L’accord national interprofessionnel (ANI) rend obligatoire au 1er janvier 2016 l’adhésion des salariéEs à une complémentaire santé d’entreprise. Malgré les apparences, cette disposition n’est pas une avancée sociale : elle ouvre un énorme marché aux assurances privées au détriment de la protection sociale collective.
Les dispositions européennes relatives aux services d’assurance et aux services financiers ont été transposées en 1993 dans le code de la mutualité, cela à la demande de la Fédération nationale de la mutualité française (FNMF) qui regroupe 98 % des mutuelles. Pour répondre à l’obligation de constituer des réserves financières d’un même niveau que les assurances, les mutuelles ont dû fusionner entre elles et avec des assurances. Elles étaient des milliers, et on en comptait encore 630 fin 2012. L’ANI va accélérer le processus, et elles ne seront plus qu’une centaine en 2018 à relever réellement du statut de mutuelles (1).
Le loup dans la bergerie...Il est difficile aujourd’hui de distinguer les mutuelles et les assurances. Des mutuelles créent des filiales sous formes de sociétés anonymes pour prendre des activités qui étaient autrefois spécifiques aux assurances. Les sociétés d’assurance mutuelle (les« mutuelles d’assurances ») dépendent du code des assurances et non de la mutualité. Elles sont à but non lucratif, mais ont la possibilité de sélectionner les risques, d’appliquer des tarifs différents pour les risques considérés comme « aggravés ». Des groupes de protection sociale (GPS) comme Malakoff-Méderic rassemblent dans une même entité des institutions de retraites complémentaires, de prévoyance, des mutuelles, des sociétés d’assurance...Pour capter « le marché de la santé », les assurances se concentrent et proposent des offres alléchantes, parfois moins chères que les mutuelles. Les mutuelles s’adaptent en renonçant à leur principes pour proposer « une gamme d’offre de contrats ». On se soignera selon ses moyens...
… et la fin des mutuelles La généralisation des complémentaires santé d’entreprise va obliger des millions de salariéEs, adhérents individuels à des mutuelles, à souscrire à des contrats collectifs gérés en grande majorité par les assurances. Le Conseil constitutionnel a en effet imposé qu’en absence d’accord d’entreprise ou de branche, la complémentaire santé soit choisie par l’employeur. Des mutuelles vont donc disparaître, d’autres se « démutualiser » et intégrer les structures marchandes. La Mutualité pourrait disparaître d’ici quelques années au profit de groupes capitalistes qui bénéficieront du monopole des complémentaires santé.Les inégalités entre les salariéEs vont s’accroître. Les cotisations sociales, les garanties accordées seront différentes d’une entreprise à l’autre. La couverture pourra être limitée à un panier de soins minimum, et ceux qui le pourront devront payer une sur-complémentaire, un gain supplémentaire pour les assureurs privés. L’employeur, lui, pourra déduire sa part de cotisations de la masse salariale au détriment des rémunérations.Après avoir obtenu le quasi-monopole de la couverture complémentaire, les assurances vont continuer leur offensive pour accroître leur part du « marché de la santé » au préjudice d’une Sécurité sociale affaiblie par les contre-réformes successives.Une seule réponse est possible : le remboursement à 100 % par la Sécurité sociale, la gratuité des soins... et la mobilisation générale !
S. Bernard1 – Étude du cabinet Sia Partners, les Échos du 25 septembre 2014.