Le 53e Congrès de la CGT a été qualitativement différent des précédents, comme le laissaient présager les prises de position critiques de l’orientation de la direction portées par un certain nombre de fédérations et d’unions départementales, assorties de candidatures au secrétariat général de la confédération, opposées à celle de Marie Buisson, mise en avant par Martinez.
D’entrée, en refusant de procéder à un décompte des voix alors que les résultats étaient manifestement serrés, la tribune déclenche une série d’affrontements imprévus. Le décompte par mandats valide la composition de la commission des mandats par 416 voix pour et 407 contre et 89 abstentions. Le règlement intérieur du congrès n’est adopté largement que grâce au retrait du passage qui imposait le respect des « critères définis par le comité confédéral national (CCN) » pour l’élection de la future commission exécutive confédérale, ouvrant la porte à la proposition d’Olivier Mateu par l’UD 13 ne respectant pas l’obligation de proposition d’un binôme homme/femme.
Marie Buisson présente une introduction consensuelle qui reprend la plupart des thèmes d’actualité ou en débat. Dénonciation du capitalisme, système d’exploitation des hommes, des femmes et des ressources. Soutien de la CGT aux peuples et exigence du retrait des forces militaires russes d’Ukraine. Pour la France, dénonciation des conditions de travail, des salaires, des attaques contre les travailleurEs immigrés, engagement dans la mobilisation contre la réforme des retraites. Sans oublier l’urgence climatique et la dénonciation des violences policières. Construction de la CGT, avec la nécessité de la formation, du renforcement des unions locales et la défense des Bourses du travail. Et une place importante pour la lutte contre les discriminations sexistes, les violences sexistes et sexuelles avec une référence à la sororité.
Un coup de tonnerre
Mardi 28 mars, au retour de la manifestation, la déclaration de Martinez rejoignant Berger dans la demande d’une médiation dans la mobilisation en cours va contribuer à plomber l’ambiance et aboutir à une conclusion totalement imprévue, inédite : le rapport d’activité est rejeté par 50,3 % des voix.
Une opposition existait depuis des années par des fédérations et unions départementales porteuses de l’adhésion à la FSM et de la candidature d’O. Mateu. À côté de ce courant, une autre galaxie oppositionnelle, autour de la candidature de Céline Verzeletti, co-secrétaire de l’Union fédérale des syndicats de l’État et membre du bureau confédéral sortant, regroupe notamment de grosses fédérations comme celles des cheminotEs, des services publics, des mines-énergie. Et s’y retrouvent plusieurs courants politiques : POI, PCF tendance Roussel, dont Laurent Brun (cheminot). Plus « gauche », plus hétérogène, sans orientation alternative, mais plus nombreuse, essentiellement unie par des critiques sur le fonctionnement antidémocratique de l’appareil confédéral. Critiques justes, mais qui peinent à masquer les pratiques des dites fédérations, souvent tout aussi bureaucratiques. Les deux se sont accordées pour sanctionner la direction sortante au travers du rejet majoritaire du rapport d’activité, aidées par le comportement des présidences du congrès et la déclaration de Martinez.
Retour à la normale
La suite des débats a mis en évidence les fractures existantes mais aussi l’existence de majorités à géométrie variable en fonction des thèmes. Le rapport financier est adopté par 67 % des voix, et les commissions d’amendements du document d’orientation en intègrent beaucoup. D’autres sont votés par le congrès comme la réintégration des soignantEs non vaccinéEs, le renforcement des unions locales, la sauvegarde des Bourses du travail, la défense des services publics.
Sur les questions féministes, une vraie fracture existe entre celles qui souhaitent consolider les acquis et ceux, mais aussi celles, qui contestent la parité ou les racines de l’oppression spécifique. Le document d’orientation est néanmoins amendé dans le bon sens (présomption de sincérité des victimes, nécessité de mesures conservatoires en cas de signalement contre un militant ou dirigeant). Les passages relatifs à l’unification syndicale sont atténués et ne mentionnent plus explicitement la FSU et Solidaires, tandis que les références au collectif « Plus jamais ça » sont rayées.
Sur les questions internationales, au-delà des affirmations générales sur la solidarité envers les peuples, la guerre en Ukraine est à peine évoquée mais le renforcement des liens avec la FSM repoussé (72 % de voix) après une forte intervention d’une syndicaliste iranienne en exil expliquant comment la FSM collabore avec le régime dans son pays pendant que le pouvoir réprime les manifestantes. Le document d’orientation est adopté par 73 % des votes, score comparable à celui du congrès précédent, illustrant ainsi que pour une partie des oppositions l’enjeu n’était pas là.
Game of Thrones
Tout au long des débats, des intervenantEs ont utilisé leur temps de parole pour soutenir la candidature d’Olivier Mateu. Le CCN s’est mis d’accord sur une liste de 66 noms qui ne comporte ni Olivier Mateu ni Emmanuel Lépine, principaux animateurs de la sensibilité pro-FSM. La liste est validée par le congrès avec près de 90 % des voix. Mais le nom de Marie Buisson est massivement rayé (57 %), comme ceux de Baptiste Talbot (76 %) et Céline Verzeletti (77 %). Mateu et Lépine rajoutés sur la liste par une partie des déléguéEs échouent à atteindre le seuil des 50 % + 1 voix nécessaires pour être élus, tout comme Stéphane Debon, représentant des privéEs d’emploi.
Dans la foulée, un bureau de compromis est proposé après les échecs de Buisson et Verzeletti à construire une majorité. Il est fait appel à Sophie Binet, une « nouvelle » figure, non identifiée à l’un des camps en présence comme secrétaire générale. Secrétaire générale de l’UGICT (cadres de la CGT) et très investie sur les questions féministes, elle incarne plutôt la continuité de l’orientation de la direction sortante, mais le bureau fait une large place aux fédérations qui soutenaient Verzeletti. L’élection du bureau et de Sophie Binet sont validées par le CCN avec environ 60 % des voix.
En clôture, l’intervention de Sophie Binet, dans la lignée de la motion d’actualité (91 % de votes favorables) appelle à mener la bataille sur les salaires, les conditions de travail et à ne rien lâcher sur les retraites, affirmant qu’« il n’y aura pas de trêve, pas de suspension, pas de médiation. On ne reprendra pas le travail tant que cette réforme ne sera pas retirée », sans renoncer à la lutte sur le climat, le féminisme et contre les violences sexistes et sexuelles. Elle évoque aussi la nécessité d’en finir avec la violence dans les débats internes. En conférence de presse, elle annonce un élargissement du bureau afin de mieux représenter les territoires pour résorber le fossé entre les petites UD plutôt proches de Buisson et les grosses fédérations.
Concessions réciproques à venir
Le congrès enregistre une inflexion à gauche sous la pression des oppositions qui risque de se limiter à des prises de position, les débats sur les difficultés (recul de la syndicalisation quelles que soient les structures et leurs orientations respectives, échec à entraîner de larges pans de notre classe dans les mobilisations) ayant été à nouveau esquivées. Il marque également des reculs, du fait des composantes sectaires et conservatrices des oppositions, sur l’unification syndicale ou la prise en compte de l’urgence climatique. L’orientation de la CGT ne devrait pas en être fondamentalement modifiée, et, au vu des rapports de forces, les différentes sensibilités seront contraintes à des concessions réciproques pour éviter la paralysie.
Nos priorités restent la reconstruction de structures syndicales démocratiques au plus près des salariéEs, le regroupement des luttes par delà les différences de statuts et de boîtes, la défense d’orientations qui allient syndicalisme lutte de classe et prise en compte des oppressions et de l’urgence écologique, avec toutEs les militantEs qui les partagent, quelle que soit leur sensibilité.