la formation des futurs généralistes, en autonomie supervisée avec un maître de stage, financé par la Sécu et géré par la démocratie sanitaire et pas par l’austérité.
Ce service public de santé qu’il nous faut est celui des soins gratuits, de la prévention, de la permanence des soins… et du temps, autant que nécessaire, à consacrer aux patientEs.