Publié le Mercredi 8 avril 2020 à 09h49.

L’épidémie ne doit pas être une étape d’accoutumance à la répression

Depuis l’intervention de Macron le 16 mars, le vocabulaire guerrier est entré dans le quotidien de l’information concernant la flambée de l’épidémie. Et bien évidemment, si on est « en guerre », cela « justifie » l’utilisation de moyens exceptionnels dans le contrôle des mouvements de population (puisque le confinement est le seul recours pour freiner la propagation de l’épidémie), ce qui peut amener au déploiement de dispositifs de surveillance de la population de plus en plus intrusifs.À cette étape, la peur de la répression policière et judiciaire reste le principal recours pour faire appliquer des décisions politiques dont leurs auteurs ont dû mal à justifier qu’ils savent ce qui est bon pour lutter contre la propagation du virus. Avec ce que cela peut générer de confrontations entre les « forces de l’ordre » et des populations habituées à s’en défier.

Violences et stigmatisation

De fait, le recours à la répression a été massif. Entre le 17 mars (début du confinement) et le 2 avril, ce sont 406 283 procès-verbaux qui ont été dressés. Et sans surprise, la part de ces PV dans les quartiers populaires, où les conditions de confinement sont les plus dures à supporter, est majeure. Ainsi, la Seine-Saint-Denis représentait, les deux premiers jours, 10 % des PV infligés. Au total, on en est à 17 000 en trois semaines (1 000/jour les deux premières semaines, 400 à 500 la 3e). La distribution de ces PV s’est accompagnée, dans les quartiers populaires, de violences policières, avec par exemple le placement en garde à vue d’un enfant de 13 ans à Roubaix (sous prétexte de plusieurs contrôles la même journée), et d’interpellations hyper violentes, comme celle de Sofiane aux Ulis ou de Ramatoulaye à Aubervilliers, largement médiatisées sur les réseaux sociaux. À Marseille, Asnières, Grigny, Strasbourg, Torcy… des violences policières ont donné lieu à des dépôts de plainte des victimes.

Pas étonnant que, dans ce contexte, des confrontations explosent sporadiquement dans des quartiers entre jeunes et forces de l’ordre (dans le 93 et dans l’Essonne en particulier). D’autant que ces violences s’accompagnent de la stigmatisation systématique de ces quartiers, dénoncés comme refusant de respecter les règles du confinement, voire l’intérêt général. Avec, en apothéose, la sortie du préfet de police de Paris Lallement qui déclarait, vendredi 3 avril, à propos de la flambée des décès dans le 93 : « Pas besoin d’être sanctionné pour comprendre que ceux qui sont aujourd’hui hospitalisés, qu’on retrouve dans les réanimations, sont ceux qui au début du confinement ne l’ont pas respecté. Il y a une corrélation très simple ». Il a dû présenter des excuses, mais c’était dit, et résumait bien les propos déversés pendant près de trois semaines.

Refuser la mise sous surveillance

Confronté à ses incohérences dans la gestion de la crise, et contraint de prolonger le confinement, le gouvernement a dû moduler sensiblement ses incriminations discriminatoires et reconnaître que le confinement est respecté, même dans les quartiers populaires. Mais il n’en prend pas moins des mesures qui peuvent devenir des outils majeurs de contrôle social. Ainsi, depuis le 6 avril, avec la mise en place d’une attestation numérique enregistrée dans les téléphones portables et qui génèreront des QR codes, scannés lors des contrôles policiers. « Aucune donnée saisie n’est intégrée dans un fichier. Rien n’est stocké, aucun fichier n’est constitué », a promis Castaner. Mais nous n’avons aucune raison de croire ce gouvernement qui change de position aussi vite que l’épidémie se répand. D’autant qu’en parallèle la mise en place d’un traçage des données numériques et leur partage avec des institutions de santé voire des préfectures est à l’étude comme moyen de sortie progressive du confinement (lire page 9).

Autant dire que la vigilance va être de mise, et qu’il est important de réfléchir aux moyens de ne pas, sous prétexte d’efficacité pratique, donner la possibilité à l’État, et à de nouveaux organismes en mal de rentabilité, de nous mettre un peu plus sous surveillance.