Éditions Divergences, 2024, 233 pages, 16 euros.
Parler de « technopolice » n’est pas ou plus l’apanage de gauchistes anti-flics ou de fans de roman d’anticipation. C’est un concept pleinement assumé par l’État, ses forces de répression et les industriels qui sont associés à son développement.
C’est tout l’intérêt du livre de Félix Tréguer, animateur de la Quadrature du Net, que de dévoiler la genèse et les enjeux de la mise en place de la surveillance généralisée qui touche chacunE d’entre nous, chaque jour.
Un contrôle des identités « invisible, permanent et général »
Pour assurer le contrôle, fondé sur la reconnaissance faciale, il faut des capteurs, des bases de données et des algorithmes. Et pour ce faire, la police dispose de quelque 90 000 caméras de vidéosurveillance réparties sur l’ensemble du territoire, des bases de données liées aux documents d’état civil, des fichiers de police, dont le TAJ 1 qui contient 10 millions de photographies, des fichiers liés aux titres de séjour des étrangerEs.
Tous contiennent des photographies qui sont exploitables par les algorithmes de reconnaissance faciale. Lesquels permettent de croiser en temps réel les données des fichiers et les images collectées par les caméras de vidéosurveillance.
Avec la généralisation de ces technologies sécuritaires, se déplacer à visage découvert dans l’espace public revient à « arborer une carte d’identité infalsifiable, lisible à tout moment par l’État ».
Rendre acceptable la surveillance
La recherche et le développement techno-sécuritaire, qu’ils soient assurés par de grands groupes comme Thales ou de petites start-up, sont financés en très grande partie sur des fonds publics, français et européens, en collaboration avec des laboratoires de recherche du CNRS ou d’autres organismes publics. C’est un marché très concurrentiel, en particulier à l’international, avec des pays qui ont une certaine avance, comme la Chine ou Israël.
Les expérimentations se mettent de fait en place hors de tout cadre légal, avant qu’une règlementation ne les valide, comme pour l’utilisation des drones.
Un des grands enjeux pour les promoteurs de la technopolice est celui de l’acceptabilité sociale, avec comme contre-modèle la Chine et son système de contrôle social orwellien. C’est pourquoi ses promoteurs tentent d’associer des chercheurs en sciences sociales pour affirmer que leur technologie serait « socialement neutre », œuvrant pour le bien commun, soit le même discours que les mesures « antiterroristes » qui s’étendent par la suite à d’autres champs.
Au vu de l’actualité récente, l’ouvrage, passionnant, de Félix Tréguer sonne aussi comme une mise en garde : à l’heure où la possibilité du fascisme n’a jamais été aussi concrète, comme le montrent le début du mandat de Trump et la montée de l’extrême droite dans l’ensemble des pays européens, les outils de contrôle et de répression sont prêts à servir.
Alex Bachman
- 1. Le fichier de traitement des antécédents judiciaires (TAJ) répertorie les suspects, auteurs, victimes et témoins d’infractions.