Le premier tour de l’élection présidentielle illustre sinistrement la réalité de la situation sociale un an après la mobilisation contre la loi travail. Avec un parti représentant historique affaibli, le camp de la bourgeoisie se partage entre réactionnaires, anti-européens et libéraux à prétention moderniste...
La nécessité de défense des intérêts des travailleurEs est, elle, captée par un Mélenchon plus attaché à la Marseillaise et au drapeau tricolore qu’à l’Internationale et au drapeau rouge.
Autant que la crise politique que ce vote enregistre, c’est aussi, voire surtout, la profondeur des reculs sociaux et des renoncements des directions syndicales qui peuvent se lire dans ce scrutin. Au-delà des péripéties techniques et des évolutions politiques des directions syndicales, cela s’inscrit dans la même logique que la progression de la CFDT et de la CGC au détriment de la CGT, c’est-à-dire la prédominance dans de larges franges du salariat d’organisations syndicales qui affichent clairement leur volonté non seulement de dialoguer avec le patronat mais aussi d’en partager les préoccupations et la nécessité des reculs sociaux. Même si la trêve sociale n’a jamais été totale, l’attentisme est dominant.
Des syndicats en retrait
La volonté quasi unanimement partagée de prise de distance avec les politiques ne répond pas aux questionnements qui traversent les organisations syndicales et les mobilisations.
FO a fait depuis longtemps de l’apolitisme un marqueur, pendant que les autres centrales soutenaient plus ou moins discrètement le PS. La seule prise de position politique franche a été celle de Nicole Notat, manifestement enthousiaste dans son soutien à Emmanuel Macron. Et pourtant ce dernier propose d’étatiser l’assurance chômage et le retour de la retraite à 65 ans...
En 2012, de nombreuses structures syndicales CGT (services publics, cheminots, énergie) s’étaient engagées dans un soutien visible à Mélenchon et, en janvier de la même année, le meeting confédéral organisé au Zénith avait longuement ovationné le candidat du Front de gauche. Entre deux élections présidentielles, le Collectif 12 avril/3A avait amorcé un début de confrontations « positives » entre organisations politiques syndicales, associatives, et avait porté plusieurs manifestations contre les politiques gouvernementales.
Rien de semblable dans cette campagne 2017 pourtant engagée au même moment que la mobilisation contre la loi travail. L’ensemble de la CGT s’est essentiellement engagé dans la dénonciation de la politique raciste, antisociale, du Front national et une mise en garde contre les projets d’Emmanuel Macron, présenté à juste titre comme responsable de nombre des attaques portées contre les salariéEs lors de sa participation au gouvernement Hollande.
Des prises de position problématiques
Plus étonnant encore, Martinez pouvait déclarer, dans les Échos du 16 janvier, que « Valls, Hamon, Macron, Mélenchon… Tous sont loin de la réalité du monde du travail », ajoutant : « Cette déconnexion est grave ». Une prise de distance liée au faible enthousiasme du Parti communiste dans cette campagne ?
Plus grave, le 18 janvier, Martinez, Montebourg et Mailly, au côté de Pierre Laurent, Michel Husson et Bernard Thibault, signaient un appel à la défense de l’industrie française : « Le développement industriel a besoin de salariés innovants, aux compétences reconnues, bien rémunérés, occupant des emplois stables et prenant une part active aux décisions. Seuls des salariés compétents et impliqués sont, en effet, en mesure de donner aux entreprises les capacités d’innover. Ici réside le compromis fondamental entre le capital et le travail sans lequel aucun développement n’est possible. » Du Lepaon dans le texte !
Du côté de Solidaires, si de nombreux militantEs sont engagés du côté de France insoumise, là non plus pas de consigne de vote en dehors du rejet du FN.
Le social, c’est aussi de la politique
Ainsi, moins de six mois après la fermeture de la séquence de la lutte contre la loi travail, l’ensemble des questions posées dans cette mobilisation semblent oubliées. C’est d’abord la nécessité impérieuse de passer d’une phase de manifestations à celle de grèves, prolongées, reconductibles, coordonnées, propres à bloquer l’économie. C’est, dans le même temps, la question de l’auto-organisation qui permet la prise en main de la lutte par les salariéEs eux-mêmes et de faire sauter les verrous bureaucratiques. C’est enfin, dans la foulée, poser les questions politiques : comment diriger la production, l’ensemble de la société, au bénéfice du plus grand nombre, et non pour celui des plus riches, et cela dans le respect de la planète.
C’est pourtant cette voie qu’il faut réemprunter, comme l’ont fait les GuyanaisES. C’est dans ce sens que doit se construire ce 1er Mai, première occasion de (re)commencer à mobiliser. Face aux volontés de construire un « front républicain » oubliant ou tentant d’effacer les responsabilités des unEs et des autres dans la dégradation de nos conditions de vie et de travail. Un 1er Mai dans lequel doivent être inséparables la dénonciation du Front national, du libéralisme, et la nécessité de construire sans attendre les mobilisations pour combattre les reculs sociaux, le chômage, le racisme. Un 1er Mai internationaliste, de lutte de classe.
Robert Pelletier