L’affaire Proglio révèle à quel point les frontières déjà bien minces entre l’État et les grands groupes privés sont en train de disparaître complètement. Lors de son show télévisé de lundi, Sarkozy n’a pas laissé paraître le moindre trouble sur l’affaire Proglio. « Pendant quelques mois, a-t-il affirmé, il sera président non exécutif de Veolia [...] et lorsque la transition sera faite, il se consacrera à 100 % à ses fonctions ». On ne pouvait manifester plus grande indifférence à l’émotion suscitée par le double salaire d’Henri Proglio (1,6 million d’euros d’EDF et 450 000 de Veolia) et sa double casquette de PDG de ces deux groupes, à la tête de 500 000 salariés. Peu de temps auparavant, Proglio, nommé fin novembre à la tête d’EDF tout en gardant ses fonctions à Veolia, a renoncé aux 450 000 euros. Il gardera néanmoins une retraite chapeau de Veolia de 13,1 millions d’euros et cinq plans de stock-options dont la valeur n’a pas été révélée. Pour prendre la tête d’EDF, Proglio avait posé comme condition d’avoir un salaire équivalent à celui qu’il touchait comme PDG de Veolia. À l’époque, fin novembre 2009, François Fillon avait trouvé cela « tout à fait normal ». Quant à la ministre de l’Économie, Christine Lagarde, elle a justifié la semaine dernière à l’Assemblée nationale le double salaire, sous les huées d’une partie du PS et même de la droite : « Le président d’EDF n’est pas payé plus que quand il était patron de Veolia.
Il faut se rendre à la réalité : il y a un marché, des concurrents, un monde qui a changé ! » Le gouvernement a donc reculé sans reculer. Proglio reste à la tête et d’EDF et de Veolia, de même que Mestrallet est à la tête du groupe GDF-Suez, avec un salaire de plus de 3 millions d’euros. Veolia est issu de Vivendi Environnement, venant lui-même de la Générale des Eaux, tout comme Suez. Vivendi et Suez ont été les grands bénéficiaires de juteux marchés publics que l’État et les collectivités locales leur ont offerts dans les années 1980-1990, générant au passage nombre d’affaires de corruption qui ont mis en cause le personnel politique.
Les voici maintenant mariés d’une façon ou d’une autre avec les deux plus gros opérateurs, anciennement publics, de l’énergie. Même si l’État en est encore actionnaire à près de 85 %, EDF, comme en son temps France Télécom, s’est développé à l’international comme n’importe quel groupe du privé. Il a racheté dernièrement, sous la présidence de Gardonneix, British Energy, pour 15,7 milliards d’euros, et la moitié des activités nucléaires du groupe américain Constellation, pour 4,5 milliards d’euros. D’autres manœuvres sont en préparation, pour renforcer la « force de frappe » du groupe, sa compétitivité et sa rentabilité à l’échelle internationale. Toutes choses qu’EDF s’apprête à faire payer à ses anciens usagers devenus « clients » par une augmentation de ses tarifs de l’ordre de 25 % sur les cinq années à venir, comme l’a annoncé le journal les Échos. Galia Trépère