Publié le Mercredi 10 mars 2021 à 11h28.

Pandémopolitique : réinventer la santé en commun, de Jean-Paul Gaudillière, Caroline Izambert et Pierre-André Juven

Éditions La Découverte, 306 pages, 15 euros.

Le Covid-19 – bientôt 90 000 morts en France, 40 000 dès la première vague – a bousculé le discours néolibéral sur la santé et redonné de la vigueur à la mobilisation des soignantEs fortement éprouvés à l’hôpital. Mais malgré quelques concessions salariales, cette mobilisation n’a pas changé la logique libérale de l’organisation sanitaire.

Inégalités et « triage »

Contrairement aux vantardises entendues, il y a eu « triage » : en laissant longtemps dans l’abandon patientEs et soignantEs des EHPAD (1 % de la population, 30 % des décès Covid) ; et aussi, en amont, à cause de l’organisation du système de soins, inégalitaire à l’image de la société, accentuant le risque de maladie et de mort sur des critères de pauvreté et d’exclusion sociale, liés aux facteurs ­aggravants ­(obésité, diabète…).

Les choix économiques imposés ont aussi constitué une forme de triage : voir par exemple les masques, jugés trop coûteux, qu’on fait fabriquer en Asie (à Wuhan !) ou qu’on ne renouvelle pas. Voir surtout la politique de fermeture de lits, de services hospitaliers voire d’hôpitaux entiers, menée depuis au moins 30 ans au nom de la « maîtrise des dépenses de santé » avec pour conséquences, lors de l’afflux de malades Covid, l’arrêt de l’activité de nombreux services, le report des interventions non urgentes – même des greffes de rein, avec à la clé des centaines de greffon perdus.

Triage enfin à l’échelle mondiale : l’organisation de la recherche et de la production de vaccins au profit des seuls pays riches, qui ont subventionné la recherche privée et préempté les vaccins, laissant, pour maintenir le principe du brevet, et donc du profit, les pays pauvres se débrouiller pour récupérer des miettes.

Une autre approche des questions de santé

En France, le caractère inopérant de la politique de santé face au Covid s’explique à la fois par cette volonté d’intégrer la santé dans le champ de la marchandise, mais aussi par une vision bureau­cratique qui confie aux « experts » et aux administrations et les choix et leur réalisation. La stratégie « tester-tracer-isoler », très efficace dans certains pays, est en France un fiasco complet, car si on est bloqué chez soi sans indemnisation, on n’a pas intérêt à se faire tester.

Des exemples donnés d’une approche communautaire de la santé montrent qu’elle n’est pas une utopie : la santé n’y est plus un bien marchand mais un « commun », au sens des « commons », (terres en propriété collective). Et les actions politiques, quelquefois d’origine gouvernementale mais souvent mises en œuvre par une action collective de soignantEs et/ou de militantEs, facilitent alors l’innovation sans sacrifier la justice sociale (voir par exemple la lutte pour les traitements du VIH-Sida).

En conclusion, l’autre « triage », souhaité par les auteurEs doit battre en brèche la marchandisation de la santé : contre les brevets soutenus par les grandes compagnies pharmaceutiques (et les pays riches qui les abritent), préserver les soins dans le secteur public (et répondre aux besoins de ses travailleurEs), s’appuyer sur les mobilisations, la richesse d’expériences des populations et une nouvelle organisation démocratique.

Rencontre avec les auteurEs le 20 mars à la librairie la Brèche. 

Version longue dans Inprecor.