NPA Nanterre Université. Tu fais aujourd’hui partie des 6 salariéEs sur 10 qui travaillent, peux-tu nous décrire ton travail et comment ton patron justifie le maintenir pendant cette pandémie ?
Pierre. Si ces 60 % des salariés ne travaillent évidemment pas tous dans des secteurs indispensables, je considère par contre que c'est mon cas. Je travaille en effet pour une célèbre enseigne de vente de surgelés et donc dans l'alimentation. Bien entendu toute la gamme des produits n'entre pas dans le champ du strict nécessaire, mais une fois le magasin ouvert la question de ne vendre qu'une partie de la gamme ne s'est jamais posée. Pour notre patron, nous assurons une mission de toute première nécessité, que nous vendions des carottes ou du homard.
Il me paraît important de préciser que je ne travaille pas en tant que salarié, ni même en intérim, mais que je suis auto-entrepreneur. J’effectue le même travail qu’un CDI, mais je ne suis pas protégé par le code du travail. Et j’ai été pris dans cette mission alors que le confinement venait d’être mis en place.
NPA U. Quelles sont les mesures d’exception qui ont été mises en place pour respecter les gestes barrières ? Est-ce que vous avez des gants, des masques et du gel à disposition ?
P. Les premiers masques sont arrivés au bout de deux semaines de confinement. Une plaque de plexiglas a été posée sur les caisses, nous avons du gel hydroalcoolique et de nombreuses petites dispositions ont été mises en place (affiches encourageant le paiement par carte, délimitations au sol tous les 1 mètre, etc.). Les détailler toutes n’aurait en réalité pas beaucoup de sens. Ce qu’il faut retenir est que nous ne sommes pas en capacité de faire respecter les dispositions par les clients (nous sommes souvent seuls en magasin, impossible de faire la caisse, le réassort et la police en même temps) et que de toute manière, l’étroitesse de la surface de vente et la réalité du métier nous poussent à ne pas les appliquer nous-mêmes. Impossible de se laver les mains à chaque fois qu’on récupère de la monnaie, impossible de rester à 1 mètre, etc. Ou alors il faudrait être plus nombreux. Mais la difficulté croissante du métier n’a pas été contrebalancée par une hausse des effectifs. Paradoxalement, être plus nombreux en magasin nous permettrait de pouvoir plus prendre le temps, de faire plus attention et serait moins dangereux.
NPA U. Avec la fermeture des universités, quelle a été la politique de la boîte vis-à-vis des étudiantEs travailleurEs ? On a recensé plusieurs cas de précaires qui perdent leur emploi ou qui sont forcéEs à faire des heures sup sous prétexte qu’il n’y a plus de cours.
P. Ici, comme tous les magasins restent ouverts, il n’y a pas de pertes d’emploi. Et je n’ai pas l’impression qu’une pression directe se soit vraiment mise en place. De nombreux salariéEs ont refusé de venir travailler ou sont alléEs se confiner avec leur famille à l’autre bout de la France. C’est notamment le cas des étudiantEs salariéEs qui préfèrent quitter paris plutôt que d’être enfermés dans un 9 m2. Mais tout le monde ne peut pas se permettre d’arrêter de travailler et pour pallier ces salariéEs en moins, la boîte a donc massivement fait appel à des auto-entrepreneurEs comme moi. Nous n’avons aucune protection, donc pas la peine de nous mettre la pression. On sait que si on appelle le jour même nous n’avons pas d’autre choix que d’être présents. Bien sûr les autres salariéEs qui ont fait le « choix » de ne pas perdre d’argent et donc de rester ont aussi dû beaucoup donner. Une collègue était à 60 heures la semaine dernière. La précarité de la situation de beaucoup transforme cette crise sanitaire en une occasion de mettre un peu de côté. La précarité a toujours été la meilleure arme des patrons. Et en ce moment c’est soit rien, soit les heures sup.
NPA U. Est-ce qu’il y a eu des cas de contamination au virus d’usagerEs ou de travailleurEs et quelle a été la politique de l’entreprise ?
P. Difficile de faire la part entre Covid-19 et allergies. Le magasin n’a été fermé et désinfecté qu’une fois au début du confinement quand un collègue était susceptible de l’avoir. Il s’est avéré qu’il n’en était rien et depuis nous sommes ouverts tous les jours sans interruption. Alors certes certains clients nous ont confié l’avoir eu, et on ne compte plus les collègues ayant eu des symptômes, mais ils disent « de toute façon on l’a déjà tous », alors on continue comme de si de rien n’était. Il ne faut pas imaginer que les travailleurEs vivent dans la peur, en tout cas ce n’est pas le cas dans mon magasin. Au contraire, impossible de leur faire porter leurs masques plus de 10 minutes. Et d’un autre côté difficile de prendre au sérieux la situation quand on passe 8 heures par jour à vendre des coquilles saint-jacques ou des glaces en cornet à des clients farouchement opposés au confinement (au beau milieu de cette zone de non-droit qu’est le 6e arrondissement).
NPA U. Avec le confinement, plusieurs jeune travailleurEs ont perdu leur emploi ou sont contraintEs à faire des heures supplémentaires, ce qui rend le suivi des études encore plus complexe, quelle a été la réponse des présidences d’université pour assurer un minimum d’égalité de traitement ?
P. La présidence de l’université de Nanterre, celle où j’étudie, s’entête à vouloir faire passer des examens. Pour moi c’est clair, je fais entre 35 et 40 heures par semaine, 3 heures de transport par jour. Je ne pourrai même pas me connecter pour passer ces partiels. Et ne parlons pas de prendre le temps de les réviser. De toute façon, ces partiels ne respectent absolument pas l’égalité entre les étudiantEs. Chez moi on est 3, on dort dans le salon et la police fait des tours en bas de l’immeuble. Impossible de m’isoler.