Servier et son Mediator, c’est l’histoire de la naissance du capitalisme pharmaceutique en France, entre scandales sanitaires, corruption des autorités de santé et protection des politiques.
Dans le procès du Mediator, la Cour d’appel de Paris vient de condamner Servier à 9 millions d’euros d’amende, au remboursement de 415 millions aux organismes de Sécurité sociale. Mais la Cour n’a pas suivi le Parquet qui demandait la confiscation de tous les bénéfices du Mediator, estimés à 182 millions d’euros, pour ne « pas mettre en péril » Servier. Le capitalisme pharmaceutique appréciera que la santé de Servier, reconnu coupable d’escroquerie et d’obtention indue d’autorisation de mise sur le marché, passe avant les 1 500 à 2 000 personnes décédées et les dizaines de milliers de victimes du Mediator qui ont souffert d’insuffisance cardiaque et pulmonaire. Autorisé en 1974 comme antidiabétique, le Mediator était en réalité vendu par une myriade de visiteurs médicaux comme coupe-faim. Un marché plus large et plus rentable : 145 millions de boîtes, vendues à 5 millions de personnes, pour un chiffre d’affaires annuel de 300 millions d’euros !
Depuis 1986, les alertes internationales, puis les articles de la revue indépendante Prescrire sonnaient l’alerte. Mais pour l’Afssaps (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé), il n’y avait pas « de signal significatif de toxicité du Mediator ». Il aura fallu le livre d’Irène Frachon, Mediator 150, combien de morts ? pour que le scandale éclate, que le Mediator soit retiré de la vente en 2009, et qu’un premier procès ait lieu. L’Afssaps sera condamnée à 303 000 euros pour « blessures et homicides involontaires par négligence ». Mais la plainte devant la Cour de justice de la République contre les quatre ministres de la santé « qui auraient eu le pouvoir d’arrêter la mise sur le marché de ce médicament dès la date où les données acquises de la science ont établi qu’il présentait de graves dangers » est classée sans suite.
Servier, une croissance dopée aux médicaments dangereux et aux protections politiques…
La petite entreprise de fabrication de sirop rachetée par Jacques Servier en 1954 est aujourd’hui un mastodonte du capitalisme pharmaceutique, fort de 21 000 salariéEs dans 150 pays. Cette croissance fulgurante ne s’est pas faite malgré l’affaire du Mediator. Elle s’est faite grâce aux innombrables médicaments dangereux mis sur le marché par Servier, grâce à ses liens avec les pouvoirs en place et la complicité des autorités sanitaires. Le Mediator, le Survector, un antidépresseur retiré du marché en 1999 pour hépato-toxicité et dépendance, l’Isomeride, un coupe-faim retiré du marché en 1997, malgré les alertes sanitaires datant de 1985, le Duxil, un vasodilatateur retiré du marché en 2005 pour neuropathie et inefficacité, son cousin le Vectarion, interdit en 2013, le Locabiotal à la fusafungine, inefficace et responsable d’accidents allergiques graves et d’émergence de résistances ! Jacques Servier meurt à 92 ans, neuvième fortune de France, décoré de la Grand-Croix de la Légion d’honneur par son avocat, le président Nicolas Sarkozy ! Voilà le miracle pharmaceutique made in France !
Les fraudeurs ne sont pas ceux de l’AME, ils sont au ministère de la Santé !
Pratiques d’un autre temps que celles de Servier ? Pas si sûr ! Mediapart vient de révéler que notre ministre de la Santé, Agnès Firmin-Le Bodo, pharmacienne au Havre, aurait reçu du laboratoire Urgo plus de 20 000 euros de cadeaux, montres de luxe, champagne entre 2015 et 2020, qu’elle aurait « oublié » de déclarer au fisc et à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. Elle n’était pas la seule à recevoir ces cadeaux. Le tiers des pharmacies auraient bénéficié de ces largesses, en toute illégalité, pour un montant de 55 millions d’euros, payés par la Sécu, en volant au passage le fisc de 14 millions d’euros. Borne et Darmanin veulent attaquer les fraudes à l’Aide médicale d’État des sans-papiers. Les vrais fraudeurs sont au ministère de la Santé et à la tête des Big Pharma ! Le capitalisme pharmaceutique nuit gravement à la santé des populations. Pas d’autre solution que d’exproprier les laboratoires et leurs brevets, que d’avancer vers une industrie publique du médicament, transparente, indépendante, travaillant en lien étroit avec les populations et les professionnels de santé.