Publié le Jeudi 30 mars 2023 à 10h16.

53e congrès de la CGT : crise ouverte

En pleine mobilisation contre la (contre)-réforme des retraites du gouvernement Macron-Borne, il est difficile d'en peser l'impact sur le déroulement du 53e congrès de la CGT. Dans tous les cas l'issue de la mobilisation pèsera sur l'évolution de la Confédération au-delà du fort mouvement de syndicalisation d'ores et déjà observé.

Depuis le milieu des années 1970, les effectifs des organisations syndicales ont lentement mais d’une façon qui paraît inexorable subi une baisse régulière du nombre de militantEs. Jamais les grandes poussées d’adhérentEs survenues dans la foulée de Juin 36 ou de la Libération de 1945 ne se sont reproduites. Même Mai 68 ou l’hiver 95 n’ont provoqué que de faibles (re)prises de cartes. Toutes ces phases ont frappé toutes les confédérations mais au premier chef la CGT. Si la CFDT recentrée de la fin des années 1970, pro-Juppé en 95 ou pro-réforme des retraites en 2003 a connu des départs significatifs, son orientation sur le syndicalisme « apolitique » et une tolérance réciproque avec une partie du patronat et des gouvernements lui a permis d’être reconnue comme première organisation syndicale au travers du calcul de la représentativité inscrit dans la loi de 2008.

Des tendances lourdes

Pour la CGT, les orientations dépendantes de celles du PCF et de ses vicissitudes dans le contexte de la guerre froide ont fourni une ossature politique mais aussi une fermeture aux évolutions de la société auxquelles fut plus sensible la CFDT. La politique d’union nationale issue de la Deuxième Guerre mondiale sur un socle d’avancées sociales a amplifié les bases de l’institutionnalisation de la CGT, même si elle a pu être battue en brèche lors des décennies suivantes par la bourgeoisie.

Depuis le milieu des années 1970, le capitalisme français s’inscrit dans la vaste réorganisation des activités économiques à l’échelle mondiale imposée par les crises économiques successives et par la recherche de réponses à la grande peur issue des mobilisations de la fin des années 1960. Les implications sur l’organisation du travail et les conditions de travail sont partout les mêmes : précarisation, individualisation, intensification, rallongement des durées du travail. Le développement massif des filialisations et de la sous-traitance, dans les grands groupes industriels notamment, du télétravail, l’ubérisation de nombre de métiers amplifient la destruction des collectifs de travail, minent les capacités de résistance collective, entament les solidarités. Dans le secteur privé, l’affaiblissement des organisations syndicales, singulièrement de la CGT, est accentué par la répression. Dans le secteur public, les privatisations, les attaques répétées contre des statuts plus protecteurs entraînent les mêmes sentiments d’insécurité sociale et de menaces de la répression.

La chute du Mur de Berlin et la politique des gouvernements Mitterrand ont mis à mal les repères politiques de la CGT profondément liés à ceux du PCF. L’affaiblissement brutal de ce dernier s’est répercuté dans la CGT tout en conduisant à une remise en cause des liens politiques et organisationnels entre les deux organisations (périodes Viannet, Thibault).

Des mobilisations difficiles

Les grandes mobilisations de 1995 (Sécurité sociale et régimes spéciaux des retraites), 2003 (retraites), 2006 (contrat de travail des jeunes), 2010 (retraites), 2017 (réforme du Code du travail), 2018 (statut SNCF), 2019 (retraites) ont à peine influé sur la stagnation établie à partir des années 1990. Si ces puissantes mobilisations ont le plus souvent été portées par de grandes manifestations, les grèves ont été moins importantes, hormis en 1995 et, encore, essentiellement dans le secteur public.

Dans le secteur privé et notamment dans l’industrie, les luttes portées le plus souvent par des équipes CGT, en marge des structures fédérales ou confédérales se sont centrées sur la défense de l’emploi, contre les fermetures d’entreprises. Chez Continental, Sadefa, New Fabris et SBFM (fonderies), Goodyear, Ford, PSA Aulnay des luttes prolongées massives avec un large soutien populaire qui ont parfois permis de repousser des fermetures et des licenciements sans les empêcher complètement. Le dernier grand mouvement de révolte a été celui des Gilets jaunes qui a déstabilisé un temps le gouvernement. Un mouvement socialement hétérogène aux revendications centrées sur le pouvoir d’achat en marge du mouvement syndical qui ne lui apportera qu’un soutien tardif et très inégal.

Au total, le mouvement syndical, depuis des décennies, n’a pas fait la preuve de son efficacité en ce qui concerne  les grandes mobilisations du monde du travail. La principale utilité des organisations syndicales se concentre au niveau des entreprises. Conflits locaux, batailles sur les salaires, défense individuelle des salariés et gestion des œuvres sociales et culturelles constitue la vitrine plus ou moins radicale des syndicats. De plus en plus enfermés dans l’entreprise et avec des moyens institutionnels gravement entamés par la réforme du Code du travail de 2017 : disparition des délégués du personnel, réduction des moyens des Comité d’hygiène sécurité et conditions de travail et des comités d’entreprise devenus Comités sociaux d’entreprise (en gros division par deux du nombre de déléguéEs éluEs ou désignéEs).

L’affaiblissement du syndicalisme a provoqué le retour et le développement de mobilisations qui se construisent en partie ou en totalité hors des cadres organisationnels des confédérations.

Le temps des crises

La CGT, comme la CFDT ou FO, a comme ossature des fédérations et des unions départementales dans un contexte où les grands syndicats d’entreprises ont connu un affaiblissement considérable : secteurs automobile, de l’énergie, des transports, des télécommunication. Des restructurations/privatisations souvent accompagnées par la CGT (EDF-GDF, Air France, PTT) ou à peine combattues (Renault). Une situation qui éloigne les appareils des militantEs, des salariéEs et les privent de moyens matériels essentiels avec une baisse des rentrées de cotisation et une dépendance croissante des structures de « dialogue social » : multiples commissions, négociations aux différents niveaux géographiques, des différentes branches, relations étroites avec des cabinets d’expertise économique ou d’organisation du travail, des mutuelles, la cogestion des retraites complémentaires, de la formation professionnelle, etc.

La réduction du nombre d’éluEs a accentué cet éloignement et concentré sur peu d’éluEs les heures de mandat disponibles. Elle a aussi enlevé des moyens aux Unions locales qui, notamment dans la CGT, sont un support pour l’activité dans les zones industrielles, les petites entreprises et les précaires.

C’est dans ce contexte que la mandature Thibault avait rendu visibles les fractures existant dans la CGT. Le refus par le Comité confédéral national du soutien au traité établissant une constitution européenne (TCE) par une majorité de représentantEs des instances de la CGT (unions départementales et fédérations) a porté sur la place publique des désaccords préexistants. D’un côté le départ de la FSM et la demande d’adhésion à la CES, de l’autre la tactique syndicale du « syndicalisme rassemblé ». Et une volonté de réorganisation de la Confédération au travers du système de cotisations, de la place et des moyens affectés aux structures intermédiaires (unions locales, unions départementales, unions régionales, fédérations) toujours suspectes de remettre en cause le fédéralisme. Des mesures qui sont soit difficilement mises en place (Cogetise) ou dont la mise en œuvre est constamment repoussée : réduction du nombre de fédérations, mise sous contrôle des UL voire des UD par des unions régionales mises en place par la direction confédérale. Les appareils fédéraux résistent à toutes velléité de réduction de moyens et de prérogatives et nombre d’UD refusent tout contrôle politique.

La crise s’est amplifiée avec la mise en œuvre de la succession de Bernard Thibault et le refus des propositions successives de la direction de Nadine Prigent, Agnès Naton puis Éric Aubin. Puis, finalement, celle malencontreuse, de Thierry Lepaon.

Et maintenant ?

Les débats et les enjeux du 53e congrès vont être largement impactés par la mobilisation engagée contre la contre-réforme des retraites. Mais c’est aussi la première fois qu’un texte d’opposition à celui proposé par la direction confédérale circule dans la CGT. Des réunions plus ou moins formelles de structures appuient ce texte et une proposition de secrétaire général est opposée à celle de la direction sortante.

L’énorme pensum des documents préparatoires au congrès ne facilite pas la prise en compte des débats par les syndiquéEs au-delà de cercles militants endurcis et souvent politisés. Le texte d’opposition est mis en débat par un regroupement de structures (fédérations de la chimie, du commerce, UD 13, 45, 94, etc.) identifiées comme pro-FSM (Fédération syndicale mondiale) rejoint par d’autres structures aux orientations différentes (Cheminots, Énergie, Services publics, etc.)

Plusieurs points ressortent des textes mis en circulation. Tout d’abord une posture plus radicale, opposé au réformisme de la confédération, qui trouve bien des difficultés à s’incarner sous forme de succès significatifs, au travers des politiques des structures concernées. Mais des affirmations qui trouvent un écho auprès d’équipes militantes lassées du dialogue social. Surtout quand celui-ci est battu en brèche par les autres interlocuteurs, patronat et gouvernement.

Le deuxième grief repose sur la volonté d’un retour dans le cadre de la FSM et la désaffiliation de la CSI. Un choix impossible entre deux structures internationales liées à des appareils d’État infréquentables et imprégnés par une corruption largement partagée.

Le troisième conflit est lié aux perspectives d’unification syndicale autour de la FSU et Solidaires. Outre les multiples obstacles placés en travers de cette perspective, l’argument de perte de repères est inconsistant pour une CGT elle-même en recherche d’orientations.

Mais c’est surtout l’actualité qui a amplifié et élargi les motifs de l’opposition. D’une part le refus de l’inclusion des luttes écologiques dans l’activité de la CGT notamment autour d’arguments centrés sur la défense de l’emploi et de l’indépendance énergétique de la France. La participation au Collectif « Plus jamais ça » concentrant toutes les critiques. D’autre part la mise à distance des questions dites sociétales notamment le féminisme et l’antiracisme au nom de la priorité à la lutte des classes traditionnelle. Alors qu’au contraire on ne peut que se féliciter de la prise en charge des mobilisations des sans-papiers par certaines structures CGT et le développement de formations, de prises de positions, d’engagement d’actions sur les questions féministes et de discriminations sexuelles. Un terrain de luttes qui met justement en cause les traditions virilistes du syndicalisme.

Des chantiers essentiels

En septembre 2015, Martinez déclarait « Le syndicalisme, par essence, est réformiste ». En juin 2018, Laurent Berger déclarait : « Le syndicalisme est mortel, quand il montre son impuissance et s’enferme dans la spirale d’une radicalité stérile, où le seul débouché de la journée d’action et de manifestations est la fixation d’une date pour la prochaine ».

La CGT, qui paraît le plus souvent comme plus radicale que la CFDT, FO ou la CFE-CGC, peut-elle se maintenir entre un anticapitalisme de moins en moins affiché et un réformisme de plus en plus affirmé ?

La mobilisation en cours sera de toutes les façons décisive pour le syndicalisme, pour la CGT. Une victoire même partielle modifierait significativement le rapport de forces au bénéfice des salariéEs. Dans le cas contraire, les reculs sociaux risquent de s’amplifier et la crise du syndicalisme de s’approfondir.

Mais dans tous les cas les chantiers du syndicalisme et donc ceux de la CGT resteront ouverts.

D’abord une stratégie, des objectifs « politiques » à (re)définir après l’abandon de la « socialisation des moyens de production » et en actualisant les principes de la Charte d’Amiens autour de la « double besogne ». Ensuite la tactique dans les luttes. La mise au placard du « syndicalisme rassemblé » ne résoud pas la question de la nécessaire unité des salariéEs dans les mobilisations ni celle de la capacité à dépasser l’unité des organisations par celle de celles et ceux qui sont mobiliséeEs. Il s’agit là du point le plus aveugle du syndicalisme : l’auto-organisation, combattue avec acharnement par la grande majorité des confédérations. Le prétexte c’est la représentativité, la stratégie des syndicats, opposées à la spontanéité, suspecte de manipulations politiques. Un sectarisme qui vise à préserver les prérogatives des structures et leur pérennité.

Cette question renvoie à l’inexistante démocratie interne. Certes, la désignation des responsables de structures, du syndicat d’entreprise à la direction confédérale en passant par toutes les structures intermédiaires ne se décident plus dans les locaux du PCF. Mais le mandatement pour les congrès fédéraux ou confédéraux reste entre les mains des appareils ainsi que les propositions pour les candidatures de dirigeantEs. Ces dernières ne mettant pas à l’abri de luttes de fractions plus ou moins politiquement identifiables. Et ces derniers mois ont vu des opérations d’anti-démocratie syndicale que l’on pensait disparues. Par exemple le conflit opposant la fédération des services publics associée au syndicat parisien du nettoiement au syndicat de la petite enfance, puis à l’Union syndicale Ville de Paris, qui a conduit au départ de plusieurs centaines de militantEs, notamment vers la FSU. Ou encore à l’exclusion du syndicat CGT historique de PSA Poissy mise en œuvre par la Fédération de la métallurgie avec l’appui de l’UD 78. Une succession de démissions de membres de la direction confédérale ont également illustré les graves manquements à un fonction démocratique.

Et enfin une réelle prise en compte des combats dits sociétaux. Si des avancées essentielles existent des réticences persistent, alimentées par les tensions internes. Comme le refus de validation d’une déclaration du Collectif inter-organisations de lutte contre les violences sexistes et sexuelles par le bureau confédéral ou le refus de sanction contre les militants coupables de ces violences.

On peut regretter que les débats d’un congrès confédéral ne mobilisent qu’une faible partie du corps militant. Ils reflètent cependant l’état du syndicalisme et des difficultés rencontrées par les militantEs combatifs. Les positionnements connus ou supposés des candidatEs ne sauraient déterminer un positionnement sur des personnes. Les questions soulevées ici de bureaucratisation, de dépolitisation, de refus de toute forme d'auto-organisation ne relèvent pas pas de la compétence ou de la bonne volonté d'un ou une secrétaire confédéralE.

Quitte à se répéter, les semaines de mobilisations qui viennent seront déterminantes pour l’évolution du syndicalisme notamment CGT et au-delà dans l’évolution de la situation sociale.