Le 5 juin dernier, des conférences de presse se sont tenues simultanément, dans plusieurs pays d’Europe. Elles ont popularisé les décisions de la troisième conférence européenne en défense de la santé et de la protection sociale qui s’est réunie les 12 et 13 mai derniers à Nanterre en vue de coordonner l’action contre la privatisation et le démantèlement du service public de santé en Europe. Ces conférences de presse, dont l’une a eu lieu à Paris, ont annoncé la tenue d’une semaine d’action coordonnée à l’échelle de l’Europe du 1er au 8 octobre 2012. Une initiative importante au moment où le droit à la santé est attaqué de front par les contre-réformes libérales, dans tous les pays. Pays et organisations présentEs : Allemagne.Belgique : CNE /CSC, principal syndicat des employés du pays, Plateforme des mouvements sociaux.État espagnol : MATS, CAS Madrid.France : Sud Santé-Sociaux, Solidaires, Coordination nationale des comités de défense, Union syndicale de la psychiatrie, LSNPUM, Marche mondiale des femmes, Cadac, Comité pour l’anulation de la dette du tiers monde (CADTM), Les Alternatifs, Fase, NPA, PCF. Grèce : Femmes contre la dette et les mesures d’austérité, Fédération des unions des médecins hospitaliers de Grèce, Union des médecins de la gauche radicale, Syndicat du personnel d’éducation spécialisée.Irlande : People Before Profit. Italie : Union des syndicats de base.Pologne : OZZPIP (Syndicat des sages-femmes et infirmières, 77 000 adhérentes soit un tiers de la profession), syndicat « Août 80 », PPP (Parti polonais du travail).Slovaquie : le coordinateur du comité de grève ; l’ONG « Égalité ». Ce dossier a été réalisé par la commission nationale Santé-Sécu-social du NPA et la délégation du NPA à la conférence. Merci aux camarades du NPA de la région parisienne qui ont beaucoup contribué au bon déroulement matériel de la conférence et ainsi permis d’assurer son succès. Grèce : une crise humanitaire et sanitaire !«Paiement de la dette » oblige, pendant les neuf premiers mois de 2010, le coût de fonctionnement national des services de santé a été réduit de 60 %, entraînant fermetures de services, suppression de personnel et diminution des salaires. Dans les années 1980, après la dictature des colonels, un mouvement important avait imposé un système de santé public et gratuit. Depuis 1992, il faut s’acquitter d’un ticket d’entrée (franchise) dans les cliniques, et, en 1999, le gouvernement socialiste a imposé un ticket d’entrée aux urgences. Aujourd’hui, 30 % de la population est exclue des soins, car l’assurance santé est liée au travail. Trois millions de gens se retrouvent sans aucune couverture de santé. La famille, au nom de la « solidarité familiale » doit prendre en charge ceux qui ne le sont plus par l’État, et les femmes sont principalement concernées. Il faut désormais payer une part importante des médicaments. Le ticket d’entrée est passé à 5 euros et une offensive raciste s’est développée contre les immigrés pointés comme responsables du déficit du système de santé. Il est même demandé aux personnels de santé de refuser les soins aux sans-papiers et de les dénoncer. Des actions de blocage des caisses dans les hôpitaux ont lieu pour que les patients ne paient pas les 5 euros d’entrée et les soins s’ils n’en ont pas les moyens. Des réseaux de solidarité, avec des médecins et chirurgiens bénévoles dans des centres de santé gratuits, accompagnant l’exigence d’un accès gratuit aux hôpitaux publics. Les activités de solidarité essaient de se lier aux municipalités, universités, syndicats, aux mouvements locaux de citoyens, aux associations d’immigrés, de réfugiés, d’étudiants en médecine.Pologne : privatisations et « contrats poubelle » En 2004, les caisses régionales sont transformées en départements régionaux du fonds national de santé qui financent par contrats annuels les services de santé, qu’ils soient ou non publics. Ce système de contrat a servi à restreindre les ressources des hôpitaux publics et des centres de santé. Le temps d’attente des patients a été démultiplié, les forçant à recourir à des services de soins privés non remboursés mais disponibles rapidement. Le gouvernement néolibéral de Donald Tusk a fait voter une loi qui oblige les régions et les municipalités, s’ils n’ont pas « commercialisés » leurs hôpitaux, couvrir leur déficit. Les collectivités publiques qui « commercialiseront » leurs hôpitaux ou centres de santé pourront demander l’annulation de leurs dettes. Cette loi interdit également la création de nouveaux centres de santé publics. Elle prévoit le recrutement d’infirmières comme « auto-entrepreneures » sur la base d’un contrat « commercial » qualifié de « contrat poubelle » par nos camarades polonaises. L’employeur se défausse de ses cotisations patronales, celles-ci étant financées par l’employée elle-même ! Les salaires sont tellement bas qu’il devient courant pour les infirmières de cumuler un contrat classique avec un « contrat poubelle ». Les baisses de salaires sont fréquentes avec un chantage au licenciement en cas de refus.Belgique : la privatisation en marcheEn Belgique, les hôpitaux appartiennent essentiellement au secteur privé non commercial (sans actionnaires ni profits) mais petit à petit les services annexes sont « externalisés » et une partie des subsides atterrissent dans les caisses des entreprises privées. Les secteurs rentables de la santé sont également livrés aux établissements commerciaux, comme celui des personnes âgées, ce qui s’accompagne d’une détérioration des conditions de travail des personnels.Il en va de même pour les soins à domicile : les acteurs privés sélectionnent leurs patients en fonction de leur richesse. Les individus n’ont plus tous accès aux soins de la même manière Dans certains secteurs, on observe un important manque de places.Une plateforme d’action santé solidarité, créée en 2008, organisée au niveau national et regroupant syndicats, mutuelles, ONG, centres d’étude, maisons médicales, s’est constituée en vue d’une action commune entre utilisateurs et organisations syndicales du secteur. Elle défend l’idée d’actions concertées au niveau européen.
Bilan de la conférence
La troisième conférence européenne en défense de la santé et de la protection sociale fait suite à celle d’Amsterdam (Pays-Bas) en mai 2011 et de Katowice (Pologne) en novembre dernier. Cette conférence a réuni 82 déléguéEs, représentant des organisations de neuf pays.Un état des lieux à l’échelle de l’Europe a été dressé par les participants. Il est particulièrement préoccupant. Si chaque pays part de situations diverses et de systèmes différents, les contre-réformes, poursuivent partout des objectifs identiques, et tendent vers un point commun : privatiser les systèmes de protection sociale et de santé. Partout les conséquences sont les mêmes : difficulté, voire impossibilité d’accéder aux soins soit pour des raisons financières, soit à cause de la dégradation du service public de santé. Les classes populaires et les personnes les plus vulnérables sont les premières victimes de ces politiques, et parmi elles, les femmes sont en première ligne. Les personnels et professionnels de santé subissent également des attaques de plus en plus vives sur leur salaire, leurs conditions de travail, leur statut, quand ce n’est pas leur emploi.« Notre cauchemar d’aujourd’hui pourrait être le vôtre demain » La situation en Grèce fut au cœur de ces deux journées. Comme l’a affirmé une camarade grecque dans une intervention poignante « notre cauchemar d’aujourd’hui pourrait être le vôtre demain ».Les interventions de la délégation grecque ont dramatiquement illustré comment le démantèlement rapide du système de santé peut mener à la barbarie: soins refusés pour des raisons financières, ou rendus impossibles alors qu’ils pourraient sauver des vies et même « confiscation » de nouveau-nés de femmes immigrées, restitués à leur mère... quand elle a acquitté le prix de l’accouchement ! La conférence a également permis de faire le point sur les résistances qui s’organisent et remportent parfois des victoires : ainsi le gouvernement roumain a-t-il dû reculer face au projet de privatisation des services d’urgence, et celui de Slovaquie suspendre les privatisations. ÉlargissementLa conférence de Nanterre a marqué un net élargissement du mouvement commencé à Amsterdam et à Katowice : élargissement géographique, puisqu’étaient présents pour la première fois des pays d’Europe du Sud et de l’Est (Grèce, Italie, Slovaquie, État espagnol), particulièrement touchés par la crise, mais aussi la Belgique ; élargissement des forces présentes puisque de nouveaux syndicats, comités de défense, associations de femmes, partis ont rejoint le mouvement. Cet élargissement permet au réseau de dépasser le simple échange d’informations et d’analyses pour se fixer quelques objectifs d’action.Tel était bien l’enjeu de cette troisième rencontre, rappelé avec justesse et vigueur par nos camarades du syndicat des infirmières et sages-femmes polonaises (OZZPIP). Après deux jours de débats riches, un consensus s’est dégagé sur la nécessité de développer et de coordonner au niveau européen des mobilisations impliquant à la fois les professionnels de santé et l’ensemble de la population, la défense du droit à la santé étant une question politique qui concerne tout le mouvement social. Face à l’ampleur des attaques et au niveau de résistance et de lutte qu’elles exigent, le réseau européen n’est encore qu’un outil modeste, mais c’est en prenant des initiatives, en agissant que l’on pourra désormais avancer. Une semaine d’action commune à l’automnePour tenir compte à la fois de la diversité des situations locales et de la nécessité d’agir ensemble, la décision a été prise d’organiser une première semaine d’action du 1er au 8 octobre. Elle sera préparée en septembre, en Grèce, et combinera des initiatives nationales pendant la semaine et une action commune, prenant la forme d’un « village blanc international » de tentes à Varsovie le 7 octobre en référence au « village blanc » des infirmières et sages-femmes polonaises qui campèrent devant la Chancellerie du Premier ministre polonais du 19 juin au 15 juillet pour obtenir satisfaction. Cette action sera suivie d’une nouvelle conférence internationale en Pologne le 8 octobre. Un engagement de tout le NPALe NPA s’est fortement impliqué depuis le début dans la construction du réseau européen.Face aux replis nationalistes et populistes, ce réseau trace en effet une alternative, celle d’un internationalisme des salariés en action pour la défense commune de droits sociaux pour tous. C’est donc tout le NPA qui est concerné par le succès des initiatives décidées.
J.C. Delavigne
Déclaration finale de la conférence de Nanterre
Dans un contexte de crise du capitalisme, la santé des peuples s’est considérablement dégradée à l’échelle européenne par la crise économique, écologique et sociale qui aggrave les inégalités… L’austérité présentée comme inévitable et la dette comme une fatalité, sont devenues partout le prétexte à de dures attaques contre les systèmes de santé publics et de protections sociales et les droits sociaux. La Grèce, qui est le cas emblématique de toute l’Europe, est en train de vivre une crise humanitaire et sanitaire sans précédent. Les plus touchés aujourd’hui sont les pays d’Europe du Sud et d’Europe orientale.
Les plans d’austérité sur la santé et la protection sociale sont pris sous la pression des multinationales de la santé et des systèmes d’assurances privés.Ces multinationales jouent un rôle majeur dans la destruction des droits sociaux, des conventions collectives et des droits syndicaux (négociation collective, liberté d’action syndicale, conditions de travail...), dans la baisse des salaires et de la part salariale dans le PIB (que la nouvelle surveillance économique, avec le contrôle des « coûts salariaux unitaires » va aggraver) et dans la précarisation des emplois (retour du travail journalier, explosion du travail temporaire, faux indépendants dits auto-entrepreneurs...).
Ces politiques d’austérité constituent une violation du droit humain à la santé et détruisent les services publics sociaux et de santé. Elles concernent tous les assurés sociaux et frappent tout particulièrement certainEs citoyenNEes : 1. Les femmes, très majoritaires dans ces services publics, qui occupent les emplois les plus précaires, premières licenciées lors des fermetures d’hôpitaux, de crèches, de centres pour la santé des femmes et des droits reproductifs, de structures de prises en charge d’handicapés, assument l’essentiel du « travail de reproduction sociale » que les politiques d’austérité retransfèrent massivement vers la sphère domestique, 2. Les malades de plus en plus taxés, les handicapés, grands sacrifiés de la crise exclus non seulement du travail, mais aussi souvent exclus des institutions censées les accueillir ;3. Les migrantEs, sans papiers, souvent exclus des systèmes de santé et de protection sociale. Au-delà de la nécessaire riposte nationale, dans chaque pays, ces mesures nécessitent une action concertée des professionnels de santé, des malades, de tous les citoyens, cela suppose une mise en commun des expériences des luttes nationales en défense de la santé publique et de la sécurité sociale, l’organisation d’une solidarité concrète lors des luttes, la réflexion sur la construction d’initiatives internationales pour la défense d’une santé publique universelle, égalitaire et solidaire.
À l’issue de la conférence de Nanterre, qui a eu lieu les 12 et 13 mai 2012, les participants issus des syndicats et des associations de lutte pour la défense de la santé et de la protection sociale, défendant un système de santé publique de haut niveau dans toute l’Europe, se sont prononcés en faveur : - de la construction d’un espace européen d’échange, de mobilisation et d’action contre la privatisation des systèmes de santé et de protection sociale, ouvert à tous ceux qui souhaitent agir contre l’austérité sur la santé des peuples, la régression des droits sociaux et de la protection sociale ; - de la mise en œuvre d’un programme européen alternatif aux visées libérales qui entend défendre la santé publique et la protection sociale comme des biens communs universels qui ne peuvent plus servir les profits privés des actionnaires des établissements de santé ou de la protection sociale. Un tel programme suppose de choisir la voie d’un égal accès à la santé, de la gratuité des soins, de la démocratie sanitaire, d’un financement public et collectif qu’il faut promouvoir ; - d’audits citoyens de la dette, notamment de la dette des hôpitaux, organismes sociaux et de protection sociale, avec un accent particulier sur l’impact de la dette pour les femmes ;- de la mise en place d’un réseau permanent d’échange d’initiatives et d’action contre la privatisation des systèmes de santé et de sécurité sociale et contre toute franchise médicale ou taxation des malades et toute mesure visant à réduire l’accès universel à la santé ; - de l’organisation de conférences de presse coordonnées autour de cette déclaration le 5 juin 2012 et d’appel à la solidarité avec le peuple grec ;- de l’organisation dans chaque pays d’une semaine d’action européenne pour le droit à la santé des peuples et contre le démantèlement des services publics de santé et la marchandisation de la santé du 1er au 7 octobre 2012 ; - d’une représentation de chaque pays au « Village blanc européen » (campement de personnel de santé) à Varsovie pendant la semaine d’action ;- de l’organisation d’une Conférence européenne le 7 octobre 2012 à Varsovie ; - de la coordination d’une campagne de communication commune avec affiches communes et pétition commune.Conscients que l’action en faveur d’un système de santé public et d’une protection sociale universelle ne saurait être l’apanage des seuls professionnels de santé et associations de défense de la santé publique, et concerne toute la société, les membres de la conférence : - souhaitent inscrire la spécificité de ce combat dans toutes les initiatives en vue de refonder un nouvel espace public européen et de faire vivre en son sein une campagne permanente en défense du droit fondamental à des services de santé publics et universels ; - s’inscrivent dans la campagne européenne pour la non-ratification du pacte de stabilité européen et le retrait du MES.
Nanterre, le 13 mai 2012